Kangni Alem, Les enfants du Brésil (roman), Lomé/Abidjan,
Editions Graines de pensées/Frat’Mat Editions, 2017, 200 p.
Dramaturge, nouvelliste, traducteur, essayiste et critique littéraire, l’Universitaire Kangni Alem revient avec un cinquième roman (le premier publié simultanément à Lomé et à Abidjan), Les enfants du Brésil. Un roman architecturé de plusieurs phénotypes narratologiques et dialectiques où triomphent l’amour et le pardon dans un crossing over ébénacé, salaire des « bois humains ».
Candinho Santana, archéologue de fonds sous-marins, chasseur de reliques de la traite négrière et de sa propre identité, invité à donner une série de conférences autour d’une exposition au Brésil sur les découvertes des vestiges marins des navires négriers s’embarque dans une aventure scientifique, génétique et érotique sur cette terre où ses ancêtres ont vécu et rêvent de retourner comme un paradis perdu (Rio, Recife, Salvador de Bahia). Ce Brésil esclavagiste que regrette Ma Carnelia Esperança de Pereira, la grand-mère du personnage-narrateur ne subsiste que dans la proximité de la peau noire de ses frères et des tentatives d’une poignée d’afro-descendants désireux de renouer avec leur histoire et non pas avec l’Afrique. La triple quête du narrateur lui fait croiser le destin de la très blanche Dalva dos Santos Boivin dont la drépanocytose a révélé le filon de sang noir et engagée dans des études anthropologiques
« Partout où les esclaves sont passés, ne te fie pas à ce que racontent les couleurs de peaux » (p.81).
Le roman inauguré avec la rencontre de Dalva s’achève sur les amours heureuses et métissées à l’infini du couple à Ti Brava quinze ans après la mort tragique ou pathétique de l’énigmatique et truculent Vélasquez alias Lapisco, l’oncle du narrateur, victime de l’hypocrisie des familles afro-brésiliennes et sans doute à l’origine de sa passion. Le narrateur et son meilleur ami Djibril ne sont rien moins que les descendants des illustres personnages, le musulman Miguel do Sacramento et le catholique Santana, ayant conduit la trame du roman Esclaves
« d’un certain K.A., scribouillard besogneux, a pondu un seul tome et a disparu en promettant une suite à son roman. Paraît-il qu’il fait désormais de la politique, ou que la politique le fait. Quel gâchis ! » (p.158)
autour de la figure du monarque, à tort maudit, Adandozan et leur combat contre l’esclavage.
Par-delà l’esclavage et ses nombreuses conséquences néfastes, ce qui retient l’attention, c’est cette coprésence de l’amour et du pardon. En filmant avec une caméra sarcastique le décès d’Eric et son inhumation, Candinho donne à voir en même temps, la psychologie délabrée de Dalva Dos Santos Boivin, attachée à un chat (Eric) pour guérir de son vide affectif envers sa propre mère ou soudée à sa directrice de thèse Keshia de Araujo par un lien curieux d’homosexualité qui prend fin sitôt le chat inhumé. La mort est traitée dans l’œuvre comme dévoilement, instance de vérité : si elle permet au narrateur de se lier davantage à Dalva, elle conduit le narrataire à se ressourcer sur la véritable identité de Lapisco, enfant naturel de Ma Carnelia. En fait, c’est un prétexte pour l’auteur de régler ses comptes
« à l’endroit des prêtres, des gouvernants et des riches familles métisses de [son] quartier » d’enfance (p.41).
On voit l’aisance voire l’exultation du narrateur à répandre les aveux :
« Et les mauvaises langues, quelque temps après son départ, purent enfin donner libre cours à leurs rancœurs, révélant au grand jour toutes les vilenies de l’homme de Dieu, ses coucheries avec ses paroissiennes, dont certaines lui auraient fait des enfants cachés, ses magouilles en affaires, résultat : un enrichissement qu’aucun de ses successeurs ne connaîtra jamais, ses accointances de larbin avec le régime politique dictatorial de TiBrava… » (pp.183-184).
Kangni Alem, en procédant par les masques de Bouriyan pour dénoncer le clergé qui inverse les valeurs, de par l’enfantement illicite de Lapisco, semble maintenir les masques hypocrites des prêtres que Ma Carnelia – contrainte par son amant le prêtre, à l’âge de seize ans à fuir pour accoucher à l’insu des parents – a dû elle-même faire tomber.
Les enfants du Brésil, interrogeant l’Histoire de l’Afrique (ou des Afriques), repose les questions de Dieu, de la Foi, des religions, de la métaphysique et aussi de l’altérité et du déséquilibre psychique incarné de l’Homme surtout par Lapisco, sacrifié par son père, un représentant de Dieu. Ouvrant ainsi le débat sur la responsabilité des Prêtres catholiques : ne seraient-ils pas plus responsables si on leur permettait d’être pères, au sens génétique du terme comme à l’origine ?
Daté Atavito Barnabé-Akayi
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Force a vous j’ai tellement apprécié 🙏
Très bien