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Le Royaume du Nyoka, Floribert Mugaruka Mukanire (2023)

Remake du roman nigérian de Chinua Achebe Le monde s’effondre en plein coeur de la région des Grands Lacs.

Remake du roman nigérian de Chinua Achebe Le monde s’effondre en plein coeur de la région des Grands Lacs.

Le Royaume du Nyoka, Floribert Mugaruka Mukanire
Editions Ngo, 2023

Ma lecture du texte.

Un officier allemand et un groupe de mercenaires s’installent dans le Royaume du Nyoka quelque part du côté de la région des Grands Lacs en terre Bashi. Cette action se fait plutôt lentement et surement, avec la démonstration de force qu’imposent les mousquets et autres moyens militaires, et elle va précipiter le déclin déjà engagé de ce royaume. C’est le début de la colonisation.

Le roman propose une lecture africaine de cette bascule. Ainsi on observe l’arrivée de ces colons allemands, les alliances qu’ils tissent progressivement avec les élites du pays. C’est un texte sur la simplicité avec laquelle toute la mécanique de la colonisation s’est mise en branle, au travers de la facile manipulation d’une élite Bashi fragile…

Un sujet déjà abordé, mais revu dans le contexte des Grands Lacs.

La sauce cacahuète à de nombreuses variations en Afrique subsaharienne. Entre le mafé béninois et ses déclinaisons, le trois pièces congolais ou la sauce arachide ivoirienne, le fond musical est le même avec des variations intéressantes à analyser. C’est un peu la même histoire avec le choc de colonisation en Afrique. Il est très difficile sur le plan littéraire de ne pas évoquer Un monde s’effondre sur un tel sujet, ainsi que La flèche de Dieu de l’écrivain nigérian Chinua Achebe. La littérature africaine a permis d’analyser cette période coloniale, mais elle n’a pas suffisamment abordé la question de la rencontre entre ces deux mondes en confrontation (ou les raisons d’une non confrontation) a fait l’objet d’un approfondissement par le moyen de la fiction. En particulier en Afrique centrale. Florent Magaruka Mukanire vit et écrit Walungu, au sud de Bukavu dans le Sud Kivu en République Démocratique du Congo. Le contexte historique nous rappelle qu’un conflit territorial a eu lieu entre les Allemands qui s’installent et pilotent l’Afrique de l’Est (Actuel Rwanda, Burundi et Tanzanie) et l’Etat indépendant du Congo de Léopold II. Ce qui explique cette initiative allemande dans un territoire qui aujourd’hui appartient à la RDC. La clé de voûte de la rencontre, c’est celui qu’on appelle Kéru, c’est-à-dire Gustav von Goëtze. Pourtant, il est en arrière plan de la narration proposée par Floribert Mugaruka Mukanire, mais présent  sur les points de tension, décisif grâce aux alliés qui a trouvé assez facilement.

Parlons de l’écriture et de l’histoire.

Il n’y a pas un style d’écriture qui pourrait retenir le lecteur exigeant. C’est le parent pauvre de ce roman du congolais Floribert Mugaruka Mukanire. L’écriture est assez simple, sans éclats, sans fioritures non plus. Le roman raconte l’histoire de Yaki, un homme qui est devenu Grand Notable auprès cour du roi Nyoka Mballa II du royaume bashi du Nyoka. Yaki est le narrateur. Suite à une succession tumultueuse, par une série de circonstances heureuses, l’opportuniste Yaki participe à l’intronisation de Mballa Nyoka II. Le premier étant un fugitif accusé de la mort du précédent roi. Le second étant un bâtard, fils d’une esclave qui a survécu à l’épreuve du Bassin des dieux. Il est donc un héritier par défaut. Yaki jouit de la confiance du roi et de nombreux privilèges. Il est aussi en relation avec un officier allemand que l’on nomme Kéru qui vient de Tanzanie avec des intentions sur ce territoire dont ce dernier perçoit le potentiel de richesses. Dans ce contexte, une personne attente à la vie de Yaki. Il y a donc une intrigue dans cette cour royale qui se joue. Yaki tente de comprendre ce qui se passe, il enquête. En parallèle, le comte Gustav Von Götzen a.k.a Kéru s’installe sur la place haute du pays, la Colline Maudite, la protège par son armement, et commence d’insidieuses appropriations de terre et il engage l’exploitation de celles-ci. Les moyens empruntés à la traite Atlantique en pays Bashi : des terres obtenues contre quelques cartons de boîtes de sardines pour un propriétaire foncier édenté…

“Sumaïli, il est grand temps que tu te maries. il faut que je te montre tes propres terres. Celles qui resteront me permettront de vivre un peu plus longtemps car n’eut été les sardines des Blancs, je serais mort de faim.” (p.71) 

« C’est  dans  ces bijoux que les Blancs apportent leur nourriture. Sans eux je serais mort de faim depuis  longtemps à cause de mes dents qui tombent. Moi, je les trouve généreux… Si, je vous assure, même le roi ne peut vous offrir du lait et l’écuelle dans laquelle vous êtes servi. Oui, les Blancs me donnent leurs sardines et les boîtes qui les contiennent » (p.105)

Ainsi par Baruti, le chef de terre édenté. Au-delà de la dimension caricaturale, c’est l’actualité du geste qui me fait tristement sourire. Les Camerounais utilisent actuellement le terme de « sardinards » pour désigner une élite corrompue… On ne peut pas avoir une image plus parlante d’une répétition d’une histoire dont on ne tire pas des leçons.

Une intrigue approximative.

Ce roman a une ligne directrice qui n’est pas très claire qui rend difficile l’adhésion au projet. L’intrigue se joue dans les arcanes du pouvoir de ce royaume du Nyoka. Qui en veut à la vie de Yaki ? Qui saborde ses intérêts en éliminant une pièce importante de son cheptel alors qu’il prépare la dot qui va asseoir sa légitimité dans cette cour royale ? Un de ses vachers est tué. Une esclave de la cour tombe enceinte. Vous découvrirez les circonstances en lisant ce livre. Mais c’est un sacrilège et elle doit être sacrifiée pour cet acte d’égarement. Elle sait des choses sur les agissements troubles dans la cour et peut être sur celui qui a tenté de tuer Yaki… On a tout de même du mal à suivre ce qui se passe autour de Yaki. La caractérisation des personnages étant insuffisante de mon point de vue, il  est donc difficile de les voir apparaître, réapparaître. Toutefois en s’accrochant, le lecteur aura les clés. 

Ce que dit le texte.

Ce roman parle avant tout du chamboulement apporté par ces européens à cet éco-système traditionnel Bashi. Il dit surtout l’ambiguïté des postures des uns des autres dans cette cour royale face à cette force qui occupe progressivement l’espace. Entre les conservateurs dont certains sont conscients qu’on les dénude totalement de leur pouvoir comme le nganga (sorcier ou officiant spirituel) qui se débat avec des ressources qui peuvent prêter à sourire si on ne se met pas dans le contexte :

“Pourtant, toi et moi nous pouvons redresser les choses et sauver le royaume. Rapproche-toi le plus possible de Kéru. S’il t’arrive d’attraper quelques-uns de ses cheveux ou ceux de l’un de ses frères, je peux mettre au point une mixture capable de réveiller la conscience endormie de tout un peuple, à commencer par celle du roi” (p.53)

Entre les jongleurs qui mangent à tous les rateliers et jouent leur propre partition à l’instar de Yaki et les collaborateurs (collabos) qui ont fait un choix clair parce qu’ils n’ont plus de place dans le modèle ancien, il y a toute la problématique de la fragilité autour de l’argumentaire de certaines croyances et rituels qui ne résiste pas au système de valeurs qu’opposent ceux qui vont occuper le territoire. Cette division est celle déjà vu chez Chinua Achebe dans Un monde s’effrondre entre les partisans de la tradition igbo et les christianisés. Floribert  Mugaruka Mukanire reprend Achebe de ce point de vue. De manière plus confuse. Il y a beaucoup de personnages. La trame est fragile. Achebe avait fait simple : une description précise de l’avant, de lla rencontre, et de l’après. Chez Mukanire, il y a un entre-deux difficile à suivre entre le polar “ethnique” et l’action de séduction et d’intrusion des Allemands dans cet espace. On apprend beaucoup de choses. Mugaruka Mukanire écrit depuis Walungu dans l’est de RDC. Il nous fait découvrir le fait colonial avec des schémas identifiés ailleurs. Le problème est donc profond.

Gangoueus

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