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Hemley Boum, Les jours viennent et passent (2020)

Prix Kourouma 2021, en plein covid 19

Prix Kourouma 2021, en plein covid 19

Ouidah, 8 janvier 2022.

J’ai découvert l’écrivaine camerounaise Hemley Boum en 2016 avec le collectif Volcaniques, une anthologie du plaisir sous la direction de Léonora Miano. Sa nouvelle Le dealer m’a totalement conquise par le raffinement de l’écriture et l’angle de traitement du sujet. C’est avec un réel empressement que j’ai débuté la lecture de son dernier roman, Les jours viennent et passent publié en 2019 chez Gallimard. 

Il y a des livres légers, palpitants qu’on peut lire d’une traite. Il y a des livres lourds, intenses qui vous étouffent, qui vous bouffent de l’intérieur et vous interpellent. Les jours viennent et passent de Hemley Boum est de ces romans déchirants qu’on craint d’affronter. Tant les vérités livrées là sur des sujets douloureux malgré une écriture fine et rasée sont dérangeantes. On est empressé et hésitant à la fois.

Je l’ai donc lu par « à-coup », prenant des pauses pour ruminer mes colères, mes déchirements.

ANNA

Anna, la mère de Abi est atteinte d’un cancer de sein en phase terminale. Hospitalisée, elle agonise, une lente agonie habillée de souvenirs. Abi, sa fille unique bien que désemparée, la couve de tendresse. Contre son corps rongé et ses forces qui s’essoufflent, Anna livre ses souvenirs. N’ayant pas été très complice avec Abi, l’urgence de dire, de tisser ce passé tumultueux au présent devient obsédante pour Anna. Alors commence l’introspection. Le lecteur découvre de cette fouille un témoignage poignant de son histoire personnelle. Elle parle d’Awaya, la brave femme qui l’a élevée, de l’éblouissement à la rencontre de l’Occident… dans un contraste d’ombre et de lumière, de la religieuse, de la passion pour les livres et pour Louis, son amoureux, de la trahison subie, de la jeunesse actuelle Anna conte aussi l’Afrique des indépendances ainsi que de la gestion de l’Afrique post-coloniale.

Les moments les plus émouvants de tendresse et de rage sont le récit de sa passion dévorante pour les livres « Les livres m’ont sauvé la vie, tous les livres » (p 88). Puis Anna, la brillante élève follement amoureuse de Louis, et sa découverte de la tragédie des Bamilékés. A l’évocation de cette ethnie luttant pour une indépendance réelle mais massacrée en masse par leurs frères, le rythme s’emballe. Le superlatif domine, la langue se fait cadence et s’harmonise avec la douloureuse chevauchée. Le besoin de dire net préoccupe l’auteur et dénote de l’importance du sujet déjà évoqué dans Les maquisards, son précédent roman. Des souvenirs de Remember Ruben de Mongo Beti s’ajoutent par saccade et m’étourdissent de dépit. 

Anna parle, pressée par le temps. Le récit s’entremêle, passé et présent s’entrelacent. Hier la traque des bamilékés avec une jeunesse traumatisée, incarnée par Louis, « Ils ont tué Ernest Ouandié, m’annonça-t-il la voix brisée. Je me suis arrêté pour te dire au revoir. J’ai décidé d’aller à Bafoussam, j’ai contacté une cellule de combattants…» (p.111). Aujourd’hui le terrorisme happe nos jeunes. Au centre de ces récits, Abi. Son divorce pose l’éternel problème de l’émancipation de la femme entre interdits et quête de libertés. Cette liberté semble totalement compromise par la montée du terrorisme.

Une jeunesse aux abois

Ce qui me charme dans ce roman c’est ce besoin de suggestion. Au-delà de nous présenter ce passé douloureux, elle nous interpelle sur notre jeunesse : Jenny, Tina, Max, Ismaël, des jeunes enfants tourmentés et solitaires. Ismaël est orphelin mais ne peut compter sur son père qui se console dans les bras de sa nouvelle épouse. Tina vit au cœur d’un drame familial inextricable, Jenny cherche ses origines en vain et s’accroche à Anna. Le divorce des parents de Max l’a profondément troublé. Heureusement, il pouvait compter sur sa grand-mère. Si les parents pouvaient faire une vie décente aux enfants, ils présenteraient moins de fissures par lesquels les imposteurs s’infiltreraient.  

Tina, Jenny et Ismaël en quête d’amour ont été une proie facile pour les terroristes qui promettent un Dieu miséricordieux. Cette seule perspective d’appartenir a suffi pour les décider. Sortir de la solitude, voilà l’ultime quête de ces orphelins au vide affectif palpable. L’imam a profité de son emprise sur ces esprits faibles pour les mener à l’abattoir. La parole donnée à Tina vers la fin du roman semble une transmission de flambeau à la jeunesse pour nommer avec clairvoyance son enfer et le terrorisme où elle a échoué.

Un roman passionnant

Les jours viennent et passent est un magnifique roman d’histoire, d’amour et de partage. Il est certes émotionnellement éprouvant. Cependant on y apprend et on se plaît à vivre les histoires d’amour qui y fleurissent. Le récit imbriqué du terrible génocide des Bamilékés dans la passion dévorante d’Anna pour LOUIS semble fait à dessein. Si la cruauté des massacres nous assomme, l’idylle des deux jeunes nous comble de bonheur. Cruauté, tendresse, nous emballent dans une inconstance permanente. J’ai aimé ce roman avec autant de passion que j’ai détesté les politiciens génocidaires.

Puis dans ce passé trouble de violence et de trahisons, un personnage Awaya m’a sauvé des crises de nerfs. Awaya la mère de Bouissi est mon personnage préféré. J’ai vraiment été touchée par l’humanité de cette grand-mère, douce, mystérieuse, moderne. Autrefois, envoyer une fille à l’école, la suivre, la défendre, lui faire confiance malgré tout. De plus, son sens de l’accompagnement des jeunes pubères est très innovant.

L’écriture de la sobriété

Dans une écriture sobre qui se prête à la confidence, Anna fait le point de son existence avant le grand départ. L’écriture prend l’allure de ces mots soufflés, murmurés dans l’intimité d’une mère à sa fille. Pour réussir sa transmission, le langage se fait net, précis, sans équivoque. Telle une vie elle se fait morsures et caresses. C’est avec Tina que le rythme s’ébranle. En effet le récit est vite devenu dans la bouche de Tina haché, juxtaposé, dur. Il a perdu de sa richesse, de son charme pour devenir abrupt, violent à l’image du chaos qu’elle rapporte.

Vous devriez lire ce roman.

Cecile Avougnlankou 

Hemley Boum, Les jours viennent et passent
Editions Gallimard, Coll. Blanche, 2020

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