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Tupac Shakur : La Rose qui a poussé du bitume (1999)
La révolution sera télépathique
By Loza Seleshie Posted in Loza Seleshie, Poésie, USA on 13 septembre 2020 0 Comments
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Tupac Shakur : La Rose qui a poussé du bitume (1999)

Comme le dit si bien Quincy Jones “Tupac est mort à 25 ans. Si Malcolm X était mort à 25 ans, il aurait été un hustler, nommé Detroit Red. Si Martin Luther King mourait à 25 ans, il aurait été connu comme un prédicateur baptiste local. Et si j’étais mort à 25 ans, j’aurais été connu comme un musicien en difficulté. Seulement un petit bout du potentiel de ma vie”[1]. Ce petit bout qu’est “La rose qui a poussé du bitume” est fascinant par sa richesse et le ton du verbe de Tupac. Ce dernier confie ses poèmes écrits entre ses 18 et 21 ans à sa manager, Leila Steinberg. Ils seront publiés trois ans après son assassinat le 13 septembre 1996.

Les poèmes sont toujours en deux formats: une version écrite de sa main suivie d’un texte retapé. Cette attention particulière est à la fois très touchante et intéressante. D‘une part, peut-être une volonté de ne rien enlever à ses textes, jusqu’à la typographie, les dessins etc. D’autre part, cela nous rapproche de lui et en fait une expérience intime.
Il faut dire aussi que Tupac a tellement produit que l’on a continué à publier des oeuvres inédites des années après sa mort. Pour ne pas fâcher les défenseurs de la théorie selon laquelle il serait encore en vie, je m’accorde à dire qu’il est immortel.

New York – Baltimore – Marin City – Oakland

Le livre se divise en quatre grandes parties qui abordent tour à tour les doutes et les espoirs, l’amour, la liberté et la lutte politique. Fils de militants Black Panther, Tupac passe les premières années de sa vie à New York avant de déménager à Baltimore (Maryland) à la suite de la dissolution du parti et des difficultés de sa mère à trouver un emploi. Le Maryland à cette époque connaît une augmentation drastique de la population afro-américaine qui devient majoritaire (54.8% en 1980). Malgré la sonorité paisible de la province, les statistiques sont alarmants quant à la criminalité (vols, assassinats), l’éducation (avec un grand nombre d’afro-américains en échec scolaire) et le taux de grossesse chez les adolescentes.

Ce n’est cependant pas exceptionnel. La période post-mouvement pour les droits civils correspond aussi à des moments de grande violence pour les afro-américains. La société Américaine a tendance à avancer d’un pas pour en reculer de deux. Nous pouvons plus récemment évoquer l’élection d’Obama qui est suivie par celle de Trump (et tout ce que ça libère). Si nous devons remonter plus loin, l’abolition de l’esclavage est suivie de la ségrégation (cf. Lois Jim Crow). La lutte pour les droits civiques se heurte à l’assassinat des grandes figures politiques. Cette période marque également le début de l’épidémie de crack qui touche particulièrement les afro-américains. Lors de l’épidémie du crack (années 80 à 90) le taux de meurtre des jeunes afro-américains (de 14 à 24 ans) double en quelques années seulement. En 1986, le Congrès vote des lois sanctionnant le trafic et la possession du crack qui sont plus lourdes que celles qui s’appliquent au trafic de cocaïne (aussi appelé sentencing disparity).Résultat: 88% des personnes qui se retrouvent en prison pour des raisons liés au crack sont afro-américaines. Une incarcération de masse qui reste une réalité de nos jours. Alors qu’ils ne représentaient que 13% de la population américaine, les afro-américains constituaient 38% de la population carcérale en 2016.

La révolution sera télépathique[2]

Tupac arrive dans le Maryland en 1986, il a 15 ans. Il a déjà vu ses proches se faire emprisonner pour des raisons politiques, sa mère est dépendante du crack et il découvre la violence de Baltimore. Trois ans plus tard, la famille part s’installer en Californie, dernière étape avant Oakland : lieu du début de son succès. Les poèmes qu’il écrit à partir de 1989 sont un ensemble de toutes ses expériences de vie. C’est l’histoire d’un enfant qui grandit avec la conscience politique des Black Panthers, qui a une curiosité intellectuelle profonde, et qui vit en même temps la condition humiliante des afro-américains. Une rose qui en effet, a émergé du bitume. C’est un sentiment qui revient à travers de nombreux textes de l’ouvrage: loin d’être défaitiste, Tupac préfère “ […] être affamé et sans abri/ Avant que le gouvernement Américain n’ait mon âme”[3]. Un discours aussi radical qu’il l’était lui-même et que l’on retrouve aussi dans le poème “Peux-tu voir la fierté du Panther?” et “Dame Liberté a besoin de lunettes”.

Il dédie ses textes à ceux que la société ne comprend pas : Nelson Mandela, Van Gogh, Marylin Monroe mais aussi au crack, à son coeur, à sa mère, à ses amis, ses amours et son divorce.

Parce que l’amour libère

L’expression de l’amour qu’il a pour les gens (ou inversement) est le thème le plus récurrent. Il parle à ses amis et leur promet “Rien ne peut nous séparer”[4]. Les poèmes d’amour sont simples et sincères, “tu es l’oméga de mon coeur”[5]… que vous dire de plus? Nous voyons aussi ses doutes, ses déceptions, ses interrogations dans le développement de son identité en tant qu’homme. Il parle de la “renaissance de son coeur”[6] au fil des rencontres. C’est un jeune homme noir qui se construit et essaye de guérir tout doucement. Que ce soit pour parler du traumatisme de l’addiction de sa mère, Afeni, ou de la perte de son enfant, la poésie est le sanctuaire de Tupac.

Il y a également une recherche spirituelle plus profonde dont l’amour n’est qu’une des expressions :

“Je ne sais ce que je cherche/ Mais je sais que l’ai pas encore trouvé/ Car il est invisible à l’oeil/ Mon coeur doit le chercher aveuglé”[7]

De par son idéologie et son vécu, Tupac cherche à créer une convergence entre son expérience personnelle et l’expérience collective. C’est ce qui fait de lui l’un des portes-parole et commentateurs sociaux les plus prolifiques de notre temps.

La liberté et la mort

“Dame liberté a besoin de lunettes” est pour moi le poème qui représente le mieux la critique de Tupac vis-à-vis de la société Américaine “l’esclavage était une phase d’apprentissage/ Oublié sans verdict”. C’est l’aveuglement et l’obstination à vouloir promouvoir un rêve américain qui ne s’applique pas à tous qui révolte l’auteur. Il se demande “Comment  pouvons-nous être libres?”[8] à un moment où  Mandela est encore en prison. Cette interrogation subsiste encore de nos jours et démontre la nécessité d’une lutte collective, à travers les continents et les contextes.

Tupac est conscient du prix à payer. ne serait-ce qu’à travers l’expérience de son entourage. On évoque souvent le fait qu’il pensait mourir jeune. Le génie est de s’être préparé en conséquence. Dans les deux derniers poèmes du recueil, il fait ses adieux et dit “En cas de décès/ J’espère mourir pour un principe/ […] Je mourrai avant mon heure”[9]. C’est aussi la production massive d’oeuvres, comme une course contre la montre qui font de Tupac, un poète éternellement actuel.

Texte lu en anglais et retranscrit

mots-clés : Tupac Shakur, black panther, poésie militante

The Rose who grew from concrete (1999) Pocket books

[1] 2Pac: Thug Angel (2002) Documentaire par Peter Spirer
[2] Bob Marley (interview) 1979
[3] “Government assistance or My Soul” in The Rose who grew from concrete (1999) Pocket books
[4] “ Nothing can come between us” n The Rose who grew from concrete (1999) Pocket books
[5] “Jada” in The Rose who grew from concrete (1999) Pocket books
[6] “Genesis (The Rebirth of my heart” in The Rose who grew from concrete (1999) Pocket books
[7] What it is that I search 4” in The Rose who grew from concrete (1999) Pocket books
[8] “How can we be free” in The Rose who grew from concrete (1999) Pocket books
[9] “ In the event of my demise” in The Rose who grew from concrete (1999) Pocket books

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