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Ebamba Kinshasa Makambo - Richard Ali Mutu (2014)

Les déboires d'un kinois...

Les déboires d'un kinois...

Ebamba Kinshasa Makambo, Richard Ali A. Mutu
Editions Mabiki, 2013, 92 pages

Ebamba, Kinshasa Makambo le troisième roman en lingala (1) que j’aborde et je pense que sa réputation est justifiée. C’est le meilleur que j’ai lu. J’ai encore plusieurs textes des éditions Mabiki à découvrir. J’aurais l’occasion de pouvoir vous proposer d’autres analyses sur cette littérature en langue congolaise.

Tout d’abord, il faut que je vous fasse une petite story autour du livre de l’écrivain congolais Richard Ali Mutu. Ce roman publié en 2004 a été traduit du lingala en français (Jean-Claude Ntuala / Jacques Richard ) et du lingala en anglais (Mr fix-it, par Bienvenu Sene Mongaba / Sarah Mortoni). Il a fait l’objet d’une très bonne réception à Kinshasa lors de sa parution. Alors la question évidente que l’internaute se pose est : « Qu’est-ce qui le différencie des autres  romans publiés en lingala ? ». Pourquoi cette attention de l’écrivain kenyan Ngugi Wa Thiong’o qui porte la question d’une littérature en langues africaines depuis les années 70 quand il a commencé à écrire et produire du théâtre en langue kikuyu ? Il faut se rappeler qu’écrire dans sa langue maternelle a valu à l’écrivain kényan, de faire un séjour dans les geôles de son pays, alors que ses plus grands textes écrits en anglais avaient, jusque là, peu dérangés les autorités kenyanes. Une relation de cause à effet ? Rien ne vaut en termes d’impact d’être au plus près de la langue du public, du peuple auquel on s’adresse.

Ici, il s’agit de masolo, comprenez par cette expression en lingala, des histoires se déroulant principalement à Kinshasa pour les romans que j’ai lus. Ebamba est un homme sans histoire de 38 ans qui engage des démarches pour épouser Eyenga. Le roman commence par une description de la rencontre des familles en vue d’obtenir une liste des exigences à fournir pour achever le processus de la dot. Ce qui est intéressant dans le propos de Richard Ali, c’est la description de certains détails de la scène dynamique qu’il peint comme l’élément climatique. En effet, cette cérémonie a lieu alors qu’une pluie diluvienne s’abat sur la ville, entraînant des coupures d’électricité et des problèmes d’évacuation des eaux. Une situation est apocalyptique qui impose un contexte au lecteur. La négociation entre les deux familles l’est tout autant et elle est paralysée par ce clash avec le ciel. 

Je ne sais pas si je peux dire que Richard Ali prend du plaisir à raconter les déboires d’Ebamba. Il serait un peu sadique dans ce cas. Parce que ce personnage a pas mal de makambo (problèmes). L’écrivain plante le contexte : son personnage principal a fait des études en gestion. Qualifié, il l’est. Mais cela n’est pas suffisant et obtenir un emploi à Kin passe par des compromissions qui laisseront songeur le lecteur. Le pouvoir est détenu par une petite clique de congolais qui laisse à quelques opérateurs économiques étrangers le droit d’abuser de leur position. Sous quelle forme, il vous appartient de lire ce roman, si vous comprenez le lingala.

Mettre des mots en lingala pour décrire le profil d’un prédateur sexuel, peindre la séduction d’une femme, parler du crépuscule du ciel avec ses différentes teintes de couleur, c’est un exercice complexe. En commençant cette lecture, j’ai eu le réflexe habituel de traduire en français dans ma tête les phrases lues en lingala. Un exercice coûteux en effort. Mais au fur et mesure de cette lecture, je me suis habitué à la langue exigeante d’Ali Mutu. En effet, contrairement à Bienvenu Séné Mongaba (2), Ali Mutu ne cède pas à la facilité du frangala (3) qui fluidifie pourtant la lecture. Il pousse le lecteur vers le dictionnaire de Dzokanga ou vers celui de Mongaba. Le lecteur doit être volontaire dans ce corps à corps avec les mots. 

Ebamba se bat contre les circonstances. J’ai le sentiment qu’il n’est le maître de rien du tout. Il refuse le pouvoir d’un emploi stable par éthique pour mieux sombrer sous l’emprise du corps de la fille de la propriétaire de son logement. Là encore, les mots sur l’érotisme sont là, le pouvoir de décrire est là. Il y a cependant un manque de poésie. Cette posée que l’on retrouve dans les paroles des plus grandes voix de la rumba congolaise comme celle de M’Pongo Love que Richard Ali convoque dans son roman, pour parler de la peine de coeur d’un de ses personnages.

Papa Wemba chante que dans le contexte congolais « chance eloko pamba » expression qui pouvant signifier le fait que Kinshasa est le lieu de toutes possibilités où la chance se ramasse à tout coin de rue. Le lecteur peut douter de cette formule pour ce qui concerne Ebamba et il pourrait penser que le destin s’acharne sur cet homme. Il est aussi une figure de l’indécision qui se traduit par le mal qu’il inflige à sa fiancée Eyanga. J’aime la tendresse avec laquelle Richard Ali Mutu le décrit même ses actes ont des conséquences funestes. 

Gangoueus

(1)  Le lingala est une langue véhiculaire parlée en RDC et en République du Congo.
(2) Bienvenu Sene Mongaba est un écrivain et éditeur congolais. Sa maison d’édition Mabiki publie des textes en langues congolaises (lingala, swahili, kikongo, ciluba) et en langue française.
(3)  Le terme Frangala désigne une forme du lingala empruntant énormément au français.

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