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Jocelyn Danga - Cette lettre que je t'écrirai peut être jamais (2023)
Un long poème pour dire les traumatismes d'un soldat congolais
By Gangoueus Posted in Gangoueus, Nouvelles, RDC on 29 mars 2024 0 Comments
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Cette lettre que je ne t’écrirai peut-être jamais, Jocelyn Danga
Editions Nzoï, 2023, Médaille d’or du Prix de la Francophonie de littérature

Il a tué un homme pour posséder sa chèvre… Le crime de trop…

Parfois il m’arrive de penser “sommes-nous encore humains ?”.  Comment faisons-nous pour survivre à certains événements ? Comment survit-on à l’univers carcéral extrême des cahots congolais ? Comment continue-t-on à vivre sereinement après avoir été kadogo ? Le “On” est trop prétentieux. Je ne pense pas que je dépasserai ces conditions dans lesquelles sont placés certains hommes, certains enfants. Comment font-ils ?

“J’étouffe…
Depuis trois jours ou peut-être quatre, j’sais plus… j’sais juste que j’étouffe…” (p.9)

Je le dis parce que je vis en Occident. Et, je vois combien on chipote ici aux moindres petits traumatismes à coup de cellules psychologiques suite à un attentat ou une inondation. Je vois comment Hollywood a longtemps proposé un narratif sur l’enfer vécu par les soldats au Viêt-Nam avec Platoon de Brian de Palma, Apocalypse now de Francis Ford Coppola ou encore Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino ou plus récemment sur la guerre du Golfe, conflit apparemment moins traumatisant. La guerre est douloureuse en soi à l’instant où le soldat est impliqué et quand il y survit, elle continue de le travailler, de le détruire. Oui, mon introduction est un peu longue. Cette lettre que je ne t’écrirai peut-être pas est une nouvelle. Mais en fait c’est surtout la longue mélopée poétique d’un enfant de la guerre. Mélancolique, la voix heurtée, le kadogo raconte une séquence de vie. Il est dans une troupe, avec d’autres enfants soldats encadrés par des officiers. Pause : rien ne dit réellement qu’il s’agit d’un kadogo. Mais j’en ai cependant la conviction et je poursuis mon propos avec ce biais. J’ai l’estomac noué, je suis triste et impuissant. L’écriture de Jocelyn Danga. Elle convoque le drame d’un pays en guerre depuis 27 ans, un conflit armé qui a fait au moins une dizaine de millions de morts. Dans le calme. Dans le silence phénoménale de la communauté internationale, dans la moiteur des nuits kinoises qui n’ont cessé de faire la fête alors qu’on tue et on viole à l’autre bout du pays. Jocelyn Danga parle de cet enfant. Je pense à ce gamin tueur en série qui se souvient qu’il a une mère et qui pense qu’il est une merde :

“ Veilles-tu sur moi ?
J’te cherche dans les étoiles
Là-bas si loin tu m’attends peut-être
J’te cherche. Te recrée” (p.22)

Jocelyn Danga redit les classiques de l’endoctrinement d’un enfant soldat. La loyauté. La fidélité et la puissance de son arme. Il dit les peurs, les rêves, les cauchemars du petit congolais armé. D’ailleurs cette arme ne fait pas tout. Des hommes non armés sont capables de représailles plus terribles que celles du petit soldat. Le combat se poursuit dans d’autres espaces immatériels. Ce roman me renvoie à d’autres très grands romans sur ce sujet comme Souviens-toi de moi, l’enfant de demain de Serge Amisi (éd. Vents d’Ailleurs, coll. Fragments) sur la solitude du kadogo ou encore Confessions d’une sardine sans-tête de Guy-Alexandre Sounda qui parle des chocs post-traumatiques des guerres congolaises sur d’anciens combattants en tenant des croyances bantoues construites sur le culte des ancêtres, donc une interaction complexe avec les morts. La poésie du kadogo me touche parce que la tentation du suicide est réelle. Il n’en peut plus de porter ces charges, cette horreur. Kurtz. Il aimerait tant parler à sa mère. Il se demande si la cruauté de ses actes ne va pas finir par avoir des incidences physiques ou “mystiques” sur ses proches. Il se pose des questions qu’un enfant ne devrait pas se poser. 

“ Une chose… mais c’pas lui. Cette chose c’pas ton fils. Ton fils est une âme déserte, consciente que chaque coup de balle à expulsée d’son propre corps.” (p.23)

Peut-être ai-je l’estomac noué parce qu’on répète les mêmes choses. Petite culpabilité à la semaine, totalement inutile. Je sors d’une lecture récentedu roman de Jennifer Richard, Notre royaume n’est pas de ce monde (éd. Albin Michel). Encore, encore les corps des congolais sont mutilés physiquement ou psychiquement. Inlassablement, les cycles de violence s’enchaînent pour la même raison : l’incapacité des congolais à protéger leur territoire et encore moins leur sous-sol. C’est aussi, l’ignorance de nombreux africains sur ce qu’ils se passent dans l’est de la RDC. L’ignorance nourrissant l’impunité, on n’est pas sorti de l’auberge. Cette nouvelle est belle, terrible, choquante sur le crime de trop qui vous fait irrémédiablement basculer vers la folie. 

Gangoueus

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