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La légende de l’assassin - Kangni Alem (2015)
Un roman noir sur fond de métaphysique.
By Date Atavito Barnabe Akayi Posted in Daté Atavito Barnabe-Akayi, Roman, Togo on 11 juillet 2021 0 Comments
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Le cas K.A., prétexte littéraire pour interroger la justice dans une biocénose polluée par un totalitarisme et des convictions mystico-religieuses cannibalesques et télékinétiques, a permis au Lauréat du Grand Prix du concours théâtral interafricain et du Grand Prix littéraire d’Afrique noire, Kangni Alem de revenir en 220 pages chez son éditeur parisien Jean-Claude Lattès cette année 2015. La légende de l’assassin, un roman cousu pour être vêtu la nuit comme un film d’horreur et d’amour ! 

La légende de l'assassin, Kangni Alem

LA LEGENDE

Maître Apollinaire, 70 ans et un taux de cholestérol appréciable, fait le bilan de sa vie. Il est confronté aux trois dossiers les plus pénibles de sa carrière. Trois brillantes défaites dont le numéro 3, une obscure affaire de meurtre dont le coupable, un mystérieux K.A., subit la peine capitale, une exécution publique. Trente ans après, l’avocat commis d’office essaie d’élucider les mobiles de ce crime avec les lumières du charismatique pasteur Hightower pour réhabiliter la mémoire de son client, casser le jugement pour absence de preuves suffisantes. Ce dernier l’avait contacté trente ans auparavant (octobre 1978) lors du procès de son client. La rencontre avec Hightower le transporte dans une épopée fantastique dans le milieu des sataniques coupeurs de tête Abrafo et la mystique du pouvoir que recèlent les crânes humains. C’est l’opportunité pour Maître Apollinaire de faire une analyse critique de sa vie, d’examiner les recoins sombres de sa conscience jusqu’aux profondeurs troubles de son inconscient. Il reprend contact avec son meilleur ami devenu entretemps son meilleur ennemi à cause de leur amour commun : Rose, morte décapitée également. L’histoire se termine comme il a commencé sans que les motifs du crime soient clairement établis, dans le mystère le plus total confirmant « la légende d’un assassin hors-norme, qu’[il a] côtoyé de près, sans jamais entrer dans le fouillis de sa caboche illuminée, sans jamais tenter de vraiment le comprendre. Un assassin devenu un avatar aux multiples facettes » (p. 69). Les croisades spirituelles et tridimensionnelles de Hightower ne peuvent en aucun cas constituer des preuves devant un tribunal fondé exclusivement sur la raison. Tout se passe dans le roman sous les brumes du rêve, de l’inconscient, de la déresponsabilisation…

PAR-DELA LA LEGENDE

Entre mythes et réalité, Kangni Alem présente le portrait d’une justice impossible dans les sociétés africaines et – une étude du chronotope situe les actions sur le Golfe de Guinée, entre 1978 et les années 2010 – vautrées dans la superstition et la prospérité de l’autocratie et de la mauvaise gouvernance. A travers le crime de K.A., c’est à une descente dans l’abîme de l’imaginaire socioculturel qu’invite La légende de l’assassin élaborée comme une autoscopie anthropologique. La fiction inspirée d’un événement historique (K.A. peut désigner Kangni Alem ; mais l’affaire Adjata Koffi, le dernier Togolais condamné à la peine capitale, parait plus conséquente ; le maître Apollinaire étant bien reconnaissable parmi les grands avocats togolais, inutile de préciser le patronyme) justifie une fois encore l’engagement de l’auteur dans la réhabilitation de certains hommes que l’histoire et le présent méprisent comme dans Esclaves (JC Lattès, 2009).

De fait, La légende de l’assassin devient une allégorie de cette période où la raison humaine et l’équilibre rationnel ont fui l’homme africain, qu’il incarne le pouvoir exécutif ou juridique, qu’il soit citoyen ou non. Deux traitements de l’impersonnalité voire de la dépersonnalisation font réfléchir : le narrateur hétérodiégétique peint un K.A. amphétaminé au moment du présumé meurtre sur la personne de Bouraïma ; Maître Apollinaire a fini par prendre rendez-vous avec Hightower qu’il a rejeté trente ans plus tôt, dans un état soporifique. On voit un Kangni Alem qui ôte aux personnages, à l’heure des grandes décisions, toute lucidité !

Au-delà de la décapitation, les yeux du narrataire hébergent une désacralisation du vivant, une amputation de la raison, une ablation du génie créateur qui puisse convoquer l’Afrique sur les lieux du grand rendez-vous scientifique et sociopolitique. Somme toute, lire La légende de l’assassin, c’est lire une Afrique décapitée et confiée à l’humeur des marchands de paradis virtuel.

LA LEGENDE ET LE LEGENDAIRE

Au regard de l’histoire originelle, les fidèles lecteurs de Kangni Alem retrouveront le créateur qui déconstruit les actants, le temps et l’espace pour donner à voir un univers fictionnel de TiBrava. La fictionnalisation de cette photographie macabre qui s’accroche aux yeux des Togolais en 1978 est si réussie que ce dont le lecteur n’arrive pas à se débarrasser au sortir du roman est cette célébration du fantastique et de l’épique rendue sensible par la puissance mystique de Hightower et du clan Abrafo. Il est donc cette charge viscérale de l’esthétique de la cruauté que renvoie l’humour noir qui se plante en triomphe dès l’incipit.

Pour ceux qui sortiront quand même déçus de cette technique narratologique qui fait écho au théâtre élisabéthain avec des microrécits délicatement dramatiques, pathétiques et/ou tragiques c’est qu’ils se souviendront sans doute de l’écriture de la prose narrative de La gazelle s’agenouille pour pleurer (Le Serpent à Plumes, 2003) qui peut paraître l’une des créations les plus audacieuses de Kangni Alem ou du volume impressionnant d’Esclaves. En conséquence, on ne peut expliquer le calibre de La légende de l’assassin qui laisse découvrir une poétique et une thématique intéressantes (coupeurs de tête, mysticisme, sorcellerie, guerre de religions et l’éternelle mal-politique sous les tropiques, triangle amoureux) par l’essoufflement de la plume de Kangni Alem à l’instar du Maître Apollinaire qui évacue l’affaire K.A. parce que commis d’office et méfiant de l’Invisible !

Daté Atavito Barnabé-Akayi

Kangni Alem, La légende de l’assassin
Ed. JC Lattes / 2015 / crédit photo – Fili Alemdjoro

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