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Le conclave des 13 démons - Alphonse Montcho (2024)

Alphonse Montcho, Le conclave des treize démons
Nouvelles, Légende édition, Porto-Novo, 2024, 125p.

Cher Gangoueus,
Le 2 juillet 2013, pendant je m’embourbais dans des livres liés à ma formation à l’École Normale Supérieure de Porto-Novo, toi tu assistais à l’Université populaire des littératures africaines¹, aux côtés de l’homme du Psychanalyste de Brazzaville qui vient de recevoir le Grand Prix Afrique 2023, le Dr Jean Aimé Dibakana Mouanda a.k.a Dibakana Mankessi pour le monde littéraire, Joss Doszen et d’autres, à une communication qu’animait mon compatriote Jacques Dalodé, intitulée « Approcher le mysticisme à travers le roman ». Aujourd’hui, je reviens te parler de cette même thématique, le mysticisme, à travers un auteur de l’actuelle génération d’écrivains béninois à la plume châtiée, qui fait la fierté de la jeunesse et balaie les calomnies qu’on jette, à tort ou à raison, sur les jeunes auteurs de nos jours.

Comme dans Très bonnes nouvelles du Bénin de Jacques Dalodé, le mysticisme est un thème omniprésent dans la littérature béninoise, même s’il est en dose homéopathique dans la plupart des œuvres. On le voit chez Olympe Bhêly-Quenum, dans presque l’entièreté de son œuvre, mais fondamentalement, à mon sens, dans son roman L’initié, où le personnage Kofi-Marc Tingo, dont le patronyme, dans les langues du continuum gbé ici au Bénin, porte déjà en lui une charge sémantique mystique, vainc dans un combat kabbalistique l’oncle Djessou, dépositaire des forces maléfiques avec lesquelles il s’exprime comme le mal incarné. J’aurais pu citer Les Appels du vodou. Mais cette œuvre me semble plus relever de l’épistémologie du vodun que de l’expression du mystique tel qu’il se vit dans l’œuvre de Montcho. Il s’agit donc ici de ce que j’appellerais le mysticisme animiste, entendu que qui dit mysticisme dit possibilité d’entrer en relation avec une force supérieure ou simplement avec Dieu, qu’il soit chrétien, islamique, bouddhiste ou vodun. Nous parlons donc ici des choses cachées, relevant de l’ésotérisme, du monde noir et de l’ordre des initiés. Mais beaucoup plus particulièrement, du monde vodun. Commençons !

Nouvelle 1 : Même les sirènes sont rejetées par la mer.

Le texte débute avec une scène érotique excellemment poétisée, comme tout le recueil d’ailleurs. Scène érotique de deux heures torrides assurée par un jeune homme dans une relation de gigolo avec une nympho de 10 ans plus âgée que lui. Il n’a pas le contrôle du jeu ni de contrôle sur le jeu. Il n’est qu’un personnage agissant, subissant les choses comme tous les héros picaresques qui se font ballotter au gré des intrigues. Subissant son titre de prestataire de service sexuel, ce n’est, en réalité, tout ce qu’il est : un prestataire de service sexuel, que des femmes appellent pour éteindre avec son braquemart le feu de leur volcan libidineux.
Puis il commet le malheur de tomber amoureux de la nymphomane, au point d’abandonner pour elle sa petite amie enceinte. Un amour rejeté, asymétrique.

« …tu m’arrêtes sur-le-champ cette farce de cirque. Mon cœur est hostile à l’amour. Mon cœur est un panier sans fond. Il ne peut rien contenir. Tu m’entends ? Je suis incapable d’aimer. Je ne sais que baiser, mon petit. Seulement ça et rien d’autre. Tu me suis ? Ton cas, on aurait dit un gosse qui s’efforce de témoigner de l’amour filial à sa mère qu’il tringle pourtant. Ressaisis-toi, jeune homme. » p19.

Le Goumin de ce rejet le ronge, le détruit. Il prend conscience de son statut d’utilisé, d’eau souillée qui ne sert qu’à éteindre des incendies charnels puis, sombre dans l’alcool.

Car « l’alcool, comme dit Alphonse, est un poignard pour tuer la douleur, éventrer l’amertume. » p19.

Alors, il picole pour noyer son affliction. En vain. L’affliction, dans ses errances, sous l’effet de l’éthanol, le conduit à la plage, la nuit. Là, il bascule dans un autre univers : le royaume du fantastique qui exhalait déjà dans le titre de la nouvelle : les sirènes. Dans le sable fin marin où un monticule l’a fait tomber, ses yeux, une fois ouverts, découvrent une constellation de créatures bizarres, des corps sans visage qui rôdent autour de lui. Des corps sombres, immatériels, qui tiennent quand même une bougie chacun, des corps qui l’emmènent dans le tréfonds d’un monde où règnent, en maître, l’effroi et la terreur.

Des années plus tard, Sè Wéwé, la nymphomane, ne rencontre aucun testiculard voulant être le réchauffeur légal de son lit. Aucun homme. Aucun mari qui se profile à l’horizon. Lorsque le bonheur vous est refusé dans le monde du visible, l’homme africain a tendance à s’en remettre à celui de l’invisible. L’univers mystique s’ouvre à elle. Elle investit les maisons d’interrogation du sort, du questionnement du destin, d’essartage d’avenir pour creuser, fouiller et bêcher, ne laisser aucune place où sa soif de copuler légalement et de convoler en justes noces ne passe et repasse. Elle investit ce monde pour voir clair dans ce qui éloigne tout masculin d’elle. Des babalaos aux bokɔnons (5) en passant par Mama Ahuifo (une bokɔnon haïtienne), elle fait des vɔ (6) et des vɔ, elle parcourt les encablures opaques de Cotonou, nuitamment, mais n’obtient hélas pas gain de cause jusqu’à ce que son chemin, à nouveau, croise celui de l’homme à qui elle avait brisé le cœur et qui avait disparu dans les embruns de la mer, « son beau chacal » comme elle l’appelle, qui n’est plus désormais ni un chacal ni la machine à jouissance qu’il était naguère, mais un prestataire de service divin, un homme de Dieu de l’église du christianisme céleste : Holy Jijoho. L’homme lui prescrit un autre vɔ à faire. Elle le fait, sans effet.

Puis, un matin, un matin né d’un orage qui a délavé la ville, des pêcheurs à la senne, au bout d’un épuisement d’énergie physique consenti, découvre dans leur prise, dans le présent de la mer, un poisson particulier qui n’avait rien d’un poisson. Qu’est-ce qu’un corps féminin provenant de la mer peut être si ce n’est qu’une sirène ? Un corps féminin sans vie ; une sirène donc rejetée par la mer. Le bannissement respecte encore la vie ailleurs. Peut-être dans le monde des humains. Mais sous d’autres cieux imperceptibles à l’humain, aux pays des invisibilités, du mysticisme, le bannissement est une condamnation à mort. Une exécution. La sirène à la peau pâle est un cadavre. Le cadavre de Sè Wéwé pêchée par les pêcheurs. Le titre de la nouvelle se fait donc clair. Il y a des sirènes et des sirènes. Et certaines peuvent être rejetées par la mer quand elles atteignent et franchissent le seuil de l’intolérable dans le monde des sentiments.

« Vous êtes liée par la sirène des eaux. » Lui dit Holy Jijoho quand elle était revenue s’enquérir du pourquoi de l’échec de son vɔ. « En effet, sœur en Christ, lui répond l’homme de Dieu, le présent n’a pas été accepté. Dieu n’a pas agréé votre offrande. Cela m’a été récemment révélé. Vous êtes liée par la sirène des eaux. C’est elle qui combat votre mariage depuis toutes ces années. » p 35-36.

L’ultime et implacable vɔ que le Holy lui avait prescrit était avec une dague préparée pour tuer la Mamy-wata qui lui faisait ombrage dans la trouvaille d’un mari. Elle ne remportera jamais la bataille. L’avait-elle amorcée même ? Puisque, comme l’explique Alphonse Montcho, Holy Jijoho a réussi à l’offrir en sacrifice pour assouvir sa soif pour la richesse. Son pacte avec la Gouvernante des eaux marines (rappelez-vous qu’il avait disparu dans le ventre de la mer) a été scellé avec son sang d’albinos.
La femme avait donc déjà scellé son sort à la seconde où elle a rejeté un amour dont elle ne voulait pas. La question est de savoir si l’objectif d’Alphonse Montcho est d’inoculer une peur mystique dans le cœur des femmes. Sè Wéwé n’avait-elle pas le droit de dire NON à Holy Jijoho ? Les femmes doivent-elles dire OUI à tout homme qui les désire au risque de finir sacrifiées dans une opération mystique ? Un chrétien céleste qui lit la nouvelle doit-il désormais se méfier des visions des Holy de sa paroisse ? Ce sont là les questions que soulève ce texte d’Alphonse Montcho, auxquelles le lecteur, seul, doit répondre dans un univers où les réalités mystiques et le monde naturel vivent en concomitance.

Nouvelle 2 : Le conclave des treize démons.

L’écriture ici est étoilée, décrivant une lune qui fait des siennes malgré l’obscurité. On lit la prosopographie d’une créature humaine aux allures mystérieuses, nocturne, en percale, tels les fantômes que l’on perçoit la nuit. Elle s’évapore d’abord dans la brume d’une vons, puis se retrouve dans un restaurant, le restaurant du personnage principal qui, une fois invité à se joindre à elle à sa table, découvre que la créature, à qui, sous sa demande, elle venait de servir une nappe de plats dégoulinant de…, n’est en réalité qu’elle-même. Oui, le mysticisme, c’est aussi l’onirisme. Les cauchemars. Le personnage principal, la restauratrice, vient de faire un rêve sinistre.

Comme dans un film, la plume zappe cette scène pour propulser le lecteur dans une autre, faite d’univers hydraulique, spiritualiste et ritualiste, comme tout le recueil d’ailleurs. On voit de nouveau Mambo Ahuifo. Oui, comme chez Gary Victor ou chez Agatha Christie dans ses romans policiers, nous sommes ici dans un recueil où un même personnage est présent dans toutes les nouvelles. Mambo Afuifo, dans quatre nouvelles sur cinq, est tantôt prêtre de Fa, tantôt chef d’une confrérie des sorciers ou d’une loge occulte, tantôt simple citoyenne à réputation dangereuse de par ses pouvoirs mystiques. Ici, cette ubiquiste est à la tête d’une confrérie appelée « Le conclave de 13 démons ». La confrérie est en pleine procession, galvanisée par un chant-refrain des Frères GUEDEHOUNGUE, fredonné en chœur avec d’autres, dont le personnage principal. Ils créent une constellation dans le noir opaque de la nuit avec la languette enflammée des bougies. Direction, Ouidah, la cité historique du pays où ils violent la terre des morts. Le rituel, très méticuleux, religieux, commence, décrit aux pages 54-55 du livre. Le personnage, tenancière d’un restaurant-bar au quartier Gbènan, sous l’égide de Mambo Ahuifo, vient ainsi d’être initié.
Son bar bordant une voie bitumée, fleurit, prospère, restaure toute la ville et ameute tous les affamés de la terre qui ne veulent manger nulle part ailleurs que là. Mais plus des gens y mangent, plus la mort qu’elle avait servie dans son rêve-allégorie, se restaure également du plat qu’elle lui sert spirituellement, le plat d’abord de ses servantes mortes dans un incendie, ensuite des passagers qui meurent d’accident pile devant son restaurant. Et tous ces morts se cristallisent pour trouer le voile de ses sommeils, pour la nourrir de cauchemars toutes les nuits.

Le lecteur ne comprend néanmoins pas pourquoi elle ne démissionne pas pour avoir la paix. Montcho, qui doit sûrement être un sorcier lui-même… nous répondra peut-être qu’il y a des cercles dans lesquels l’entrée n’est qu’un aller simple, toute rétractation  se soldant par une mort certaine.
Puis un énième accident se produit, celui d’une « nubile aux traits de liane ». Dans une horreur indescriptible. Si indescriptible qu’il déclenche l’arrivée des gambadassi (7). La victime, par métempsychose, se réincarne dans l’une des adeptes du vodun, dévoile au public le secret de la dame et déterre, dans un rituel de désenvoûtement, la bière de talisman que la restauratrice, membre du conclave des treize démons, pour avoir toujours plus de clients, avait inhumé sous le perron de son restaurant, délivrant ainsi la ville ou le lieu, de l’emprise de la mort.

Peut-on encore manger dans les maquis achalandés après lecture de cette nouvelle ? Alphonse Montcho tient visiblement à nous en dissuader, quand on sait que circulent des rumeurs des cuisines faites avec des ingrédients humains : des suintements de cadavres ou autres organes du corps. En même temps, est-il en soi immoral de recourir à des pratiques mystiques pour attirer la clientèle ? Je te laisse répondre, cher Gangoueus !

Nouvelle 3 : Tu n’auras que le rire de la poussière comme linceul.

« Le soleil ne peut affamer le jour parce que c’est le jour qui tolère sa sortie, le silence ne se négocie pas parce qu’il s’arrache à la dictature du bruit, les oreilles ne peuvent jamais dépasser la tête parce que c’est la tête qui autorise leur existence. »

La logique de ce troisième texte du recueil, long poème séquencé en strophes distribuées sur les pages, se trouve logée dans cette série de proverbes qu’on lit dans Les fantômes du Brésil de Florent .Couao-Zotti.

Fatima, sorcière de première division, membre du « Conclave des treize démons », n’aurait pas dû défier sa mère. Elle aurait dû savoir que « la noix du Mal » que lui a fait ingérer sa mère n’était pas de rang élevé. Elle n’aurait pas dû aller à la recherche de « ce cœur feu de forge » que recherchait aussi sa mère. Elle aurait dû écouter sa mise en garde, sa menace, elle aurait dû la prendre au sérieux et ne jamais effectuer ce voyage astral. Et peut-être, peut-être alors ne serait-elle pas tombée au milieu de cette « folle foule » en plein midi lors d’un voyage astral. Nous sommes ici face à la guerre de pouvoirs, guerre pour accéder au grade supérieur au sein des membres d’une même secte fonctionnant avec le Diable. La fille a défié sa mère et en a payé le prix, en perdant et en mourant. Une leçon magistrale en matière du respect de la hiérarchie.

Le monde mystique n’est pas une anarchie. Il semble avoir des règles. Peut-être des règles méticuleuses, plus impitoyables que celles du monde normal ; où toute infraction ou manquement à l’aîné se paye par la mort ou pire que la mort : la déchéance totale, aussi bien là-bas qu’ici. On comprend pourquoi, par l’attitude impétueuse de cette jeune fille, certains hommes assis dans l’occultisme refusent de léguer des secrets mystiques de développement à la jeune génération. Ils préfèrent mourir avec ces choses cachées plutôt que de les livrer, l’impatience de la jeunesse étant la preuve qu’elle n’en fera pas toujours bon usage. Le mysticiste d’Alphonse Montcho est ici est en posture pédagogique.

Nouvelle 4 : La belle Nuit dans les entrailles

Le décor s’ouvre sur deux hommes réunis par la débrouillardise. Ici aussi, comme dans les nouvelles précédentes, un climat aquatique règne, pluvialement frais, puisqu’il venait de pleuvoir sur Vodjè. Un quartier bidonvillisé de Cotonou où Zozopia et Zimbabwé devisent allègrement autour d’un foyer dont le ventre rougeoie d’un feu gai, un feu qui braise un animal dont l’auteur, dans un style poétiquement mielleux, a pris soin de décrire la dissection étape par étape. : de la desquamation à l’éviscération. Et là, dans les viscères de la bête, les deux hommes, entre taquineries et évocation de souvenirs brûlants, découvrent quelque chose d’étrange, de très étrange : une figurine vodun dans les entrailles de l’animal.

Ils la banalisent, urinent dessus puis la jettent dans le ventre du feu. Ce sont des récidivistes patentés. Leur spécialité : voler en capturant des animaux domestiques, en l’occurrence les chiens et les chats et les manger au rôti. Ils n’ont rien à foutre de la mésaventure qu’ils avaient eu à subir dans la perpétration de ce délit : la course-poursuite qu’a vécu le ventru Zozopia dans les rues de Cotonou, traversant tout Vodjè jusqu’à Cadjèhoun, en passant par Carrefour Sonimex, Vodjè Sona et Sikècodji ; la bastonnade de la foule qui l’a enfin attrapé quand, pour se sauver, il essayait d’escalader la clôture de l’aéroport, les longs mois passés entre les fers de la prison civile de Cotonou et, pour le second, Tonton Zimbabwé, la planque dans les caniveaux du Carrefour La Vie. Cette mésaventure ne les a pas persuadés à renoncer à cette vie de larron. Au contraire, traquer, capturer et manger les félins domestiques devient chez eux une vengeance, un passe-temps favori, une addiction.

Puis le crieur public gongonne. Mambo Ahuifo, prêtresse et sorcière de renom, dont l’effrayant ésotérique portrait fait peur à tout Vodjè, annonce la disparition de Nuit, sa chatte préférée. Elle décline toute responsabilité quant à ce qui adviendra à quiconque l’aurait gardée en captivité ou lui aurait infligé un quelconque mal.
Pendant ce temps, le pansu Zozopia et son acolyte Zimbabwé venaient de finir un bon plat de riz auréolé d’une viande dont ils encensent la tendreté. Repu, enivré au vin de palme, Zozopia va se coucher, laissant son ami au salon. À peine a-t-il commencé à faire grésiller la pièce de ses ronflements qu’un cauchemar de la pire espèce le visite. Le genre qui vous propulse dans un film d’horreur et qui vous hante pendant des semaines comme sous l’effet des hallucinations. Il se réveille en sursaut et voit la figurine-vodun qu’ils avaient brûlée sur son lit. Il en parle à Zimbabwé et découvre qu’il n’est plus au salon où il l’avait laissé. Une chose l’oblige à pointer son museau dehors.

Dehors, dans l’opacité exquise de la nuit, il voit une chose qui le fixe d’un regard froid, terrifiant. Il essaie de fuir mais la chose se retrouve partout où il enclenche son élan. La chose, en face de lui, est désormais à la tête d’une armée de chats (tous les chats qu’ils ont tués et mangés) qui, sans même le toucher, lancinent son corps et son âme de violentes griffures. Il s’écroule et entend une voix agoniser pas très loin de lui : c’était la voix de son ami Zimbabwé.

« J’ai essayé, dit l’ami, j’ai essayé encore et encore de la vomir mais c’est impossible. Nous n’aurions jamais dû la manger. Nous sommes… Nous sommes perdus. » p108.

Cette nouvelle est moraliste. Elle dénonce le vol et révèle peut-être une piste à explorer dans la lutte contre le vol des deniers publics qui finit par se muer en vol de l’avenir de tout un peuple. La solution n’est peut-être pas exogène, mais endogène.

Nouvelles 5 : Morsure du lac

Le Français Jean Duval et Avossè, surnommé tantôt Camarade Pêcheur et tantôt Compagnon Pêcheur, Béninois monolais du village Dohi dans le sud du pays, sont deux amis qui adorent la pêche.

Le second a fait venir le premier de la France pour une partie de pêche qui rapportera gros. Très enthousiaste, Jean Duval prend l’avion et atterrit à l’aéroport international Bernadin Gantin où Avossè est venu le chercher à bord de son pick-up.
Le lendemain, à l’aube, sur le lac Ahémé, lors de la partie de pêche, Avossè se fait happer par un énorme silure qui, comme la chatte que Zozopia et Zimbabwé n’auraient jamais dû manger, il ne fallait jamais pêcher.

« Géante. Hideuse. Visqueuse. Démesurée. Au corps recouvert d’algues, le tronc garni d’énormes nageoires jaillit des fonds insoupçonnés du lac Ahémé, effroyable. Elle fendit la surface de l’eau à une vitesse supersonique jusqu’aux deux pêcheurs. Elle s’enroula autour de lui comme un python royal et l’étreignit, féroce. Impitoyable. Il poussa un cri d’effroi. La créature ouvrit une gueule démesurée, pointillée de dents acérées d’où dégoulinait une bave d’une verdeur fournie. D’une verdeur pâteuse. Elle la lui répandit sur la tête avant de le mordre dans le cou. Sitôt, elle le libéra de son étreinte. Le monstre disparut alors dans le fond vaseux. Terrifié par le spectacle, Duval se laissa tomber, se liquéfia presque dans l’embarcation. » p 123.

La scène fut tellement traumatisante pour le Français qu’il tomba dans les vapes dans la barque et fut sauvé de justesse par les villageois qui coupaient des palétuviers au bord du lac.
Lors d’une cérémonie funéraire, un phénomène étrange apparaît sur la berge. Un homme-poisson, en la personne d’Avossè, est là, avec des branchies sur le corps, une partie du corps faite du poisson.

« Les pieds d’Avossè avaient fusionné en un tronc de poisson dont le bout était garni d’une puissante nageoire caudale. Ses bras s’étaient rétrécis, métamorphosés en nageoires pectorales. Sur sa colonne vertébrale, une énorme nageoire dorsale avait poussé ses énormes épines. Son corps, devenu plus sombre, était visqueux comme celui d’un poisson-chat, plâtré de coquilles d’huîtres. » p125

Il venait ainsi de subir la conséquence de la violation d’une loi écologique : ils n’auraient jamais dû s’aventurer dans la réserve sacrée du lac où la coutume du village a défendu formellement toute activité de pêche.

Cher Gangoueus, Alphonse Montcho est une révélation littéraire dans la jeune génération béninoise. Il a, à son actif, trois publications. Le conclave des treize démons est son deuxième recueil de nouvelles et sa troisième publication. Son style, notamment dans ce livre, est une ode à la Poésie, entendu que tout le recueil, excepté la dernière nouvelle où on note l’utilisation du passé simple et moins d’investissement littéraire, est un poème en prose qui ravirait un Jean d’Amérique ou un Makenzy Orcel. Vu la sensibilité des thématiques abordées, on espère qu’il a les reins solides pour contrer les tests mystiques que ses lecteurs initiés lui feront passer. Car qui manie le feu est supposé disposer d’un solide ignifugeage. Vivement que le livre te parvienne pour qu’après lecture, tu t’en fasses ta propre idée.

Chrys Amègan

Références :

  1. Les universités populaires de la littérature africaine sont des rencontres émanant des Palabres autour des Arts de l’écrivain et animateur culturel Joss Doszen qui ont principalement eu lieu en région parisienne.
  2. Très bonnes nouvelles du Bénin, Jacques Dalodé (éd. Gallimard, Coll. Continents noirs, 2011)
  3. Édition. Présence africaine, 1979.
  4. Édition L’Harmattan, Paris, 1994.
  5. Prêtresse du Fa
  6. Sacrifices occultes
  7. Adeptes du vodun Gambada.
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  1. C’est toujours un régal de lire les chroniques de Chrys Amègan. Je suis content et en même temps reconnaissant pour cette fenêtre qu’il ouvre sur le dernier livre de Alphonse Montcho, cette plume qui ne ressemble qu’à elle-même. Vivement que le livre voyage et que les lecteurs s’en délectent.

    1. Très belle chronique méticuleusement polie dans un style au reflet du mysticisme. Un véritable plaisir de vous lire cher Amègan.

    2. Quand deux plumes mûres s’offrent une partie de danse sur la scène littéraire,la magie ne peut que se produire. Plein succès à ce joyau et à la plume du chroniqueur.

  2. Très belle chronique méticuleusement polie dans un style au reflet du mysticisme. Un véritable plaisir de vous lire chers Amègan.

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