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L'eunuque et l'empereur - Solo Niaré (2024)
Mansa Moussa, Kounandi et l'IA.
By Gangoueus Posted in Gangoueus, Guinée, Roman on 14 octobre 2024 0 Comments
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L’eunuque et l’empereur, Solo Niaré
Editions Nimba, 2024, 289 pages

Voici un prompt que j’ai soumis à chatgpt : “Cite-moi cinq difficultés pour écrire un roman historique”. A partir des réponses de l’IA générative, je vais construire un article autour d’un roman qui m’a beaucoup plu L’eunuque et l’empereur du guinéen Solo Niaré.

Écrire un roman historique présente plusieurs défis uniques, car il s’agit de créer une fiction tout en restant fidèle aux faits historiques. Voici cinq des principales difficultés rencontrées par les auteurs de romans historiques

1. Recherches historiques approfondies

L’un des plus grands défis est de s’assurer que le contexte historique du roman est précis et fidèle aux événements et aux pratiques de l’époque. Cela inclut les faits politiques, les coutumes sociales, la langue, les vêtements, les coutumes alimentaires, et bien plus. Toute inexactitude pourrait nuire à l’authenticité du récit et même déplaire aux lecteurs.

Solo Niaré m’a bluffé dans le cadre de cette fiction. Il avait déjà écrit auparavant un recueil de nouvelles et des livres jeunesse engageants. S’emparer du pèlerinage mythique de Kankan Moussa, c’est extrêmement ambitieux. Tous les collégiens du continent ont eu droit à une évocation de cet épisode de l’histoire. De mon point de vue, il a réussi le challenge. Quels sont les faits historiques ? Un souverain manding en 1324 part avec 60000 pèlerins pour la Mecque. Il est le sixième souverain de cet empire et il va traverser le Sahara avec une fortune lui permettant de faire montre de générosité, de sécuriser le parcours… Au-delà de l’aspect singulier, exceptionnel, dangereux de cette expédition – parce qu’il ne s’agit pas de remonter simplement le Nil, mais d’affronter le Sahara avec ses prédateurs, ses trafiquants, d’oasis en oasis, d’ouest en est – Solo Niaré conduit cette séquence comme un roman d’aventure. On découvre au fil de cette marche, les intrigues, des dissensions internes… Comment un tel voyage aussi complexe a-t-il pu être envisagé ? Comment s’est-il organisé ? À lire Solo Niaré, il y a une forme de naïveté de la part de Mansa Moussa qui découvre au cours du voyage la violence d’un système prédateur que constitue la traite transsaharienne et qui compte se nourrir sur le cheptel de Mansan Moussa qui traverse ses contrées et qui pose un problème fondamental pour des coreligionnaires de l’Islam. Solo Niaré a dû reconstruire un univers, celui du chemin vers l’Orient des caravaniers qui commerçaient avec l’empire Manding, grand pourvoyeur en or et en sel du monde médiéval, celui des oasis, celui du Caire, celui en particulier de Medine où réside le tombeau de Mahomet, mais surtout celui de Niani, la capitale de l’empire.

2. Équilibre entre faits et fiction

Le défi est de trouver un équilibre entre le respect de l’histoire et l’invention romanesque. Les événements historiques doivent être intégrés à la narration sans surcharger le lecteur avec des détails qui ralentissent l’intrigue. L’auteur doit créer des personnages et des histoires intéressantes qui s‘intègrent de manière naturelle dans le cadre historique.

J’aime ce deuxième point d’analyse proposé par l’IA générative. C’est du bon sens.  Solo Niaré ne propose pas un documentaire historique, un livre d’histoire, mais une vraie fiction sur laquelle va s’adosser le pèlerinage vers la Mecque de Kankan Moussa. C’est là qu’intervient l’eunuque, l’esclavagisé Bilel, de son vrai nom Kounandi. En 1304, Kounandi fait l’objet d’un rapt par des marchands d’esclaves. Kounandi fait partie de la confrérie des Simbo, une société secrète de l’Empire du Mali. Par un concours de circonstances il est embarqué vers la péninsule arabique, avec comme destination finale Médine. Si on devait être plus précis, il est vendu au Caire à un maître redoutable pour ne pas dire pervers. Puis, il va être revendu à un marchand qui le mettra à disposition d’un notable important de Médine, après une castration. L’IA Generative parlait d’équilibre entre les faits et la fiction. La question des eunuques n’est pas nouvelle. C’est un fait historique sur lequel Tidiane Ndiaye s’appuie pour écrire son fameux essai Le génocide voilé. Solo Niaré va travailler pour donner au lecteur une mesure de la condition d’un eunuque. Cela passe par une description détaillée de la castration de Kounandi, une scène crue, froide s’inscrivant dans la chaîne des horreurs que l’humanité a produite : un mâle sur quatre survivait à cette pratique installée dans le temps. L’écrivain nous prend donc aux tripes parce que le travail d’écriture est réussi et on sent qu’il a pris le temps d’aborder le sujet sous tous les angles possibles. Kounandi est rebaptisé ou renommé Bilel. Il va être formé pour devenir l‘un des eunuques les plus érudits de la ville et ainsi tenir le harem de son maître. Là encore, Solo Niaré me surprend et donne de sérieuses bourrades à mon intelligence et surtout à mon ignorance sur ce sujet. Je pense que j’ai trop regardé Angélique Marquise des anges (ceux qui connaissent la référence comprendront). Je n’envisageais pas le harem comme un lieu de débauche et de luxure. P. Diddy (une autre référence) est dans le contexte du roman de Solo Niaré, un petit joueur. Je dois dire que je ne connais pas assez cette dimension du monde arabo-musulman. Kounandi est un bon exécutant, instruit, soumis, qui veille au grain sur le bon fonctionnement de ce harem afin qu’il réponde au mieux aux exigences de son maître. Il tombe amoureux de Yasmina, une esclave de cette enceinte, née en servitude, dont les parents ont été capturés de la région de la Grande Eau qui ne coule pas (l’actuel Lac Tchad). Rien que sur ce point, vous cogitez comme un processeur Intel dernière génération. C’est là que Solo Niaré réussit quelque chose d’exceptionnel : il m’instruit, il me divertit, il me fait même rêver à partir d’événements douloureux. Parce que cette histoire d’amour au coeur des ténèbres de la condition humaine, est touchante. Au bout de 17 ans de servitude, Bilel a.k.a Kounandi réussit à s’échapper et repart vers le Mali.  L’équilibre est là, ce jeu extrêmement subtil avec la vraisemblance.

3. Créer des personnages crédibles

Les personnages doivent paraître authentiques par rapport à leur époque, tout en restant intéressants et attachants pour les lecteurs contemporains. Les valeurs et les comportements d’une époque révolutionnaire peuvent parfois sembler démodés, voire offensants, aux lecteurs modernes. Il faut donc créer des personnages fidèles à leur époque tout en les rendant compréhensibles et crédibles.

Kounandi est un personnage crédible. Pourtant, je pense que beaucoup d’entre vous ne se représentent pas une relation amoureuse entre un eunuque et une servante dans un harem. Montesquieu nous aide quelque peu dans ses Lettres persanes. Le personnage de Kounandi porte ce roman. Je vous laisse imaginer le retour de cet homme à Niani, en évitant les pièges du désert et le risque d’être de nouveau intercepté par des marchands d’esclaves. Il y a quelques limites pour lesquelles n’importe quel lecteur hargneux, qui lit cette partie du roman comme un thriller, saura faire preuve d’indulgence. Solo Niaré est très bon. La crédibilité du personnage vaut aussi dans la relation qu’il va développer avec l’empereur Kankan Moussa qui envisage un pèlerinage vers la Mecque. Ce dernier a entendu parler de ce prédicateur érudit qui a vécu à Médine. La mise en scène de cette confrérie des Simbo simplifie la communication entre l’empereur, sa garde rapprochée et l’eunuque.

 4. Langue et dialogues adaptés

Un autre défi consiste à utiliser un langage qui reflète l’époque historique sans être trop anachronique ni incompréhensible pour les lecteurs modernes. Trouver la bonne tonalité pour les dialogues est particulièrement difficile : les personnages doivent parler comme des gens de leur temps, mais de manière fluide et accessible pour les lecteurs

Sur ce point l’IA pose une bonne question. Qui est prise en compte par l’écrivain. Sur la question des langues, naturellement c’est Kounandi qui va faire le pont avec les interlocuteurs arabes. Les deux langues d’expression sont le mandé et l’arabe. Mais rien que dans l’empire du Mali, on peut sans trop se tromper, penser qu’il y avait plusieurs langues de communication. Que les commerçants d’esclaves, souvent berbères ou amazigh, ne parlaient pas forcément l’arabe. Il y a donc une simplification de la part de l’auteur. Une simplification utile. 

5. Rester fidèle aux événements sans étouffer l’intrigue

La structure d’un roman doit rester captivante, et ce, même si l’auteur doit respecter une chronologie ou des événements historiques importants. Parfois, les événements réels peuvent ne pas se prêter naturellement à une intrigue dramatique, et il faut savoir adapter la réalité sans la déformer de façon flagrante pour garder un équilibre entre le divertissement et la réalité.

Je remercie l’IA générative pour offrir une telle structure de mon article. Il me permet encore mieux d’apprécier le travail de Solo Niaré. C’est un très bon conteur. Il sait raconter des histoires. Kounandi va être une pièce maîtresse de l’expédition menée par l’empereur Kankan Moussa, nourri par son expérience passée de captif, puis d’eunuque à Médine. Il va être un atout exceptionnel pour déjouer certaines intrigues du parcours de l’empereur et de sa “smala”. Je pense que mon dernier terme est foncièrement anachronique. Qu’est-ce qui peut pousser un ancien esclave à revenir sur le lieu de son traumatisme : l’amour et la vengeance.  Est-ce raisonnable ? Il est dans un convoi impérial qui sème l’abondance sur son chemin. 

Solo Niaré est très critique et suspicieux sur les relations entre le Manding et le monde arabo-musulman. Il n’est pas loin de dire que ce pèlerinage est une vaste entreprise d’extorsion d’argent, mieux d’or. Il y a quelque chose en plus que j’ai beaucoup aimé dans ce roman, c’est le portrait de Kankan Moussa, empereur du Manding. C’est un roi débonnaire, un berger qui veille sur chacune de ses brebis. L’écrivain lui prête le développement conscient ou pas d’une certaine éthique du pouvoir et de la bonne gouvernance. La négociation engagée avec les états  traversés par le convoi est construite à partir de cette perspective heureuse : ne perdre aucun de ses administrés. La narration de l’arrêt du convoi en raison de l’enlèvement de plusieurs pèlerins par des mercenaires, en dit long de la posture de l’empereur. Il y a des discussions entre l’empereur, Kounandi et d’autres simbo très proches du monarque qui sont passionnantes et posent une réflexion sur la géopolitique du Mali et de l’influence des puissnc. Je m’arrête là. 

 

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