The Shadow King
Maaza Mengiste
Excellent. Fin de la chronique.
Je m’explique, The Shadow King (finaliste du Booker Prize 2020) a mis presque une décennie à voir le jour, je tenais à en restituer la magie dignement – une tâche presque impossible.
En 1935, malgré les efforts diplomatiques et les pressions[1] exercées, l’Italie fasciste de Benito Mussolini envahit l’Ethiopie. Il est souvent question de la symbolique de cet évènement dans les consciences noires (et plus largement, anti-impérialistes). Maaza Mengiste nous propose un autre angle: un regard vers l’intérieur, le récit des femmes arbegnoch (résistantes).
En grandissant en Ethiopie, j’ai beaucoup entendu parler de ce que les Italiens avaient fait; les attaques au gaz sarin[2], les massacres des moines de Debre Libanos, les massacres de Graziani (le boucher d’Ethiopie), les prisons (Asinara, Danané), l’hypocrisie de la Société des Nations (la crise Abyssinienne), la résistance, etc. Vous n’imaginez pas ma surprise en découvrant l’ampleur de la propagande fasciste, les chants racistes, les photos-cartes postales, etc. C’est une déshumanisation systématique des vivants, comme des 377 500 morts.
Un employé des Archives nationales italiennes aurait dit à l’auteure “les Italiens ont honte de trois choses : Mussolini, la mafia et Berlusconi”. Ils ont raison.
Il est une chose de connaître l’Histoire, il en est une autre d’imaginer un quotidien. Comment peut se sentir une femme Ethiopienne en 1935 lorsqu’elle prend les armes ? Il y a le patriarcat, l’impérialisme et au bout, la liberté.
Dans une interview, Maaza raconte comment ces histoires disparaissent. Comment les femmes ne parlent pas ou peu de leurs apports qui sont cantonnés à la cuisine. A des petites confidences que l’on fait en passant, entre deux sacs d’oignons rouges. Je l’ai déjà dit, et je le pense toujours, il est décevant de voir à quel point les femmes sont les bienvenues dans des moments de crise tandis que leurs revendications, une fois la victoire atteinte, sont convenablement oubliées.
Le travail de recherche méticuleux de Maaza donne une image assez exacte de cette société qui entre 1935 et 1974 va connaître une occupation de 5 ans et la fin d’une monarchie. Une société en mutation, qui est en conversation perpétuelle avec elle-même. Les parts d’ombre et de lumière, les personnages et le langage sont profondément Éthiopiens.
Bob Marley disait “la révolution sera télépathique”. A travers Hirut – une jeune adolescente, Aster – une femme de l’aristocratie, Fifi – une prostituée (et tant d’autres), Maaza démontre la puissance d’une résistance spirituelle. Ce côté irréductible et digne jusqu’à la mort a triomphé. Nous pouvons parler de féminisme, tout en comprenant que les femmes sur le continent n’ont jamais attendu l’occident pour mener leurs propres combats.
Le commandant Fucelli dira “Nous combattons d’autres hommes mais nous avons peur des femmes”[3] Une phrase qui révèle le fond de la domination impérialiste: l’arrogance de vouloir “civiliser” ailleurs sans se soucier de ses propres incohérences. La machine fasciste est en effet contradictoire, et ce, jusqu’à l’auto-destruction.
Elle arrive en 1941, avec le retour de l’empereur, le seul dans l’Histoire moderne à avoir quitté le territoire en exil. Les femmes dans ce livre trouvent le moyen de ne pas y croire, le temps de vaincre. Je ne vous en dirai pas plus.
Peut-être une dernière chose. Ceci est ma dernière chronique pour ce site. Je me retire quelque temps des activités littéraires, un milieu que j’ai aimé, qui m’a beaucoup appris mais qui a aussi transformé mon panafricanisme en afro féminisme[4]. L’aventure se termine comme elle a commencé, avec un livre sur les femmes éthiopiennes et l’espoir de vous avoir donné envie de les lire.
Pour aller plus loin : Femmes et Guérillas en Ethiopie et en Algérie
Loza Seleshie
[1]Fikru Gebrekidan, In Defense of Ethiopia: A Comparative Assessment of Caribbean and African American Anti-Fascist Protests, 1935-1941, Northeast African Studies, New Series, Vol. 2, No. 1 (1995)
[2] Rainer Baudendistel, Entre bombes et bonnes intentions : le Comité international de la Croix-Rouge et la guerre italo-éthiopienne, 1935-1936, pp. 264-267.
[3] P. 334, The Shadow King (2019) W.W. Norton
[4] Ouvrir la voix (2017) Amandine Gay, Bras de Fer
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