Par Jean-Paul Tooh-Tooh
Kokouvi Dzifa Galley ou l’esthétique du poème minuscule
Pour tenter d’appréhender l’univers de création du poète togolais Kokouvi Dzifa Galley, je partirai d’un postulat de Jean-Pierre Richard : « Le poète est un homme qui sort de chez lui, et qui se met en marche : à travers champs, routes, murailles, il avance, sans s’accorder détour ni station, vers cette « turbulence », ce foyer de lumière qui attire et dirige son pas ». C’est exactement ce que fait Kokouvi Dzifa Galley à travers les deux recueils de poèmes autonomes qui garnissent (pour le moment) sa bibliographie : bris de vie, bris de souffle et Vagues à lame. Le poète togolais nous donne à lire une poésie fragmentée, étalée sur la feuille blanche comme des morceaux de verre brisé : une poésie puzzle. Et le lecteur se doit de reconstituer la réalité découpée en fragments. De quelle réalité s’agit-il ?
Dans le premier recueil, le poète sort de chez lui et emprunte les sentiers de la vie où il croise deuil, femme-caïman, kévé ; longeant les rues de l’enfance, il retrouve sa mère, la naissance, la nature ainsi que l’Instant sensuel qui agrémente la vie après une brûlure. Voilà une poésie qui résume la vie avec ce qu’elle comporte de beau et de laid. Presqu’une poésie initiatique à travers laquelle se déclinent les rites d’une procession propitiatoire autour de l’existence humaine. Le lecteur reçoit une telle poésie comme un viatique dans son voyage à travers les pages où de brefs poèmes se mêlent au blanc pour baliser le chemin qui conduit à la bonne interprétation. Dès lors, le lecteur se fait lui-même poète et projette sur la poésie de Kokouvi Dzifa Galley, la signification qui affleure dans son esprit. Comment appréhender l’esthétique du poème minuscule, une forme poétique brève, qui, loin des jeux rimés ou de la poésie expérimentale, tirerait partie de la force et du mouvement procuré par une économie de mots et d’espace, aux limites du dire, au plus proche de l’instant ? Et c’est à juste titre que Stéphane Bataillon reconnaît : « Le poème minuscule est un lieu d’investissement et d’impulsion de l’autre, du lecteur, avant et après l’acte d’écriture ».
Lisons :
Tu t’appelles kévé
tu es un kévi en raphia
une spirale où s’enlisent
des secrets soufflés
du coin des lèvres
aux oreilles de la lune
Dans le second recueil, Kokouvi Dzifa Galley adopte la même démarche en sortant d’un passé récent (ou encore lointain) pour rejoindre :
…la fleur
Plantée
Au milieu du jardin
Partout où l’amour
Défonce une porte
Sans bruit
Ni fracas
Le poète effectue le même parcours initiatique, mais cette fois-ci, dans les arrondissements sensuels d’un corps :
je pars
tu es toujours là
comme attachée à ton silence
un silence
qui espère mon retour
car
ton corps pour moi
était une fontaine de poissons
une forêt de sourire peuplée de diamants verts
A travers les pages de ce recueil, le poète étale (en petits morceaux textuels), les états d’âme d’un amoureux nostalgique.
D’un recueil à l’autre, rien n’a changé à part la thématique. L’esthétique est restée la même : une poésie qui choisit le peu, le dépouillé pour chanter et sublimer la vie ; choix d’une forme brève et l’usage de mots et de sujets du quotidien ; plaisir de la concision, de la densification extrême du propos. Il en résulte, incontestablement, la force des mots choisis, la force de la forme physique des poèmes, de l’espace-monde créé grâce à la brièveté de la pensée et la force de la relation qui s’établit entre le poème et son lecteur.
Ecoutez le texte du poète togolais lu par Jean Paul Tooh-Tooh
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