« Bourma a un incroyable talent »

Deuxième roman du cinéaste Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, « les culs-reptiles » met en lumière des jeunes de quartiers populaires, abandonnés par l’État, et qui tuent le temps à l’ombre des arbres.

Tout commence dans un quartier que l’on pourrait qualifier de malfamé, désordonné, aux allures de bidonvilles sans eaux courantes ni électricité. Ses habitants vivent dans le noir absolu. Se sentant marginalisés et voulant cracher au visage de la pauvreté, ils manifestent pacifiquement, mais se heurtent à un pouvoir sourd dont la seule réponse est une répression brutale. Avec la complicité des médias, ce sursaut devient un non-événement, un cri de désespoir étouffé, un chant couvert par le bruit des balles. Lézards aux queues coupées, les Torodonais retournent ramper dans leurs marécages. Par la suite, nous découvrons le jeune Bourma Kabo, l’un de ces « culs-reptiles ». Diplômé et sans emploi, il quitte Torodona pour tenter sa chance dans la capitale.  Sa candeur l’enveloppe, le protège et lui donne un peu d’espoir. Il croit en son destin. C’est un Soundjata perclus qui espère un jour marcher, tuer des buffles à mains nues et déraciner des baobabs. C’est ainsi qu’il répond à une annonce de la Fédération nationale de natation recherchant un nageur pour les jeux olympiques, malgré son inexpérience dans cette discipline. Choisi par défaut, et devenu l’objet d’un intérêt particulier pour le gouvernement, Bourma devra ramener une médaille olympique. Mais à quel prix ? Avec quelques séances d’entraînement, une potion magique et une volonté farouche « d’effrayer la galère », le voilà en route pour l’Australie. Contrairement à Soundjata, ses rêves de gloire s’arrêteront devant la piscine olympique. Il ne sait pas nager. Ni les fétiches du marabout, ni les prières ne peuvent y changer quelque chose. Il barbote dans l’eau, manque de se noyer et devient un phénomène médiatique.

Ses déboires ne sont pas sans rappeler ceux du nageur Equato-Guinéen Éric Moussambani, qui nagea comme un fer à repasser, le 19 septembre 2000 aux jeux olympiques de Sydney, et dont la piètre performance a librement inspiré ce roman. D’ailleurs, le pays où se déroule l’intrigue n’est jamais nommé, même si l’on devine facilement les contours géographiques du pays réel, enclavé et sans accès à la mer, quelque part au sud de la Libye. Le regard du cinéaste-romancier sur cette partie du monde est sans concession. Il n’épargne ni les dirigeants politiques, ni leurs victimes civiles. Derrière le ton comique, et une écriture par endroit élémentaire,  nous découvrons un univers romanesque pessimiste, avec des personnages pris dans la spirale de la lutte des classes.

Néanmoins, ceux qui s’attendent à un énième roman sur la misère, sur la corruption, sur la dictature ou sur la faillite des États africains, peuvent prendre la première sortie en bas de la quatrième de couverture. La satire n’a ni terre de naissance, ni langue connues. Elle nait dès que l’absurdité peint la déchéance en normalité.

Diadié Dembélé

Mahamat-Saleh Haroun – Les culs-reptiles
Ed. Gallimard, Continents noirs, 2022

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