Editions Zoé, 2020, 135 pages
« Si vous n’êtes pas d’accord avec la langue que je vais utiliser pour dire cette histoire, alors rejoignez-moi seulement ici à Elobi, à la terrasse du bar de Uncle Godblessyou.
Tout le monde dans le bidonville m’appelle Mista AcaDa-Writa, le Raconteur d’histoires.
C’est ma profession. »
Quand tu sors d’une lecture éprouvante, un réflexe de lecteur est de revenir sur le premier chapitre pour revoir si une clé de lecture n’a pas été loupée. Je pense que l’incipit ci-dessus indique clairement que Max Lobé nous embarque dans une affaire compliquée, dans un courant d’eau rapide qui va balancer le lecteur vers des chutes, genre celles du Zambèze, s’il ne s’écrase pas sur un rocher avant le grand saut. Toutefois au-dessus des rapides, il laisse des lianes suspendues (naturellement) à portée de main du nageur lucide. J’aborderai d’abord ces ficelles salutaires avant de questionner l’écriture du romancier Suisse.
Filiation / Intertextualité
Il y a vingt ans Patrice Nganang nous embarquait dans les sous-quartiers de Yaoundé et nous brossait les prémices d’une révolution se tissant dans et autour d’un bar pour renverser Paul Biya. Il convoquait le pidjin camerounais et se servait d’un chien philosophe pour autoriser un parler sur les maux qui minaient les gens de ces quartiers. Il faut croire que la société civile en Afrique centrale n’a que les dépôts de boissons, les maquis, les nganda pour fomenter des alternatives aux pouvoirs despotiques enracinés depuis des décennies. Comme pour le sample, concept au coeur du hip-hop américain et qui au fond constitue un hommage et un lien de la nouvelle génération aux anciens, Max Lobé nous plonge à son tour dans cet univers qui fait penser au fameux roman Temps de chien. Patrice Nganang proposait une langue disruptive au plus près de ses personnages. On peut dire que Max Lobé s’est, à sa manière, surpassé au niveau de l’écriture, avec un désir de secouer son lecteur par la forme de son propos. De l’eau a coulé sous les ponts. Le contexte politique a à peine changé au Cameroun. Le peuple de la Crevetterie attend la phallamparition de Sa Phall’ Excellence. Comprenne qui pourra. Même si je ne suis pas camerounais, je sais que Paul Biya est très peu présent dans l’espace public, voire invisible pour beaucoup de ses compatriotes, avec toutes les supputations, les kongossa que cela autorise. Il me semble que c’est une seconde liane à saisir, pour tenter de comprendre la promesse évoquée par Max Lobé.
Elobi, mieux, la Crevetterie
Cameroun renvoie à une affaire de crevettes. Camaroes en portugais. L’écrivain s’en amuse. Et pour comprendre une partie du propos de Max Lobé, il faut connaître quelques données de ce pays. Comme le fait que Chantal Biya porte des perruques spectaculaires par exemple. Ce n’est pas en soi une information essentielle, mais elle cadre le sujet. Max Lobé s’intéresse de près au passé de son pays (Confidences, éd. Zoé) et à son présent même quand il se déroule Loin de Douala (ed. Zoé) sa ville natale. Le petit peuple s’accroche. Il le raconte depuis un bar de crevettards où on ne sert que deux marques de bières phall’excellencielles : La Tien’Bon et la Yako. Tout un programme pour supporter tristement un pays qui semble livré à lui même, sans l’apparition de son guide. Dans ce contexte, des voix s’élèvent comme celle de Dibéa pour porter plus haut les consciences des calebasses. Bon, il faut lire le bouquin avec attention pour comprendre. Voici un extrait du discours de Dibéa sur les conséquences de la répression sévère qui règne :
« La plaie calebastique, ah mes frères, c’est quand que ta peau-sur-tête est échancrée. C’est là, précisément au-dedans de cette échancrure, que ton os calebastique est touché. Adieu le rêve! C’est irréversible. Le papillon s’envole ayo, ayo, ayo telle une idée qui manque le pari de s’enraciner, de germer, de porter ses fruits » (p.32-33).
Je ne ferai pas de parallèle. C’est une fiction. Mista AcaDa-Writer retranscrit plusieurs paroles avec truculence, disruption pour ne pas dire provocation.
La forme du discours
Il me semble, je peux me tromper, que chez Max Lobé le style, la manière de raconter est plus importante que le sujet qu’il rapporte. Il est donc important de s’attarder sur la narration proposée. J’ai plusieurs fois été tenté d’arrêter cette lecture. Pourquoi ? Trop de néologismes, de recomposition de mots, trop de mots empruntés aux langues camerounaises. Ça se simplifie quand certains ont des souches communes avec le lingala comme « Moyi » (jour) et « Butu » (nuit). Dans le contexte dans lequel ces deux mots sont utilisés, leur sens est important à saisir. Max Lobe n’aide pas le lecteur. C’est à ce dernier de se démerder pour comprendre son propos. La lecture est donc laborieuse. Son écriture questionne le genre, la sexualité. il substitue le phallus par le « phallanus ». Il introduit clitoris, anus, phallus dans des mots liés au pouvoir et à d’autres désignations pour leur conférer un sens nouveau, un genre nouveau. Il questionne l’écriture inclusive. Il veut imposer une réflexion au lecteur par la répétition de mots clés. Pourquoi « Sa Phall’excellence » pour remplacer « Son Excellence » Monsieur le Président de la République ? Ou encore Clit’Altesse pour évoquer Chantal Biya et ses perruques ? Pourquoi un « ministre » devient un « minanustre » ? Personnellement, j’ai refusé de me forcer à une interprétation, à une compréhension mais Max Lobé semble être un adepte du rabâchage ou plutôt du matraquage. Donc, il répète ces noms impersonnels, ces adjectifs qualificatifs recréés. Pour que ça chemine, je pense. Il y a aussi le caractère hystérique dans cette écriture, avec des points de suspension très présents, les répétitions de voyelles par exemple. Naturellement, qui dit hystérique, dit utérus, encore une histoire de genre. Mais, je pense surtout que, par cette écriture faite de boucans, de brouhahas, Max Lobé veut poser son discours critique sur l’état de son pays, malgré la forme de l’écriture proposée qui pourrait distraire le lecteur. A la quête d’une apparition quasi-mystique du chef de l’état invisible, c’est une violence sans mesure, sans limite que va s’abattre sur les petites gens.
Bref, c’est un des romans les plus étonnants que j’ai lu récemment. Mon retour à la fiction se fait progressivement. Il est certain que Max Lobé ne propose pas un texte facile et qu’il y a une volonté de pousser son lecteur à bout. Le final qu’il propose nous renseigne sur le pessimisme de l’écrivain concernant son pays. Je m’arrêterai là.
Gangoueus
20
Cameroun
écriture
Editions Zoé
Genre
Max Lobé
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