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Ainsi sont faites les lianes - Godefroy K. Mwanabwato (2022)
Thriller politique congolais
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in RDC, Roman, Sonia Le Moigne Euzenot on 27 mars 2023 0 Comments
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Ainsi sont faites les lianes.
Godefroy K.Mwanabwato, Les lettres mouchetées, 2022

 

« Ne culpabilise pas. Prends les choses comme elles viennent. Les voies de notre destin sont tortueuses. Comment aurions-nous pu prévoir de tomber sur Bulongo, coin perdu du Ruwenzori, ni de nous retrouver ici à côté d’enfants orphelins ? Comme l’a si bien dit ma pauvre Julie, toi, un Mungala congolais du Lubangi, tu es coincé ici avec un franco-congolais originaire Kasaï qui vient de perdre son épouse belgo-française. Deux enfants du Kivu rescapés d’un massacre nous accueillent chez eux à Beni, à la frontière ougandaise. » (p.145)

Toute l’histoire que nous raconte Godefroy K.Mwanabwato, dans Ainsi sont faites les lianes se déroule en RDC, entre le 16 et le 17 mai 2017. Concentration temporelle. Concentration spatiale : nous sommes dans la prison de Makala à Kinshasa. Deux personnages se font face : Zachée Diangenda et Ambroise Ngbokoso. Une génération les sépare. Ils se rencontrent pour la première fois. L’objet de leur rencontre ? Leur évasion imminente ! On ne s’évade pourtant pas de Makala. Espoir fou, délire mystique, d’un homme bousculé par seize années de détention ? Espoir fou d’un homme innocent tout récemment condamné à 20 ans de prison ? La tension dramaturgique qui naît de ce huis clos est tragique parce que leur tentative d’évasion est éminemment dangereuse. Les deux hommes portent un destin qui les dépasse. Leur combat est un combat politique profondément ancré dans l’Histoire de leur pays. Mfumu dit :

« Aux grands maux les grands remèdes. Je mène un combat qui ambitionne de redessiner les frontières de notre pays et celles de nos voisins. Je dois recréer l’état Kongo. Je dois rétablir la nation Kongo dans ses droits. » (p.25)

Ngbokoso, lui aussi, est un vaillant soldat même s’il ne partage pas toutes les idées de son aîné. Le dilemme qui s’impose alors à lui, tenter de s’évader ou ne pas tenter de s’évader, n’a rien de cornélien même si les deux interlocuteurs sont de la trempe des héros. À 64 ans, Ngbokoso sait qu’une telle occasion de s’évader ne se reproduira pas. Il sait aussi que Mfumu est persuadé de détenir des pouvoirs surnaturels. Et si ces moyens étaient efficaces ?

Godefroy K. Mwanabwato installe le début de son roman dans une atmosphère qui excelle à mélanger les registres et les genres, où le mysticisme de Mfumu s’exprime sur fond de prière d’une église de Réveil (p.15) par exemple ; où les idéaux qui animent les personnages sont toujours bafoués pour servir une autre narration, manipulée et pervertie. Le fatum ainsi posé est probablement le sujet à traquer, à disséquer, à confondre. La forme dramaturgique est, en effet, une entrée vers une autre forme littéraire qui n’est pas si éloignée ici : le thriller. 

Ainsi sont faites les lianes est un thriller politique. La fiction qui nous est proposée s’appuie sur des épisodes récents de l’histoire de la RDC qui la situe tout au long du livre dans un contexte à la fois factuel et émotionnel. La force de ce récit naît de cet entremêlement des registres. Et même si ma lecture ne me permet pas de savoir si tel ou tel épisode rapporté est proche ou non des faits tels qu’ils se sont déroulés, et, puisque ce que je lis appartient objectivement à la fiction, le texte de Godefroy K. Mwanabwato ne prive pas son lecteur de son désir de lire. Au contraire ! Il est suffisamment évocateur pour emporter l’adhésion de qui ne connaît pas avec exactitude ces terribles évènements et l’emmener aux côtés des personnages qui les vivent. Si la question de la réception d’un texte, quelqu’il soit, reste toujours posée, on peut, sans se tromper, penser que celle de ce thriller politique sera tout particulièrement sensible à l’horizon d’attente d’un lectorat qu’il soit congolais ou pas.

Le huis clos s’ouvre sur un espace-temps très précis. L’auteur prend soin de contextualiser les évènements qu’il rapporte avec un soin policier : 53 jours plus tôt, du 25 au 28 mars  2017. Le récit prend des allures de comptes-rendus d’enquêtes. Deux lieux concentrent les regards : Gemena, Sud-Ubangui et Bulongo, Ruwenzori. Des toponymes aisément identifiables. Des lieux de villégiature exceptionnels ? Indubitablement ! 

« progression à travers la confluence des rivières Bujuku et Emmubuku pour pénétrer au cœur d’une forêt tapissée de bruyères et de mousse. Exploration des bambouseraies, des tourbières et arbres festonnés en direction de Nyamileju Hut. Nuit sous la tente et sous les regards bienveillants du pic Marguerite et des montagnes de la Lune. » (p.38)

Mais lorsque la nature est privée de ses droits, que les êtres qui y vivent y sont bafoués, l’horreur s’installe :

« Il avança, le cœur battant. Une odeur putride de viande avariée lui sauta au nez. Il fit encore un pas et ce qu’il découvrit le cloua sur place. Un enchevêtrement de cadavres entassés les uns sur les autres. Des corps en putréfaction gonflés comme des montgolfières soufflées. » (p. 90)

Celui qui découvre ce spectacle atroce est un enfant ! Il se nomme Ndovya. Masika, est une petite fille qui elle aussi, devra voir de telles scènes. Peu de personnages traversent le récit de Godefroy K.Mwanabwato. Il y a Michel Tshihimbi, le correspondant de Radio France devenu simple cameraman sans accréditation officielle, Julie l’artiste animalière pleine de talent, Ngbokoso devenu pilote d’aéronefs dans le civil par choix :

« Voir d’anciens hommes de troupe comme lui gravir des échelons au sein de la hiérarchie militaire et s’enrichir outrageusement en raison de leur simple identité linguistique lui était devenu insupportable » (p.71) 

Cette économie de personnages contraste avec la multiplicité de ceux dont les actes, les comportements sont rapportés à chaque page du livre. Les évènements politiques occupent la majorité des lignes de ce livre. Ils se croisent et s’entrecroisent, se mêlent, se rapprochent et se disjoignent même si la chronologie linéaire des faits tant à proposer une forme d’ordre qui devraient aider à penser plus clairement telle ou telle actualité. Les angles de vue de Ngbokoso, celui de Michel, celui de Julie s’exposent et l’on devine qu’il est sans doute impossible de comprendre l’enchaînement des faits, leur enchevêtrement. Non pas seulement parce que, comme moi, on ne les connaît pas de l’intérieur, mais parce que les contextes dit Ngbokoso sont « des labyrinthes » :

« Que les rapports de force s’inversent et les amis d’hier se transforment en chiens à traquer au nom des intérêts politiques et stratégiques » (p.94)

Il n’empêche que ce thriller prend le temps, de dire, de préciser, de nommer des faits peut-être parce qu’en les objectivant, il pourrait repousser ce fatum de l’engrenage aux effets mortifères. La présence des deux enfants est précisément l’occasion de regarder la guerre à hauteur de leurs yeux. Bien sûr, le procédé narratif qui fait qu’à un certain moment du livre, le hasard rassemble tous les personnages dans un même lieu parait un peu daté mais, ici, il concourt à intensifier la dimension tragique de ce récit. L’enfermement dans un nouveau huis clos est terrifiant.

Le livre a pris le temps de faire connaissance avec Ndovya et Masika, de marcher à leurs côtés, de partager leur univers protégé et brusquement dévasté par le surgissement de l’ignominie. Comme Bill Kouélany dans Kipiala ou la rage d’être soi, publié en 2021 chez Les Avrils, Godefroy K.Mwanabwato donne chair aux évènements tragiques qui saignent l’Histoire de la RDC comme ils ont saigné celle de la RC. Ces deux écrivains arpentent la géographie des territoires en guerre en accompagnant les civils qui n’ont plus d’autre choix que de la vivre. Aussi cruels soient ces récits, ils incarnent l’absurdité qui broient les victimes civiles. Ils incarnent aussi, et magistralement, les espoirs et les questionnements qui ébranlent certains soldats écartelés, pris à leur tour, dans un engrenage qui les prive d’eux-mêmes. 

L’écriture de Godefroy K. Mwanabwato est sobre. Elle sert délicatement la dignité des êtres victimes de ce fatum encore tout puissant.

 

Sonia Le Moigne-Euzenot

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