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By Loza Seleshie Posted in Loza Seleshie, Poésie, Roman, Somalie on 20 août 2020 0 Comments
Warsan (n.f, sing.): Bonne nouvelle
Shire (n.m, sing) : Lieu de rassemblement
Warsan Shire : Là où les bonnes nouvelles se rassemblent
“Tout du peuple Somali [est poésie]. […] La poésie est le véhicule par lequel les Somalis posent les trois questions éternelles: d’où viens-je? Qui suis je? Et où est-ce que je vais d’ici? La poésie somali n’est pas de l’art pour l’art. […] Elle est didactique, et non purement esthétique”[1].
Warsan Shire naît au Kenya en 1988 suite au conflit en Somalie qui a provoqué le départ de sa famille. Elle arrive en Grande Bretagne, où elle réside toujours, à l’âge d’un an. Son premier recueil de poésie Où j’apprends à ma mère à donner naissance [2](vf en 2017) est une synthèse “des femmes, de l’amour, de la solitude et de la guerre. Par ordre chronologique”[3]. La richesse de son écriture atteste de la multitude de vies vécues en si peu de temps: 23 ans. On y ressent une réelle profondeur qui va au-delà des écrits. Elle a raison de dire que “tout le monde n’est pas à l’aise pour vivre comme une plaie ouverte. Mais les plaies ouvertes, […] on en guérit: l’air frais peut y entrer. C’est honnête”[4].
Warsan a la capacité de décrire les sentiments des autres avec une telle exactitude qu’il est difficile de distinguer sa voix de celle des autres. Sa capacité à être vulnérable sans peur[6] y est pour beaucoup. Rien n’est édulcoré : ni l’ombre, ni la lumière.
Les portraits sont intimes et réalistes. A tel point, que ça devient violent par moments. Mais encore et toujours, Warsan, par la parole, essaye de guérir. En mettant des mots sur des maux, elle restitue ce qui fut un temps, indicible. C’est le cas de la violence subie par les femmes : “ A ma fille je dirai, ‘quand viendront les hommes, tu t’incendieras’”[7]. Les injonctions (sociales, religieuses) faites aux corps et à la personne des femmes, exacerbées par la guerre, traversent les générations
“ Tu es sa mère/ Pourquoi ne l’as-tu pas prévenue/ […] les hommes ne l’aimeront pas si elle est couverte de continents/ Quel homme veut s’allonger et regarder le monde brûler dans sa chambre? ” [8]
Les règles n’étant pas toujours faites pour être respectées, on nous parle de vin fait maison, de Sofia qui
“ a utilisé du sang de pigeon lors de sa nuit de noces/ Le lendemain, au téléphone, elle m’a dit comment son mari a souri en voyant les draps/ […] son nom – Sofia/ pure, chaste, intacte/ Nous avons rigolé […]”[9]
Le désir destructeur et le désir créateur cohabitent dans l’oeuvre de Warsan Shire. Le portrait des grands-parents et leur amour que rares auraient osé décrire de la sorte est presque comme un baume sur les coeurs meurtris qui peuplent le livre. Il en est de même pour ceux qui s’aiment en secret. Il y a le mari qui revient alcoolique de Russie et celui qui pleure pour sa femme mourante. Les nuances, tout compte fait, se complètent à la perfection.
Comment ne pas lire les mots Somali avec émotion? Surtout lorsque l’on sait le prix de leur transmission. Warsan parle de ce qui a survécu (les épices, la poésie, les rites…) et de ce qui, inévitablement, ne sera plus.
“Le père de ta mère/le presque-martyr/ peut charger un pistolet sous l’eau en moins de quatre secondes”[10].
Le terme de ‘presque-martyr’ convient parfaitement à cette génération qui a construit, qui a vu la gloire, l’avant, qui a essayé préserver ce et ceux qui ont pu l’être. Alors on se demande si le statut de martyr aurait mieux valu lorsque celui-ci demande :
“[je] te supplie de me ramener à la maison yaqay/Je veux juste la voir une dernière fois” et que “Tu ne sais comment lui dire que rien ne sera comme il l’a laissé”[11]
Pour la génération qui naît et grandit en exil, la question du “chez soi” n’en est pas moins complexe. Comment faire le deuil d’un endroit qu’on n’a pas connu et qui pourtant est si familier? Le texte qui aborde ce thème est l’un des rares de l’ouvrage en prose, un choix mystérieux, qui n’en demeure pas moins poétique et saisissant. Il en va de même pour le reste de l’oeuvre où les poèmes peuvent parfois faire deux lignes et parfois toute une page. C’est cette liberté de forme, tout comme la liberté de ton; qui rend la poésie de Warsan Shire exacte et fascinante.
“Regardez toutes ces frontières, écumant à la bouche avec des corps brisés et désespérés”.
Le voyage traumatisant de l’exil est suivi d’une construction d’identité qui ne se fait pas sans conséquences.“Maymuun a perdu son accent avec l’aide de son université locale […] Elle vit de nouvelles choses. Nous comprenons”. Les contradictions de plus en plus apparentes:
“ [..] Quand elle avait mon âge, elle a volé/ le mari de la voisine, a brûlé son nom sur sa peau / […] Elle sourit, fait éclater son chewing-gum avant de dire/ les garçons sont haram, n’oublie jamais ça”[12].
De cette schizophrénie identitaire, certain(e)s en meurent, comme décrit dans Flotter avec Dieu. A tous, dans leur terres d’accueil, on leur demande d’où ils viennent.Question que l’on ne découvre qu’avec l’exil. Alors Warsan se dresse et répond “Ces regards haineux/ Ils nous glissent dessus / Parce que leurs coups / Sont beaucoup plus doux / Que de se faire arracher un membre.”[13]
Lu en anglais, extraits retranscrits
Un article de Loza Seleshie
Paru en 2011, Teaching my mother how to give birth
(éd. Flipped Eye Publishing Limited)
a été traduit en français Sika Fakambi en 2017
(éd. Isabelle Sauvage)
sous le titre Où j’apprends à ma mère à donner naissance
[1] Interview de K’Naan (2010) https://www.pbs.org/wnet/need-to-know/culture/somalia-is-a-%E2%80%98nation-of-poets%E2%80%99/770/#:~:text=However%2C%20Somalia%20is%20also%20known,through%20listening%20rather%20than%20reading.
[2] Texte lu en anglais, passages retranscrit
[3] Interview de Warsan Shire (2012)
http://wellandoftenpress.com/reader/to-be-vulnerable-and-fearless-an-interview-with-writer-warsan-shire/
[4] Interview de Warsan Shire (2012)
http://wellandoftenpress.com/reader/to-be-vulnerable-and-fearless-an-interview-with-writer-warsan-shire/
[5] Citation d’Audre Lorde, en préface de cet ouvrage
[6] Interview de Warsan Shire (2012)
http://wellandoftenpress.com/reader/to-be-vulnerable-and-fearless-an-interview-with-writer-warsan-shire/
[7] In Love and In War in Teaching my mother how to give birth (2011), Flipped eye publishing,
[8] Ugly in Teaching my mother how to give birth (2011), Flipped eye publishing
[9] Birds in Teaching my mother how to give birth (2011), Flipped eye publishing
[10] Old Spice in Teaching my mother how to give birth (2011), Flipped eye publishing
[11] idem
[12] Beauty in Teaching my mother how to give birth (2011), Flipped eye publishing,
[13] Home in Teaching my mother how to give birth (2011), Flipped eye publishing
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