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Hakim BAH, Fais que les étoiles me considèrent davantage
« Zan : à chaque bref instant commence l’être autour de chaque ici roule la sphère de là-bas le milieu est partout le chemin de l’éternité est sourd les jours nous spolient et se dérobent nous sommes les jouets du temps »
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in Guinée, Sonia Le Moigne Euzenot, Théâtre, Théâtre on 5 août 2020 0 Comments
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Hakim BAH, Fais que les étoiles me considèrent davantage,
Préface et croquis de Jacques Allaire, Paris, Passage(s), Libres courts au Tarmac, 2018. 

Quatre personnages pour Fais que les étoiles me considèrent davantage : trois hommes (Zan, Holy_Cross et Zorje _Kotlik), une femme, Ruby, et Tyee, l’enfant mort de Ruby et Zan. Un décor : « Dans ce qui peut être une cabane quelque part »  Ce quelque part est un lieu glacial mais sa terre gelée est aurifère.

La pièce de théâtre écrite par Hakim Bah s’ouvre sur un témoignage poignant : Zan raconte sa douleur, son effroi, sa souffrance incommensurable devant le corps de Tyee dont il ne parvient pas à admettre la mort. Son corps voudrait accompagner le corps de l’enfant pour le réchauffer.

Dans ce huis-clos improbable, hors du monde, hors des contraintes socialement établies se jouent des affrontements physiques, verbaux qui se cognent aux valeurs communément admises. Cette pièce est dense, servie par une écriture resserrée, percutante. Elle sonne juste, frontalement. Nous sommes au théâtre et c’est justement cette forme de théâtre qui perturbe, embarrasse et déconcerte que j’affectionne. Les hommes qui sont là ne sont pas des enfants de chœur, Ruby elle-même n’a pas été forcée à venir avec le petit Tyee dans un endroit pareil lorsque Zan le lui a demandé. Tous, jusque-là, formaient une équipe pour creuser la terre glacée et y trouver de l’or. La mort de l’enfant a traumatisé le groupe. 

Le projet à l’origine de cette création dramatique est une demande de Jacques Allaire :

« L’idée de ce spectacle prend source dans Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzche, lui-même source d’inspiration des romans et nouvelles de Jack London »

Avec Valérie Baran, ils pensent tout de suite à le proposer à Hakim Bah, alors en résidence au Tarmac. Nous sommes en 2018. Jacques Allaire lui soumet croquis et dessins de mises en scènes (reproduits dans le volume) à partir desquels l’écriture va se déclencher. 

Holly_Cross (comme tous les autres personnages) ressemble à Martin Eden, le personnage éponyme du roman de Jack London. Tous deux sont prêts à tout pour atteindre leur idéal parce que cet idéal les nourrit, les rend vivant. Ils trouveront de l’or ! Le héros de Jack London est certain d’être un grand écrivain, toute son énergie est absorbée par cette volonté d’y parvenir, malgré les refus répétés des journaux, malgré les doutes de Ruth, sa fiancée, malgré ses origines sociales, malgré le manque criant d’argent. Sa vie a un sens :

« Pour ce qui me concerne, je suis un individualiste. Je crois que la course est gagnée par le plus rapide, la bataille par le plus fort » (Martin Eden, Folio 6197, p.353)

Holly_Cross, au nom bien choisi, est porté par la même obstination mais ce qui différencie les deux hommes, c’est l’appât du gain. Martin n’y accorde aucune importance, Holly_Cross et ses compagnons, si. S’enrichir oriente chacune de leurs pulsions. La mort de l’enfant n’a pas entamé leur acharnement. Elle a modifié les rapports humains qu’ils entretenaient. Soupçons, procès d’intention, esprit de vengeance, haine, rancœur créent de nouveaux rapports de force, violents, destructeurs, avilissants. La langue d’Hakim Bah, sans ponctuation, avec des retours à la ligne qui font entendre une respiration haletante amplifie le sentiment de mal être qui baigne l’ensemble de cette pièce de théâtre. Ce monde-là est un monde dystopique. Holly _Cross (p40) :

l’or nous encercle
cette trouvaille est une preuve
il faut continuer à creuser
creuser plus profond
creuser plus longtemps
ne pas se contenter de ces quelques petites poussières
creuser à vider le sol de ses entrailles
creuser à dépouiller chaque centimètre de sa chair

Sur le plateau, les questions, les questionnements jaillissent, se révèlent, s’affrontent. Pourquoi Tyee est-il mort ? Zan l’a-t-il protégé ? Pourquoi Zan ne l’a-t-il pas protégé ? Pourquoi n’a-t-il protégé aucun des membres de son équipe ? Pourquoi a-t-il disparu ? Et pourquoi revient-il ? Comment la part sombre de chaque personnage en vient-elle à se faire jour, à contaminer chaque élan un tant soit peu positif de l’autre ? Les cadavres qui s’accumulent dans cette pièce sont-ils des victimes ? Qui est bourreau ? Sont-ils les victimes d’un assassinat ? Quelle justice la société est-elle capable de mettre en place pour permettre à chaque individu de vivre son rêve quand celui-ci n’obéit pas aux valeurs morales de l’époque et du lieu dans lequel il vit ? Et si Ruby, la seule à exiger de se plier aux conventions légales était garante d’une forme de stabilité pour le groupe ? Que laisse-t-elle rougeoyer ? Comme la famille Morse dans Martin Eden incarne le pouvoir asséchant d’une bourgeoisie assise sur ses prérogatives, Ruby pourrait tout autant devenir celle qui incarne le frein moral qui étouffe l’élan créatif.

L’écriture d’Hakim Bah porte en elle une force pugnace capable de se charger d’une profonde sensibilité. Elle se prête au récit autant qu’à l’art dramatique. La bibliographie déjà riche de cet auteur a prouvé sa maitrise. Difficile de choisir un exemple. Dans Tachetures, recueil de nouvelles publié aux Éditions Ganndal en 2015, l’évocation poétique de la pluie la métamorphose (p.33) :

« L’averse. La pluie. Une grande pluie. Des rafales de gouttes. Telles qu’on en connaît à Conakry en Août. Les gouttes enragées frémissent sur le toit. Jettent ses pierres torrentielles sur le ventre de la terre qui semble s’inonder de larmes. Des larmes qui s’embuent les pupilles et se referment entre les paupières. »

Dans Fais que les étoiles me considèrent davantage, cet extrait situé au tout début de la pièce : sorte d’incipit qui imprime la tension émotionnelle qui enserre tout le drame qui va se poursuivre sur le plateau. Zan est près du corps de son fils (p.13) :

« j’espérais qu’après la fonte son corps allait se réanimer comme la nature
qu’il se mettrait à gazouiller comme les oiseaux dans les arbres fleuris
que son sang se remettrait à couler comme les cours d’eau »

Hakim Bah a l’art de raconter les émotions, les plus douces comme les plus viles.

Sonia Le Moigne-Euzenot

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