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Une africaine au Japon - Nina Wade (2017)
« Dans l’ancien protocole impérial nippon, il est stipulé que l’on s’adressera à l’Empereur avec “stupeur et tremblements”. ». Amélie Nothomb, Stupeur et tremblements.
By Abdoulaye Imorou Posted in Abdoulaye Imorou, Autofiction, Roman, Sénégal on 20 mai 2020 4 Comments
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Stupeur et tremblements

   L’autodérision est parfois le plus gros bras
d’honneur qu’on puisse faire à l’adversité

Edem Boateng

 

Une Africaine au Japon est l’histoire de Nina, une Sénégalaise qui suit son mari au Japon dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais ses rêves vont être vite déçus. Le Japon se révèle peu accueillant pour la gaijin (étrangère) qu’elle est : il n’y a ni bonnes à recruter, ni crèches abordables pour s’occuper de Bébé. Nina est condamnée aux joies de la vie de femme au foyer, aux repas à préparer, à la vaisselle à laver, aux couches à changer, au mari à supporter, aux activités épanouissantes à oublier.

L’autofiction d’environ 70 pages est publiée en 2016 aux éditions Diasporas noires sur le site desquelles on peut la commander en version papier ou électronique. Cette dernière est également disponible aux NENA (Nouvelles éditions numériques africaines) et sur les plateformes habituelles. L’autofiction comprend deux parties. La première, « Osaka » raconte la vie de Nina au Japon ; la deuxième, « Dakar », porte sur le retour anticipé au Sénégal et propose une sorte de bilan de l’aventure nipponne.

Pour Nina, le monde qui l’attend à Osaka s’apparente à une dystopie (p. 28) dans le sens où il est organisé en un système auquel on ne peut échapper et dans lequel il est impossible de s’épanouir. Ce monde est sexuellement ségrégué, les hommes et les femmes ne se fréquentant quasiment pas, en dehors de la vie de couple. C’est ainsi qu’une Japonaise s’étonne de ce que Nina reçoive un mail d’un ami sénégalais :

Impressionnée, elle me dit « Je n’ai aucun ami homme ». Honto (vraiment) ? Oui, vraiment, elle n’en avait pas. Le clivage est aussi net que ça. (p. 21).

De plus, les femmes semblent vouées à s’occuper de la maison et des enfants. Le système y veille puisque, à moins d’avoir un emploi officiel ou d’être étudiante à plein temps, il n’accordera aucune place à la crèche ou à l’école maternelle. En outre, le coût de la vie invite à réfléchir deux fois avant de penser à acheter des appareils électroménagers. Nina est ainsi contrainte à faire la lessive et la vaisselle à la main. Dès lors, sa vie à Osaka se résume à s’occuper de la maison et des enfants, avec grâce et le sourire s’il vous plait. En effet, la société japonaise lui impose également d’être parfaite, d’être à l’image de la ville d’Osaka, toujours proprette (p. 41). Quant à se plaindre, il n’en est pas question :

Par ailleurs, si j’avais voulu râler en sa présence, j’aurais dû y mettre tellement de formes que le message aurait été édulcoré.(p. 36).

Pour une Nina qui était habituée à tout déléguer à sa bonne, le combat est inégal : « J’ai été mise KO par le monstre domestique » (p. 14).

Heureusement, il y a tout de même un moyen d’échapper à la dystopie : retourner au Sénégal. Nina choisit donc de laisser son mari poursuivre seul l’aventure japonaise et s’en retourne à Dakar où elle retrouve papa, maman, les amis et surtout la bonne. Plus de lessive, plus de vaisselle, plus de cuisine, plus de stratagèmes à trouver pour que Bébé accepte de manger un peu : la bonne est là pour s’occuper de tout. Libérée du monstre domestique, Nina peut à nouveau ouvrir les bras à la vie sociale.

Une Africaine au Japon peut laisser l’impression d’être juste l’histoire d’une petite bourgeoise gâtée qui se plaint d’avoir été obligée de faire la vaisselle et de s’occuper de ses enfants parce qu’elle n’avait pas la possibilité d’engager une bonne au Japon. Mais, justement, tout son intérêt réside là, car, il faut bien être honnête : le livre nous prend à contre-pied. On s’attendait à un Stupeur et tremblements version Sénégal, à ce que le parcours de Nina soit encore plus pénible que celui du personnage d’Amélie Nothomb du fait de la circonstance aggravante que constituerait le racisme anti-noir. Il n’en fut rien. Comme l’indique Nina Wade elle-même, si on peut parler de stupeur, point de tremblements ici : « Avec stupeur mais sans tremblements » (p. 53).

En effet, à aucun moment, ni le Japon, ni les Japonais n’apparaissent comme des entités qui subjuguent. De même, Nina ne se vit jamais dans la peau de quelqu’un à qui on en impose. Elle se donne à voir comme une femme qui évolue dans un univers qui ne lui convient pas, une femme qui sait qu’elle n’acceptera pas de se fondre dans le moule, une femme puissante.

Cette puissance est portée par le style de Nina Wade. Le ton est à l’humour et à l’autodérision. Tije, qui a illustré la couverture, l’a d’ailleurs bien saisi lorsqu’il met en scène une femme qui fait semblant de s’étrangler avec deux baguettes. Le livre, dans son ensemble, est tout aussi badin, y compris dans le traitement des sujets les plus sérieux. Il en est, par exemple, ainsi lorsque l’auteure dénonce le machisme subtil de la société japonaise :

Le Japon et sa candide phallocratie était un pays contre-indiqué dans mon cas. Candide, car les hommes y sont bien polis et sympathiques, malgré tout. J’ai avalé la pilule de ma féminité infirmante, mais on ne me l’a fait prendre enrobée de plusieurs couches de gentillesse. (p. 55).

Quant à l’autodérision, elle est particulièrement visible dans la manière dont l’auteure parle de ses rapports au monstre domestique :

Je me suis donc battue avec ma paresse naturelle pour venir à bout de mon aversion pour la vaisselle et les travaux ménagers dans leur ensemble. Las ! Ils ont eu raison de moi. (p. 14).

Ce style est une marque de puissance en cela qu’il permet à Nina Wade d’affirmer l’individualité de son personnage.
Nina est loin d’être pensée comme un personnage archétypal qui représenterait le migrant africain au Japon. Elle a une personnalité et une présence au monde qui lui sont propres. Elle se caractérise, entre autre, par une forme de paresse assumée. En outre, cette « paresse » n’est pas aussi « naturelle » qu’elle le dit. En effet, plus que de paresse, il faudrait parler d’une attitude philosophique. Il ne s’agit pas tellement pour Nina de ne vouloir rien faire. Il s’agit surtout de refuser d’endosser le rôle de la femme modèle que cherche à lui imposer le Japon… et le Sénégal. En effet, ce caractère, elle ne se le découvre pas, comme elle-même a pu le penser un temps, au Japon. C’est ce qu’elle apprend, lorsqu’à son retour à Dakar, elle tombe sur l’un de ses anciens textes :

Avec stupeur mais sans tremblements, je suis tombée sur un vieux papier datant de novembre 2008, ici à Dakar, le même discours, six ans auparavant : le Japon n’y était donc pour rien !
« Je suis très loin de mener la vie que j’aimerais mener. Des répétitions quotidiennes de séances télé étirées. La musique parfois efficacement agréable, des émissions souvent enrichissantes mais au bout du compte, toujours ce sentiment d’inutilité. Écrire au moins, c’est faire quelque chose de mes mains. Les travaux ménagers m’abîment, me fatiguent et sont impossibles à effectuer correctement avec Dom dans les pattes. Je suis affalée dans un fauteuil pendant que la bonne s’active à la cuisine et à la buanderie…» (p. 53).

Ainsi donc, Osaka n’aura fait que ramener à la surface un trait profond du caractère de Nina. Ce constat est de première importance. Il nie au Japon et à l’expérience de la migration le pouvoir de décider de la personnalité de Nina. Ainsi, celle-ci apparait moins comme la victime d’une aventure qui a mal tourné que comme une femme qui a décidé de rester fidèle à ses principes même si cela signifiait de vivre séparée de son mari.

Il ne s’agit pas, ici, de dire que les mois passés à Osaka n’ont pas été éprouvants. Il s’agit de noter que Nina a fait le choix de ne pas leur donner plus de poids qu’ils n’en ont. Elle a choisi de ne leur reconnaitre que l’importance qu’ils ont, celle d’une petite parenthèse qui aura marqué sa vie, mais sans être en mesure de décider de son destin. Sur ce point, sa capacité à user de l’autodérision est capitale. Le fait de rire de la situation et surtout d’elle-même lui permet de mettre l’aventure japonaise à distance, de relativiser les déceptions qu’elle a pu engendrer et de chérir les moments de joie qu’elle a tout de même occasionnés. Il y a peut-être là, une leçon dont le discours sur l’Afrique pourrait s’inspirer.

Nina Wade, Une Africaine au Japon
Éditions Diasporas noires
Également disponible sur le site des Nouvelles éditions numériques africaines

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