Chronique littéraire
Drôle d’odyssée pour Jazya
Roman de Fouad Souiba
Virgule Editions – Fictions et Autres
L’auteur marocain Fouad Souiba n’en est pas à ses débuts artistiques. Né à Rabat, Maroc, en 1963, il fait des études au Maroc et au Québec, et devient journaliste, chroniqueur de télé et animateur de festivals de cinéma. Rédacteur en chef de plusieurs magazines dont notamment Cinémasrah et Al Machhad, il est co-auteur avec Fatima Zahra El Alaoui du livre Un Siècle de cinéma au Maroc, Regards immortels (1995) et Salé, splendeurs et promesses (2018). Scénariste, producteur et réalisateur d’une série de 10 documentaires et portraits consacrés aux plus célèbres auteurs de cinéma au Maroc, il signe aussi des court-métrages : Dream Boy, en 2004 ; en 2007 Mia Derial (5 Dirhams) et un documentaire: Chuchotements à un ange qui passe, (Whispers to a passing by angel).
Après d’autres court-métrages et documentaires, il publie son premier roman L’incompris du Hay Mohammedi en 2012, suivront Les Séquestrés (2014), L’Homme qui voulait être comédien en 2016, La mamma Lalla Khaddouj en 2016 encore, Khadafi mon amour ! en 2018 et Drôle d’odyssée pour Jazay en 2020. Ce dernier roman, il le dédie à son « pays bien aimé ».
Qui est la Jazya du titre ? Ayant connu du succès dans le monde de la communication et de l’édition, elle choisit de consacrer sa vie aux marginaux, aux fragilisés, aux migrants, aux réfugiés – afghans, syriens et autres – partout où elle va. Décrite par l’auteur comme une femme d’action, « une Leïla Chenna au visage d’Angélina Jolie, ou, plutôt, une Angelina Jolie au cœur de Leïla Chenna » (Leïla Chenna était une actrice marocaine, connue pour plusieurs rôles dans les années 1970-1980), issue du Haut-Atlas, elle devient victime d’un kidnapping avec un groupe de 15 bénévoles féminins, La Caravane des Sirènes de la Félicité, à la frontière du Mali. Elles sont toutes séquestrées à Raqqa, fief de Daech en Syrie. Jazya ne comprend pas la cruauté des humains, la brutalité contre les enfants, en Syrie et ailleurs, le chaos, la machine de guerre, « ce cirque monstrueux » (p. 67) qu’est le monde. Elle sera libérée et revient à son pays natal afin d’accomplir une promesse faite aux siens : ouvrir une école à Amsouzart.
Ce roman d’aventures, où l’adrénaline bat son plein, où l’histoire d’amour intervient brièvement, est aussi un roman de questionnement, de quête de soi. 21 chapitres titrés, allant de 3 à 4 pages jusqu’à presque 40 pages, dans lesquels nous rencontrons et apprenons à aimer Jazya. Le roman ouvre sur la femme Jazya qui se souvient d’elle-même, petite fille intelligente (« Son don pour apprendre est phénoménal », p. 13), orpheline de père, au village, qui quitte sa terre natale pour sillonner le monde : d’abord Beyrouth, ensuite Paris. Adolescente déjà elle rêve, elle « nourrit une passion pour le voyage, l’exploration, le dépaysement » (p. 53). Elle se laisse prendre par le luxe et les aventures de la grande ville et, après une chute de moto (après son « duel à la belle étoile », titre du 3e chapitre), se retrouve à l’hôpital, « branchée à un respirateur artificiel » avec « de nombreuses lésions » (p. 39). Mais, tel un chat, « l’inamovible rebelle a neuf cordes à son âme » (p. 44) et elle retrouve sa santé. Ensuite, il y a Mokhtar à qui la mère interdit de faire la marche sur le Sahara ou la Marche verte. Cela entraîne une fugue de plusieurs mois de la part du jeune homme et lorsqu’il revient il est rebelle à toujours et la « politisation du gamin se fait peu à peu » (p. 30) ; surnommé « le mal-aimé » (p. 149), il utilise sa page Facebook pour se livrer « à ses élucubrations nocturnes qu’il poste aussitôt sur la toile » (p. 149).
L’histoire d’amour entre les deux protagonistes – Jazya et Mokhtar – est brève (est-elle réelle ?), mais passionnée entre ces deux êtres opposés :
Les amoureux scrutent l’horizon comme pour embrasser du regard un bonheur ardemment souhaité. En lui, couvre un feu inextinguible, une fièvre difficile à apaiser ; en elle, une sérénité inquiète, presque une appréhension. (p. 52)
Mais les amoureux se sont-ils rencontrés ? L’histoire a-t-elle abouti à quelque chose ? Ce n’est que dans le dernier chapitre que nous apprenons le déroulement :
Et l’amour dans tout ça ? s’interroge-t-elle dans le droit fil de sa pensée. Le silence rend la question plus pesante encore. Elle n’est pas allée à ce rendez-vous avec Mokhtar. (p. 205).
Les descriptions des lieux, des objets, des personnes sont détaillées, cinématographiques, visuelles. L’auteur nous attire par petits morceaux de texte, petites parcelles de phrases et paragraphes taillés, sculptés, peaufinés. Le texte est énigmatique, par le vocabulaire (peu commun parfois ; notons, par exemple, le fennec, la géhenne, la laine cardée) et par sa structure (flashbacks, monologues intérieurs, lettres). Les références culturelles (« Jacques Brel est un saltimbanque, doublé d’un poète », p. 175), artistiques (par exemple, le « titre du film d’Hal Ashby : Bienvenue, mister Chance », p. 48), géographiques (par exemple, les merveilles de la vallée d’Amsouzart, p. 104), historiques (par exemple, le passage sur l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015, pp. 92-96 ; le meurtre du journaliste Jamal Kashoggi, p. 171) sont multiples et ancrent le texte dans le monde contemporain. De façon intertextuelle, l’auteur nous fait retrouver Lalla Khaddouj (personnage de son roman de 2016) ici. Alors qu’en 2016, Fouad Souiba avait brossé le portrait de Lalla Khaddouj – une femme venue du siècle dernier, une génération dont la flamme de la révolte demeure intacte malgré l’autorité de l’analphabétisme. Une effervescente jeunesse virevolte dans son sillage et se frotte à son charisme peu commun. Lalla Khaddouj a le pouvoir de mettre de l’ordre dans tout un quartier de Marrakech qui découvre soudain la modernité, la liesse populaire et le patriotisme. Elle est tout aussi fragile et attachante quand son petit-fils vient à s’absenter au sacro-saint rendez-vous hebdomadaire du couscous, et au-delà, de la vie commune à la maison. La maman du môme paiera dans sa chair l’affront du chérubin (description du roman sur le site d’Amazon France, disponible à la page https://www.amazon.fr/Mamma-Lalla-Khaddouj-Fouad-Souiba/dp/2334065765) – dans Drôle d’odyssée de Jazya (2020),
Lalla Khaddouj, caïda de Riad Zeitoun Lakdim, le vieux Riad des oliviers, trône sans conteste sur la place. Elle a tout pour faire fantasmer des mâles en rut. Les dames en souffrent le martyre, encore plus de ses uppercuts que de jalousie. (p. 19).
Elle « trône sans conteste » aussi sur le chapitre II, mais ensuite elle disparaît de la narration. Son impact sur Mokhtar se ressent néanmoins tout au long de la vie de celui-ci. Est-ce la même Lalla dans les deux romans ? Franchement, je ne saurai vous répondre. Il faudrait que je lise d’abord La mamma Lalla Khaddouj.
Pour finir ce bref tour d’un roman qui fait réfléchir, rappelons que L’Odyssée est le célèbre poème dans lequel Homère conte le périple d’Ulysse. Ce héros rentre chez lui après de grandes aventures, entre autres la prise de Troie. Dans le roman de Souiba (le narrateur renvoie à l’auteur : « ce cinéaste doublé du romancier », p. 172), Jazya vit sa propre odyssée et, à travers ses yeux et ceux du narrateur, elle raconte les périples et voyages qu’elle vit ou effectue :
« Catastrophée du tragique bilan de son odyssée, elle n’en revient toujours pas de ces horreurs vues et subies dans sa chair et dans son âme » (p. 70).
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