La promesse de Malingo – Pierre Fandio
Editions Clé / Coédition NENA – 2019
De plus en plus, les collègues enseignants universitaires se prêtent au jeu de la littérature. Critiques littéraires, comprenant bien comment se construit un roman, un poème ou une nouvelle, ils mettent la main à l’écriture romanesque. Un bel exemple est celui de Pierre Fandio, professeur de littérature comparée, littérature africaine et des études françaises à l’Université de Buea au Cameroun, il publie depuis des années des articles scientifiques et des livres, seul ou en collaboration, tels que La Littérature camerounaise. Grandeurs, misères et défis (2006), Figures de l’histoire et imaginaire au Cameroun (2007) et Amadou Koné. La littérature ivoirienne entre narrations et tradition (2009). Exils et migrations postcoloniales. De l’urgence du départ à la nécessité du retour (2011). En 2019, il publie son premier roman chez les éditions Clé (Yaoundé), La Promesse de Malingo, que j’ai eu le plaisir à lire récemment.
La Promesse de Malingo raconte l’histoire de Malingo, alias Lum Joy Abongwa alias Joyceline Luma en neuf parties, intitulés carnets par l’auteur. Si en tant que lecteur vous aimez rire (une bonne chose ces jours-ci en pleine pandémie de la Covid-19), le roman vous plaira. Une petite fille est née à Mbalmayo, au Cameroun. Malheureusement, son acte de naissance lui attribue un autre nom que celui qu’elle aurait dû avoir selon les traditions du pays, à savoir celui de son père, le cycliste « fakir », « la tige de bambou » avec sa « corpulence de cure-dent » (p. 18). C’est ainsi que commence la malheureuse histoire de Malingo qui vit plusieurs accidents de route tout au long de sa vie. Puisque le nom inscrit sur son acte de naissance (Joyceline Luma) ne correspond pas à celui sous lequel elle est communément connue (Lum Joy Abongwa), les problèmes arrivent dès qu’elle se présente au concours d’entrée en sixième. Heureusement, il y aura les cours du soir qui permettront à Malingo d’obtenir son CEPE et de continuer jusqu’à avoir son baccalauréat littéraire. Ses aventures continuent lorsqu’elle part à Dubaï pour trouver une vie meilleure, vu que Dubaï est considéré comme un eldorado, un paradis sur terre. Un nouvel échec – elle devient femme de ménage abusée par sa famille d’accueil (« ma patronne me bouffait mon temps et mes nerfs », p. 249) – l’y attend et finalement elle retourne au pays natal, car, comme le dit un autre personnage du roman, « La vie est possible en Afrique. Les jeunes doivent accepter de mouiller le maillot, plutôt que de continuer à rêver d’un paradis qui n’existe pas plus en Occident que nulle part ailleurs » (p. 12). Il faut arrêter d’être des « Paris-à-tout-prix », des « Paris-à-petits-prix » et même des « Paris-à-zéro-prix » (p. 14).
Le roman de 268 pages est organisé comme un long flashback dans lequel plusieurs thèmes de la vie quotidienne contemporaine sont développés : les études, les documents officiels et la corruption, le monde du travail, les origines géographiques et socio-économiques des jeunes gens à la recherche d’un boulot ainsi que l’impact qu’ont ces origines sur la vie professionnelle (ou le manque de), le tribalisme (bamenda, ewondo, bamiléké, bakweri, francophones, anglophones) ou l’absence/refus d’intégration nationale et la place des bilobolobo ou étrangers (p. 31) ou encore « « trindjas » (probablement de stranger, en anglais) » (p. 110), l’émigration (l’amoureux de l’héroïne du roman, Marc Ela alias Marco vit à Calais après une traversée horrible du Sahara), le retour au pays natal, la migration clandestine et celle qu’on pourrait taxer de « normale », les Freedom Fighters qui veulent une révolution afin de changer la vie politique du continent (p. 12), le plurilinguisme (la maman de Malingo parle le pidgin, le fulfuldé, l’eton, l’ewondo et le français/ « français camerounais » (p. 99) – elle était « une Tour de Babel ou plutôt un Centre linguistique » (p. 35) et de retour au village la famille parle le mankon et le lamso, et il y a « au moins trois variétés de pidgin » (p. 115)), etc. :
Ce jour-là, j’expérimentai amèrement, pour la première fois, la véracité des propos d’un ancien Secrétaire général de l’Unesco que M. Alain nous avait lus et commentés, un lundi matin. La citation disait, je cite de mémoire que « un homme qui parle deux langues en vaut deux. Le monolingue sera l’analphabète du XXIe siècle ». Analphabète. Voilà ce que j’étais. Pire, j’étais analphabète dans ma langue maternelle. (p. 67)
Les descriptions (de la route vers Kumba – que je connais bien pour y avoir circulé personnellement à plusieurs reprises lorsque ma sœur vivait à Kumba et qu’elle devait voyager entre Kumba et Yaoundé au moins une fois par mois ; des plats comme le poisson braisé ou les beignets/atchombos-haricots-bouillie ; la vie en famille ; la fête de la jeunesse le 11 février ; les vêtements : « sa « très belle tenue », un Kabagondo mon-mari-est-capable sauté », p. 85) abondent et servent à bien placer, contextualiser, visualiser les lieux et le récit.
L’auteur Pierre Fandio renvoie à la littérature-monde, aux écrits de Williams Sassine ou de Mongo Beti (p. 18), d’Aragon (p. 82), d’Eza Boto et de Francis Bebey (p. 141), de Tchicaya U Tam’Si (p. 188) et à Une Vie de Boy (p. 84). Le roman est dédié à Hector Pieterson, l’écolier sud-africain mort durant les émeutes de Soweto, tué par la police sud-africaine lors d’une manifestation visant à protester contre une loi imposant l’afrikaans comme langue d’enseignement pour les enfants noirs, en lieu et place de l’anglais : « le rêve ne meurt jamais » (p. 5), et à Mafeu Marie Kamdib (ma recherche sur Google n’a pas donné de résultats, donc vraisemblablement il s’agirait d’une jeune fille lambda servant d’exemple, d’inspiration « à chaque jeune fille » (p. 5). L’intention de l’auteur peut se lire à travers les mots de Daddy Moulédi, le patron de Joy-Malingo :
Ma chère Joy, avait-t-il commenté, ton histoire personnelle est à l’image de notre roman national. Troquée, truquée, tronquée, voire romanesque. Il te faudra, un jour, la mettre en mots ou en images. En tout cas, à défaut d’être un best-seller en librairie, ton récit pourra servir de véritable bréviaire à des hommes et femmes d’État, qui manquent si cruellement dans notre faune politique. (p. 20)
Et un peu plus loin :
Le nom et l’histoire de ta joyeuse fille (il parlait de moi) me font penser à notre pays. Joy ! Oui : la joie. Le Cameroun est un pays de joie. Une joie pas partagée ou plutôt mal partagée. Malheureusement. C’est pour cette raison que nombre de Camerounais passent à côté de la joie, ne sont pas joyeux. Ils passent ainsi à côté de la vie… (p.21)
Tout un programme, véritablement, tout un programme ! Ce roman traite du trajet inverse de beaucoup d’Africains ces jours-ci, à savoir aller de la ville au village, et relate, entre autres, les bouleversements survenus lorsque la mère de famille part de chez elle et que le père et les enfants doivent aller vivre au village. Il s’agit donc vraiment de tout un programme pour expliquer l’attribution des noms au Cameroun, tout un programme pour montrer les liens familiaux, tout un programme pour parler des relations hommes-femmes, tout un programme pour faire de l’interculturel sans brusquer personne, tout un programme pour décrire les difficultés que Malingo éprouve lorsque sa mère disparaît du foyer et qu’elle doit reprendre toutes les tâches maternelles. Tout un programme lorsque son père meurt suite à une crise de paludisme et qu’elle doit déménager avec ses frères et sœurs à Buea. Tout un programme lorsqu’elle tombe amoureux de Marco (qui finit par quitter le Cameroun à la recherche de moyens de survie). Tout un programme aussi pour indiquer les choses qui vont mal au pays : « L’enquête dura effectivement des semaines. Comme toutes les enquêtes de ce pays. Elle ne prouva rien. Ne découvrit rien » (p. 99), mais que même le départ pour l’étranger – le pays de cocagne (p. 223 ; titre du neuvième et dernier carnet) ne résout pas les problèmes ressentis par Malingo.
Fandio arrive à souligner un nombre de problèmes sociétaux en quelques phrases :
Je m’en voulus à mort, d’être une fille. Je m’en voulus à mort, de résider en brousse. Je m’en voulus à mort, d’avoir perdu mon père. Je m’en voulus à mort, de ce que ma mère était partie sans laisser d’adresse. Je m’en voulus à mort, d’être née. (p. 151)
Et, heureusement, l’auteur le fait avec beaucoup d’humour : la colère du papa peut transformer la famille en Fukushima (p. 55), les noms de certains personnages comme « Mama Sabine, l’épouse du frère-même-père-même-mère de mon père » (p. 77), les compétences culinaires de Malingo sont décrites ainsi : « comparables à un camion de dollars zimbabwéens dans une rue de Stockholm ou d’Helsinki : un encombrement » (p. 111).
Au niveau de l’édition, notons quelques coquilles (par exemple, « First School Living Certificate » au lieu de Leaving Certificate, p. 134), et une erreur, presque générale : une virgule après « car » (par exemple, « Car, il ne voulait, pour rien au monde … » (p. 122) ou encore « Car, nous étions tenus par les impératifs du calendrier scolaire » (p. 124) et, une même structure : une virgule après « mais ».
En guise de conclusion, disons que ce roman de l’enfance et de la jeunesse d’une jeune fille africaine, camerounaise, cette histoire touchante et personnelle du passage de l’enfance à l’âge adulte (Malingo devient « la mère de la famille », p. 182) peut s’interpréter comme un bildungsroman de la société camerounaise : l’identité tiraillée entre les mondes anglophone et francophone, le multiculturel et le plurilingue, l’impact des aléas de l’histoire (individuelle et collective), « la jeunesse désoeuvrée » comme « bombe de retardement » (p. 175). Le lecteur en apprend des choses sur le système éducatif camerounais, ce que les familles doivent faire pour survivre (la débrouillardise), le tribalisme et le racisme, tout en lisant les espoirs et déceptions du personnage principal :
Malingo est rentrée de Dubai. Après avoir terminé son contrat, elle est revenue à Great Soppo. Elle y tient La Joie de Lire, le premier kiosque à journaux de la ville, à Independence Square, entre la nouvelle librairie Semences Africaines et la Kwame Nkrumah Library. En face du Centre culturel camerounais. Les gens qui l’ont revue disent qu’elle parle parfois toute seule… (p. 267)
Et elle a écrit un roman intitulé Promesse tenue …
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