Vincent Lombume Kalimasi, Parole de perroquet
Editions Miezi, Kinshasa, 2023, 287 pages
J’ai commencé il y a quelques semaines la rédaction de ma chronique à propos du roman de Vincent Kalimasi Parole de perroquet. Laissez-moi tout d’abord sourire et respirer. Il y a peu, un écrivain congolais conscient que j’avais terminé cette lecture depuis quelques temps, me sommait de produire une critique littéraire. Comme si on se lève et on donne son avis sur un tel texte, comme par un coup de baguette avec chatgpt. Comme si, lui, n’avait pas un cerveau et une capacité d’écrire une critique…
J’ai discuté récemment avec une amie basée à Kinshasa et elle me rapportait avec amusement que le texte n’est pas simple. Autant dire un OLNI (objet littéraire non identifié). Parole de perroquet est un roman exigeant. Vincent L. Kalimasi n’est pas homme à rabaisser ses standards d’esthétique sous le prétexte facile d’une inadéquation de son travail avec un public. La preuve avec son roman Parole de perroquet publié en 2023 aux éditions Miezi de Kinshasa. Peut-être faudrait-il parler de Vincent L. Kalimasi avant de croquer son ouvrage. L’homme a fait toute sa carrière en RDC après des études de philosophie et de journalisme du côté de Paris. Ce point est important. Vincent L. Kalimasi me renvoie à d’autres auteurs africains comme les Sénégalais Ibrahima Hane, Ameth Guissé, Abdoul Kane ou l’Ivoirien Mahmoud Soumaré. Ce sont des cadres supérieurs des administrations ou d’entreprises africaines ayant fait toute leur carrière professionnelle dans leur pays et qui arrivent souvent tard à l’écriture. Leur regard est animé par la question de l’urgence de prendre soin des marginaux, des opprimés d’une manière ou d’une autre. C’est assez frappant pour que je le souligne. Vincent L. Kalimasi a commencé à écrire au moment de la prise de sa retraite en 1997. En discutant avec son éditeur ou en analysant les préfaces de Richard Ali et de Fiston Mwanza, on mesure la reconnaissance dont Ya Vince* fait l’objet dans le monde du livre en RDC. Ses textes ont été publiés principalement en RDC ou chez Mabiki, un éditeur indépendant basé en Belgique. On pourrait penser qu’il s’agit d’un choix intentionnel. Dans l’interview qu’il m’a accordée, il y a quelques mois dans le cadre de mon podcast, Vincent Kalimasi indique clairement que pour sa part s’il peut être lu partout dans le monde, il n’y verrait pas d’inconvénient. Le fait est qu’il jouit d’une aura importante sur le lectorat et la nouvelle vagues d’auteurs congolais.
Le témoignage est celui du Coryphée qui est à la tête d’une escadrille de douze perroquets. Il a vu l’horreur de massacres et les restes de corps sur des étendues de terre de la plaine d’Escar. La narration de Coryphée va être un témoignage sur la folie d’Ogoli Kamon le Magnifique et son ivresse de pouvoir. Que ce soit par une assemblée de perroquets que la parole est libérée constitue une première interrogation ou interpellation pour le lecteur que je suis. Le perroquet répète à tue-tête sans grande intelligence ce qu’il entend, que la famille des perroquets pardonne la crudité de mes mots. Avec le Coryphée, c’est différent. Sa prise de parole est celle du conteur sans être celle du griot : les courtisans d’Ogoli Kamon sont suffisamment investis dans ce rôle pour que le Coryphée s’y prête :
« Le Coryphée est reconnaissable à la plume écarlate de son front, à l’émeraude de ses yeux bien sûr, et au craquèlement de sa parole pareil à celui des osselets divinatoires. Tous ces attributs le désignent comme un élu des dieux, capable de lire le passé, de comprendre et de prédire le futur. » (p.19)
Peut-on avoir meilleur narrateur ?
Ya Vince décrit la montée au pouvoir d’Ogoli Kamon le Magnifique. Il l’acquiert avec brutalité et ne lésine pas sur les moyens pour être à la hauteur de ses ambitions. Mais avant d’être troublé dans son sommeil, il faut rappeler qu’Ogoli Kamon a fait exécuter le premier président de ce pays fraîchement entré dans le concert des nations dites indépendantes. Il l’a tué et dévoré son cœur. Vincent Kalimasi a le sens de l’image. On se représente bien ce potentat. On l’imagine bien être l’incarnation d’un Mobutu, d’un Eyadema ou encore de Bokassa pour ne rester que dans le giron francophone.
“Il se proclama le Magnifique, à la fois Roi absolu, Président-à-vie et Tyran prodigieux. (p. 33) Aussitôt plusieurs centaines de ventres affamés poussèrent des vivats” (p.34)
On navigue déjà entre le burlesque, le tragi comique rien que dans cette séquence. On invente à Ogoli Kamon une ascendance qui remonte à un grand général de l’armée de Pharaon – quatre millénaires plutôt – qui ravit le pouvoir à ce dernier et mît un terme à sa vie en dévorant son cœur. Tout cela étant raconté avec l’emphase maximale du sublime perroquet conteur. Le jeu est subtil.
Est-ce que Kalimasi se moque de toutes ces peuplades subsahariennes qui ont besoin d’un rattachement à l’antique souveraineté des Egyptiens sur le monde ? Nous sommes dans un lisapo*. Avançons.
« Je suis le dévoreur du pouvoir ! » (p.35)
Certains y verront un principe de réincarnation qu’on retrouve dans de nombreuses cultures subsahariennes. Et j’ai le sentiment que Ya Vince joue sur tous ces registres pour donner sa version de cette Afrique et de ses potentats. Le propos est engageant et complexe. Le verbe de Kalimasi est à la fois pompeux et accessible. Ça dépend des moments. Mais il convoque un imaginaire généreux, inhabituel qui en perdra plus d’un, c’est sûr et certain. A priori, après avoir dévoré le cœur de son prédécesseur, que peut-il arriver à Ogoli Kamon?
Il faut être attentif. La narration n’est absolument pas linéaire. Peut-être la faute revient-elle à Kalimasi ou au Coryphée. Mais le temps d’un encart, on découvre l’enfance peu glorieuse d’Ogoli Kamon qui expliquerait aussi le destin qu’on s’invente pour être craint et respecté. Permettez-moi encore de m’attarder sur la scène de l’assassinat d’Arthur Morphonie le premier président de ce pays. Il y revient plusieurs fois au cours de la narration du Coryphée. Et certaines séquences m’ont renvoyé à des formes de discours de Sony Labou Tansi. En page 47, il y a cette tirade magnifique d’Ogoli Kamon :
“Je suis le Magnifique qui viens mettre fin aux rêves du dormeur et faire de toi mon épouse d’une moitié de la Citadelle ! »
Tout-à-coup d’Arthur Morphoni la voix tel un fracas de verre :
« Qui détruit mes rêves ? »
Difficile de ne pas penser à Patrice avec cette figure d’Arthur… Difficile de ne pas penser à Joseph Désiré qui deviendra Sese Seko… Difficile de ne pas penser au théâtre de Sony Labou Tansi… Mais Kalimasi dépasse tout cela.
Si l’exercice du pouvoir était un long fleuve tranquille, cela se saurait. On élimine physiquement un adversaire. On extermine les mâles de sa famille et on soumet la gente féminine. Mais assez rapidement, ses rêves vont tourner à la rupture et au chaos :
« Je suis l’Aigle des cîmes qui, de mes yeux nus, débusque les rats et les souris des constellations et, de mes yeux nus, tutoie la lune et le soleil! C’est moi le dévoreur de pouvoir ! » (p.61).
Le roman commence là. La tragédie aussi. Ogoli Kamon ne va avoir de cesse de tenter de saisir, de comprendre ce rêve où sa légitimité est fortement contestée. C’est intéressant de constater que c’est dans l’invisible que le combat se joue. Et la compréhension de ce qui se joue va être le problème. Un des intérêts de ce roman est la réflexion autour du pouvoir. Qui le détient réellement ? Ogoli Kamon est hanté par Anguluma. Il n’arrive pas à le sortir de ses rêves. Il s’adresse alors à ses conseillers… L’un d’entre eux qui a eu une cuisante désillusion avec une prostituée albinos propose ni plus ni moins au Tyran d’éliminer tous les Albinos de ces territoires. Je m’arrête pour l’histoire. Il vous appartient de lire ce roman puissant et de vous demander qui manipule réellement le pouvoir…
Cette phase du roman va permettre d’aborder tout un discours sur la marge. Elle est matérialisée par les Albinos certes. Mais aussi toute une kyrielle d’autres petits peuples comme les mombenga (pour ne pas reprendre le terme colonial, pygmées), les Nains des forêts… Il convoque un univers fantastique africain complexe. Il y a un côté tolkienien dans sa description de l’univers d’Uxim, de sa capitale, des états vassaux, pour apprivoiser le style de Vincent Kalimasi. Ogoli Kamon va faire traquer les Albinos, en espérant éliminer l’aigle sorcier qui le menace dans son sommeil. Il cède à la paranoïa et se livre à un massacre, satisfaisant indirectement les intérêts malsains de ces conseillers qui menacent la cohésion et la stabilité de son État.
Au-delà de la question du potentat qui laisse libre court à la violence qu’autorise son pouvoir absolu, la question que Kalimasi pose tantôt de manière frontale, tantôt de manière plus subliminale est celle de savoir comment on résiste à de tels systèmes iniques. Il a un discours très intéressant sur des êtres solaires.
« Petit, ce pays a besoin d’êtres solaires pour se mettre debout et apprendre d’eux à poser l’un après l’autre ses pas vers le Vivant ! Des êtres d’amour dévoreurs de leurs propres démons ! » (p.131)
Des figures qui ne se laissent pas corrompre par le pouvoir et les vautours qui l’entourent. Il est critique vis-à-vis des leaders religieux quant à leur capacité à émettre cette lumière, mais qui sombrent, sont trop légers. Il parle donc à des jeunes qui se questionnent dans le but qu’ils grandissent, « ba kola » comme on dit en lingala. Ces moments dans ce roman sont extrêmement puissants, parce que contrairement à nombre d’auteurs congolais, Vincent Kalimasi ne se contente pas de contempler un État en état de putréfaction, de décomposition soutenue comme le Congo, mais il envisage un leadership personnel passant par l’intégrité, la probité morale, le courage. Vincent Kalimasi porte la voix de celles et ceux qui sont opprimés. Il leur susurre que le changement est possible.
Accrochez-vous parce qu’il navigue à contre-courant dans les thèmes de la littérature de RDC comme un Tchicaya U Tam’si dans les années 80 revînt dans sa trilogie de romans sur la période coloniale alors que tous les auteurs croquaient les portraits de despotes mal lunés. Vincent Kalimasi revisite le mobutisme quand tous les écrivains actuels tentent de dire l’horreur sur les violences continues depuis 25 ans. Bref, Parole de perroquet est un roman, un conte, une pièce de théâtre portés par une écriture originale. Il faut prendre le temps de la lecture.
N’hésitez pas à écouter l’interview que j’ai réalisée avec l’écrivain congolais.
* Ya Vince, surnom affectueux de la communauté des lecteurs congolais à l’endroit de Vincent Lombume Kalimasi
* lisapo : histoire, conte en lingala
* mombenga : un des termes désignant les populations natives des forêts congolaises.
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