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Soamiely Andriamananjara, Lance-pierre, éditions Dodo Vole, 2020  
Navalona et sa Touareg rouge s’amènent, faites gaffe les enfants !
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in Madagascar, Nouvelles, Sonia Le Moigne Euzenot on 30 décembre 2020 0 Comments
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Soamiely Andriamananjara, Lance-pierre, éditions Dodo Vole, 2020

 

Navalona et sa Touareg rouge s’amènent, faites gaffe les enfants !

Lance-pierre réunit onze nouvelles écrites en malgache par Soamiely Andriamananjara, traduites en français par Johary Ravaloson et publiées aux éditions Dodo Vole. Souvent malicieuses, ces courts récits sont vraiment agréables à découvrir, comme autant de petites pépites à savourer. Le recueil n’a pas d’unité thématique, ce qui n’est pas, non plus, sans intérêt. On peut les lire en suivant l’ordre donné par l’auteur ou bien vagabonder à son gré, inspiré par tel titre plutôt que par tel autre, par exemple. À les observer, on sent bien qu’ils n’ont pas été choisis au hasard. Ils cherchent à intriguer (« Solivophone »), à émoustiller (« La fille aux baskets violettes »), à attiser la curiosité (« Rouge gagnant », « Le portefeuille ») … Soamiely Andriamananjara doit aimer jouer avec son lecteur. C’est aussi sans doute pourquoi il a choisi de nous proposer des « nouvelles à chutes ». On dirait bien aussi que la première, « Lance-pierre », et la dernière nouvelle, « Le portefeuille », structurent le recueil.

Un même cadre spatial rassemble dix des onze nouvelles : elles se déroulent sur l’île de Madagascar, et plus localement à Antananarivo (« belle ville ») et ses alentours. Le dernier récit ne s’en détache pas totalement. À Washington, un des personnages, malgache, garde précieusement son Tanindrazana, un peu de la terre de ses ancêtres, dans son portefeuille. Soamiely Andriamananjara est un amoureux de sa ville, de son île, de ses habitants qu’il observe avec bienveillance. « Madamegaspar chérie, une et indivisible » (p.110) est le lieu de saynètes souvent légères, mais…pas tant que ça.

Ainsi, la nouvelle éponyme. Elle raconte comment Doara, un employé de la famille de Tojo, lui a montré, alors qu’il n’avait qu’une dizaine d’années, comment fabriquer un lance-pierre, comment l’étape du choix de la branche de goyavier est essentielle. Simple initiation manuelle ? Précieuse en effet, indispensable, oui. Tojo, lui, découvre l’amitié auprès de Doara. Ce dernier est un idéaliste, ardent défenseur de l’égalité entre tous les êtres et, du coup, capable de parler à un enfant en s’appuyant sur la considération qu’il lui accorde d’emblée. L’enfant est impressionné. L’arrière-plan philosophique et politique de cette nouvelle nourrit l’anecdote du lance-pierre, jalonnée de références historiques subtilement distillées. Trente ans plus tard, Tojo est devenu avocat, Doara est emprisonné et, à la radio, on entend une chanson de Lolo sy ny tariny :

« Aza tsahoan’ialahy leitsy aho ry leiry e !Haiko tsara izany kaozy izany, Tsy ho hitako eto an-tany mihitsy leitsy ry leiry e ! Raha izany fitoviana izany… »

« Ne me raconte pas de sornettes, mon pote ! Je connais bien cette histoire. On ne verra jamais sur terre, mon pote, l’égalité́ que tu proclames… » (p.20)

Ce lance-pierre ne propulse pas seulement des pierres, il sert de tremplin aux nouvelles qui suivent, toutes aussi prétendument futiles ou insouciantes. Difficile de toutes les rapporter. J’ai beaucoup aimé « Rouge-gagnant » parce qu’elle est faussement anecdotique. L’écriture est vive et désopilante à la fois. Elle donne à voir une partie de bonneteau, un sacré spectacle ! Jimmy est le maître du jeu, un fonctionnaire de passage est le candidat aux gains vite acquis. Inversion des rapports de force ?

« Jimmy refaisait son numéro avec les cartes. Ses gestes ondoyant, retournant les cartes, les repassant, faisaient penser aux mains agiles des danseurs d’opérette malgache. En vrai mpihira-gasy, parfois il les faisait carrément suivre de jetés de bras et d’épaulés, ravissant les spectateurs conquis. Sans compter sa bouche qui ne cessait de démontrer son bagou.

Le monsieur fonctionnaire ne quitta point les lieux. Il s’y plaisait, émoustillé́ certainement par son gain. Quand Jimmy eut fini sa parade et ses repassages, il posa cinq mille sur la carte à l’extrême gauche. Et c’était vraiment la Dame de cœur, n’en déplaise ! Et son argent fut multiplié par deux, devint dix mille ! Il était ravi, le fonctionnaire. Tollé́ sur tollé́ de ceux qui voyaient.

— La chance vous sourit vraiment aujourd’hui, Milord, ne partez surtout pas ! s’exclama celui qui portait une casquette rouge.

La partie de rouge gagnant continua et le fonctionnaire gagna encore le tour suivant. Et encore aux deux tours d’après. Il bondissait, devenant un vrai ressort, en prenant quatre- vingt mille des mains de Jimmy.

— Quatre-vingt mille ! » (p.32)

Écrire des nouvelles n’a rien d’aisé. L’exercice demande du doigté, de la mesure. Dans « Lettre à Gaspard », Soamiely Andriamananjara convoque la forme épistolaire : le récit à la première personne voudrait garantir son authenticité. Joël, le scripteur, se défend d’avoir mis le feu à la maison du frère de celui qui, pour se moquer de lui, le nomme toujours Jao. L’art du récit, ici, est de conduire insidieusement le récit sur une mauvaise voie tout en affichant chacun des signaux indicateurs. La précision fait la réussite de cette nouvelle, délicieusement désarçonnante.

Le même jeu ostensiblement affiché se retrouve dans « Herizo S. Razoharimanga, coiffeur » : il est celui qui, dans sa vie de tous les jours, explique qu’il ne sait pas argumenter, ou se défendre lorsqu’il est bafoué par exemple mais qui, sur la page de ce recueil, sait si bien raconter ! La perversion du jeu social est criante, sa dénonciation, elle, pleine d’humanité. Très attachants sont aussi les époux (très, trop ? honnêtes) Rabéza dans « L’étrange fortune de Rabeza », ou encore ce poète en mal d’inspiration qui nous livre sa potion miracle contre « la crampe du poète » alors qu’il cherche vainement à composer les vers qui plairont à son épouse :

« La crampe du poète était venue sans prévenir cette nuit-là̀. Une de grande intensité́. Ibouny MC, poète Cinq honneurs était complètement contracté. Plus d’inspiration et l’esprit en divagation. Il se leva pour préparer rapidement le remède. Il n’avait pas de mandravasarotra. Le whisky était toutefois de vingt ans d’âge. Il en prit deux verres de suite, de peur que la dose ne soit pas efficace. Sa blanche colombe allait bientôt s’éveiller. » (p.121)

L’auteur maîtrise l’art de la nouvelle, c’est indéniable et celle qui s’intitule «  N’oublie pas Clovis » est un modèle du genre : entre narration orale proche du récit populaire par ses scansions, sa bascule dans le fantastique, et récit de faits tellement proches du réel qu’à l’évidence, l’auteur, ici encore, prouve qu’il sait fouiller l’âme humaine. Le contenu des bagages d’Andry, personnage de la dernière nouvelle de ce recueil intitulée « Le portefeuille » semble contenir tous les éléments des autres nouvelles » : le sens de la famille, le patrimoine malgache (les nouvelles regorgent de références musicales notamment, mais pas seulement), l’attachement affectif et culturel à des racines, à des valeurs humaines :

« Dans ses bagages, quand Andry avait quitté́ Madagascar, il y avait un épais pull- over en laine tricoté par sa tante, un bracelet vangovango en argent offert par son oncle, une couverture en tapis-mendiant cousue par une autre tante, une Bible et un livre de cantiques offerts par ses grands-parents, trois cassettes enregistrées par son frère avec ses chansons malgaches favorites. Ainsi que le portefeuille en cuir de croco adoré. »

Ce lance-pierre fabriqué par Doara pourrait l’avoir été par Andry.

Sonia Le Moigne-Euzenot

Lareus Gangoueus · Extrait du recueil de nouvelles Lance pierre, lu par Jean-Paul Tooh Tooh
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