Encore un objet étrange que ce livre. J’essaie de cerner mes impressions de vieux lecteur, je trouve que je suis souvent étonné, pour un vieux : Les vivants et les autres, de José Eduardo Agualusa, traduit par Danielle Schramm, éditions Métailié.
La seule définition d’un bon livre est un livre qui parvient à vous faire croire qu’il n’a été écrit que pour vous.
Et là, franchement, c’est pour moi, un festival d’écrivains sur l’île de Moçambique, je suis obligé de cerner ce que je pense de l’île de Moçambique, je connais un peu, j’y ai passé quelques jours, mais l’impression sur mon cerveau est plus durable ou éternelle, il y a des endroits comme ça où on reste toujours un peu, où d’une certaine façon on est un peu chez soi, en plus c’est emmerdant parce que je suis chez moi poétiquement sur l’île de Moçambique, les bâtiments, les couleurs, la douceur, nous avons comme une hiérarchie des images dans notre cerveau, certaines images se placent tout en haut, images qu’un mauvais écrivain qualifierait de belles, c’est en fait une conjonction de liens avec l’éternité, je ne me sens pas très loin de l’éternité sur l’île de Moçambique, ça veut dire que je me fous un peu de tout sur l’île de Moçambique, même d’un congrès d’écrivains africains, ce qui est un peu un comble.
Donc, je connais un tout petit peu l’île de Moçambique, et je connais un peu le Mozambique, un peu, je me marre toujours à ce stade de connaître un peu un pays, qu’est-ce que je connais du Mozambique ? Je regarde toujours un peu vers celles ou ceux qui connaissent le Mozambique mieux que moi, à commencer par les Mozambicaines et Mozambicains, j’ai passé en tout plusieurs mois au Mozambique, je me sens comme un poisson dans l’eau à Maputo, mieux qu’un poisson dans l’eau, je connais un peu Beira et Inhambane, vous allez me dire mais qu’est-ce qu’on s’en fout de ce que tu connais ou connais pas, mais quand je ne connais pas je dis à quel point je ne connais rien sur tel ou tel pays, là je connais un tout petit peu, j’ai le droit de le dire, à Beira, je suis encore plus chez moi qu’à Maputo, chez moi mais d’une façon un peu hors du temps, le plus hors du temps, éternel, étant peut-être Inhambane, à se demander si Inhambane n’est pas déjà de l’autre côté.
Peut-être croyez-vous que je me fais des illusions en disant chez moi, je me fais très très peu d’illusions et je vais vous en enlever une, si vous n’avez pas lu l’œuvre de René Pélissier vous ne connaissez rien de l’Afrique portugaise, c’est un travail majeur d’historien et de chercheur, parmi ce que j’ai lu de plus intelligent de toute ma vie, il est encore vivant mais je ne veux pas le fatiguer, un grand savant, et vous aussi je vous interdis de l’emmerder.
Je dis ça pour mettre la barre un peu haut dans la connaissance du Mozambique, et qu’est-ce que vous connaissez, vous, du Mozambique ? Une fois et demie la France en superficie, 2500 km de côte, vous allez me dire que je ne parle pas beaucoup du livre, c’est que je rêve en même temps que je lis, pris par l’immobilité et la lenteur.
Je n’ai pas reconnu tout le monde dans son congrès d’écrivains, ceux qui aiment la tarte à la crème de l’intertextualité seront servis, en fait ce livre est une sorte de faux Mia Couto mais en meilleur, avec la limite de mieux faire ce que les autres ont déjà fait, la trame du livre c’est que l’île est coupée du monde par une tempête, peut-être un des cyclones récents, plus de réseaux internet et téléphone, et une compagnie théâtrale d’avant garde qui joue avec les nerfs de nos écrivaines et vains en donnant vie à leurs personnages, l’île de Moçambique coupée du monde est une idée excellente, ça me donne envie d’écrire, l’île épargnée par un cyclone, le huis clos qui s’installe, le huis clos éternel, l’escalier, la rampe, ça donne même envie de réécrire Sartre, ou alors c’est le café, ensuite la compagnie des écrivaines et vains dans ce livre ne m’intéresse pas vraiment, je décolle sur le dispositif du livre et je quitte le livre, je vous avais dit c’est étrange la littérature, là on est quand même dans le chaudron, écrivains africains, île du Mozambique, vous vous dites pourquoi il met un z parfois parfois un ç, vous n’avez qu’à lire René Pélissier, vous le saurez, mais en quelques mots, disons que l’histoire de l’île de Moçambique est double, une histoire locale qui lutte contre l’océan, en gros des pécheurs africains, et une histoire qui a peur du continent, canons tournés vers la terre, la colonisation en modèle réduit, en maquette, une base où tu as peur de tout ce qui t’entoure, d’où tu peux repousser les sauvages, tout ça vous le sauriez si vous aviez lu René Pélissier au lieu de perdre votre temps avec un ballon.
Alors ensuite le monde de la Palop ne m’est pas particulièrement sympathique, pays africains de langue officielle portugaise, tout de suite j’ai un problème, c’est officielle, langue officielle, je suis contre, langue officielle c’est quand on commence à se mentir, quand plus de 80 % de la population ne la parle pas, la langue officielle, ne la comprend que peu et fonctionne dans une autre, non officielle, il faut leur expliquer pourquoi la langue qu’ils parlent dans la rue n’est pas officielle, donc la lusophonie, j’en pense mais ou menos la même chose que de la francophonie, pensée qui si je l’écrivais ne pourrait se traduire que par une série de jurons et d’insultes.
Mais si je puis me permettre dans cette histoire de paloponie, ce qui m’embête c’est que les élites palopones sont encore plus portugais que les portugais, il y a une histoire à ça, je sais pas si je vous raconte ça ou pas, si je me fais un autre café, le quatrième, ça va secouer, je risque la crise cardiaque en train d’écrire mon compte rendu, j’ai du café très fort et très bon, mélange 50/50 de cafés en grain bio de Papouasie et d’Ouganda, bon, je vous explique la Palop ou pas ? Allez, chauffe, pourvu seulement que René Pélissier ne lise pas ce compte rendu et ne s’arrache les derniers cheveux qu’il lui reste, le problème de la palop, ou de la plop, les autres pays de langue portugaise, en Afrique, le problème, pour dire les choses le plus brutalement que je peux grâce au café, c’est que le monsieur blanc qui arrive en Afrique en bon portugais va avoir très rapidement des enfants de plus en plus foncés mais qui se croient tout aussi portugais que le monsieur blanc du départ il y a à peine quelques années, bref, des noirs qui se croient portugais, alors je dis qui se croient, je vous assure que même si les portugais sont nostalgiques leur histoire est plutôt marrante, pour résumer des gars dans la brousse pourtant parfaitement noirs se croyaient parfaitement portugais et égal du roi du portugal, le roi est leur cousin, c’est ça le problème de la palop, un centre très léger et une périphérie lourde, c’est un centre qui n’écrase pas tellement, comment voulez-vous que le Portugal écrase le Brésil ou l’Angola ? Un centre faible, une fois le Portugal a voulu envoyer l’armée à un de ces bâtards qui se prenaient pour des portugais, l’armée est arrivée au bord du Zambèze avec des instruments de musique de chambre, pour accompagner l’armée au bord du Zambèze, c’est quand même vous dire si les portugais sont barrés, quand les autres les ont vus, et entendus, arriver, ils ont pensé tiens nos parents nous envoient des cadeaux, comme ils avaient un vieux canon piqué lors d’une escarmouche précédente ils décidèrent d’envoyer un coup de canon pour saluer leur parents venus d’un peu loin, les portugais surpris se sont débandés et ont couru dans le Zambèze, malheureusement plein de crocodiles, ce voyant, les portugais de brousse ont vu leurs parents qui allait tous se faire bouffer il fallait prendre une décision, le chef, portugais de brousse et cousin du roi du Portugal prit la bonne décision, sauver les instruments de musique et un gars pour leur apprendre à s’en servir, ils prirent aussi une mauvaise habitude à cette époque, c’est de piquer les têtes des portugais morts sur des piquets constituant le rempart autour du camp et d’obliger les envoyés du roi à venir négocier sous les crânes de ses amis, donc comme vous le voyez, le fond musical mozambicain est beaucoup plus riche qu’on croit.
La vérité c’est que les mozambicaines et les mozambicains sont beaucoup plus tristes que ce que la langue portugaise est capable de porter, les mozambicaines et mozambicains sont beaucoup plus tristes que ce que ces élites lusophones sont capables de dire, élites perdues dans des blablas mondains autour de leur égo, il y a un écueil dans la lusophonie c’est que quand elle se prend au sérieux elle est ridicule, les écrivains fatigués des centres, elles et ils sont obligés de mythologiser leur nombril pour se croire intéressants, mythologiser leur nombril avec des moyens très limités, à moins de se vendre au Brésil, élite palop assez carrément tournée vers le Brésil, vers l’Amérique du sud, vers le réalisme magique, si chic, si sympa, non je suis méchant, c’est le café, et encore je me retiens, ça c’était avant, dieu merci les jeunes ont pris le pouvoir, et le prendront, pouvoir qui pourrait être dans ce livre représenté par les jeunes acteurs de rue.
J’ai parlé de Mia Couto déjà ? C’est le baroque qui me gêne, c’est tellement portugais, et comment dire, je trouve que Mia Couto en fait des tonnes, c’est boursouflé, j’aimais bien Mia Couto il y a quinze ou vingt ans, elles et ils sont tous des petits Houellebecq tropicaux, l’individu intéressant, intéressant parce que central, centre Lisbonne, happée par Sao Paulo et Rio, allez, disons des duras dans les meilleurs des cas.
Alors bien sûr je ne suis rien à côté de gens qui sont nés sur l’île de Moçambique, j’en connais, mais sur l’île de Moçambique j’y suis, je pourrais y rester éternellement, c’est un tableau, un tableau magnifique, la couleur des enduits, des peintures, la couleur du ciel et de l’océan, indigo, donc ton congrès d’écrivains je m’en fiche un peu, ils n’ont rien à dire, déjà ce qu’ils écrivent c’est ténu, le silence des murs est tellement mieux, le plus grand écrivain est celui qui se tait le plus, mais seulement de situer son roman sur l’île de Mozambique donne déjà la parole aux murs, murs effondrés face aux parois de paille tressée.
Donc chers ami·e·s écrivaines et écrivains, il n’y a pas tellement autre chose à dire que les mozambicaines et mozambicains sont fatigué·e·s, encore plus fatigués que les autres, encore plus oublié·e·s que les autres, les mozambicaines et mozambicains souffrent en silence, il n’y a pas tellement autre chose à dire que ça
Est-ce qu’à un moment j’ai prétendu connaître le Mozambique ? Ou vous en avez eu l’impression ? Je ne connais rien du Mozambique, je connais un peu certains points sur la côte, rien de l’intérieur des terres, mais bon je parle très mal portugais, en fait quand je parle portugais c’est une offense constante à la langue portugaise, une agression, je parle plus mal portugais que la plupart des mozambicains, une fois il y en a un qui a dit que j’étais handicapé en portugais, deficiente, mais c’est vrai, je parle le créole capverdien en première langue, le portugais pour moi c’est comme le latin ; très joli mais je n’ai pas trop le temps, bon c’est un peu faux parce que j’aime vraiment beaucoup la langue portugaise, c’est une langue qui va jouer de l’orchestre de chambre au bord du Zambèze, certes barrée, mais très originale, c’est un très joli latin.
Au Mozambique le pouvoir depuis l’indépendance a laissé peu de place aux langues et cultures africaines mais il y a encore plus d’une dizaine de langues dans le pays, au Mozambique je soutiens plus ou moins le parti au pouvoir, le FRELIMO, ou la FRELIMO, front est féminin en portugais, les portugais n’ont pas exactement le même sens du masculin et du féminin que le reste de la chrétienté, je plaisante, ça dépend si on compte les grecs et les anglais dans la chrétienté, ce qui se discute, vous me demanderez en quoi je me mêle de chercher le sexe de la chrétienté, je me place en tant que linguiste, la place du féminin en portugais, très intéressant, vous croyez que je suis ennemi avec la chrétienté ? il y a une toute petite église dans le fort de l’île, 16ème siècle, presque taillée dans la roche, presque fortifiée, au plafond bas presque une grotte, venir construire sa petite église là, je trouve ça je ne sais pas quoi dire, beau, je respecte même si il faut être totalement barré, c’est une foi en pierre qu’aujourd’hui on ne peut même plus comprendre, par rapport à ces gens ça fait longtemps que nous ne sommes plus des hommes, voyager au 16ème siècle c’était vraiment totalement autre chose, notez au passage qu’avant qu’on creuse le canal de suez il fallait faire tout le tour de l’Afrique pour aller au Mozambique depuis l’ouest, jusqu’au 19ème siècle, la plupart des gens envoyés par Lisbonne au Mozambique mourraient avant d’arriver à destination, l’espérance de vie pour tout le monde était très courte, le Portugal importait un demi litre d’alcool pur par personne et par jour pour la population de l’époque, colonisation par l’alcool, la méthode forte, le pays entier nageait entre deux vins, comment dire, je n’en sais rien, mais s’ils étaient un peu intelligents et certains devaient l’être, leur horizon individuel était quand même sacrément limité, revoir le Portugal était extrêmement incertain, je veux dire que pour construire ta petite église dans une situation si difficile tu devais quand même être assez philosophe comme on dit, on est peu de chose mais on construit une église en pierre, le contraire de maintenant où nous sommes grande chose et construisons des églises en carton, bref je suis amoureux des petites églises portugaises, l’amour ça ne s’explique pas, ça n’a pas d’histoire et il n’y a rien à en dire, même au brésil je suis amoureux des petites églises portugaises, je ne sais pas pourquoi, rien n’est plus beau qu’une église des personnes réduites en esclavage, je ne sais pas pourquoi, nous avons maintenant des espoirs démesurés, des prétentions sans limites, enfin ce que je trouve très respectable chez ces anciens bâtisseurs c’est qu’ils croyaient à l’immortalité des autres, c’est désintéressé comme foi et ça tendrait à confirmer que nous sommes chaque fois plus faibles en nous croyant chaque fois plus forts.
Bon, depuis le début j’essaie de frimer en vous faisant vaguement croire que je connais le Mozambique mais je suis un peu perdu dans le roman à clés, on voit passer Fatou Diome et Sami Tchak, enfin Fatou Diome c’est pas elle, c’est une actrice qui se fait passer pour le personnage d’une écrivaine nigériane que je n’ai pas vraiment identifiée, qui ne ressemble pas vraiment à Chimamanda, les autres je ne les ai pas vraiment reconnus, mais peu importe je m’en fous d’eux je suis sur l’île de Mozambique, je peux rester, mais pour les écrivains africains j’ai plutôt eu l’impression qu’il manque du monde
Ca vaudrait le coup de le faire, un congrès des écrivains africains sur l’île de Moçambique, plus on s’éloigne des centres plus le temps ralentit, alors leur couper le téléphone et internet c’est tentant, après avoir construit des ponts les couper, inverser la vapeur, c’est l’île du Moçambique qui s’en fout de Paris, de New York, de Londres et de Lisbonne, rassembler les pointures mondiales de la littérature africaine, mettre tout ce monde dans le même chaudron, auteurs, éditeurs, pique assiettes, le seul problème est que je pense que l’île de Moz est déjà trop petite pour le milieu littéraire africain d’aujourd’hui, on dépasse déjà la capacité hôtelière, on va devoir se replier sur Zanzibar, sur l’île de Moz ce qu’il a envie de faire notre auteur angolais c’est un atelier d’écriture à ciel ouvert, un laboratoire d’écriture collective, tous les écrivains africains écrivant en même temps au même endroit, une œuvre qui s’inscrirait automatiquement dans un ensemble d’autres, écrites au même endroit et au même moment, l’intertextualité en live, c’est tentant.
Mais bon je me retrouve devant le paradoxe d’avoir aimé ce livre et de penser qu’il est assez raté, tous les fils ne sont pas tenus jusqu’au bout, surtout le fil jeune théâtre, j’aurais aimé que l’écrivain leur donne plus de place et plus de sens, le théâtre mozambicain est très vivant, ce qui n’est pas la moitié d’un compliment comme on n’est pas à moitié vivant, ni à moitié mort d’ailleurs, j’aurais aimé un complot des jeunes contre les vieux, le fil polar non plus n’est pas exploité ou exploré jusqu’au bout, notez au passage qu’exploiter et explorer en portugais c’est le même mot, mais la trame policière façon La véranda du frangipanier, de Mia Couto, pouvait aussi être mieux tenue à mon avis, il manque un cadavre, mais bon tant de bonnes idées pour au final ne pas casser la baraque, l’île du Mozambique coupée du monde, le congrès d’écrivains africains en huis clos, tout ça ouvre l’appétit, et je rêve d’un congrès d’écrivains où de jeune actrices et acteurs viennent foutre le bazar, et bon encore, moi je ne les connais pas tous intimement, les écrivaines et écrivains africains, mais il y a quand même de quoi faire deux ou trois portraits croustillants, bref je reste sur ma faim, je suis à cran, trop de café, j’attends de savoir, ce lundi 20 mars qui ici, à Montpellier, sent très fort le printemps, j’attends de savoir si le gouvernement va tomber à 16 heures, je pense que non, il va manquer une ou deux voix à mon avis, ça ne change pas grand chose sur le fond, mais c’est très intéressant, excitant, que se passe t-il dans la tête d’un député de droite ? On va voir, donc si vous n’êtes jamais allé sur l’île de Mozambique, ne connaissez rien à la littérature lusophone ou que vous détestez Mia Couto, ce livre a peu de chances de vous plaire, moi je suis une carpe koï dans le canal du Mozambique, donc j’aime, mais peut mieux faire, et place aux jeunes dans les congrès, partout, pas les faux jeunes comme Macron, la jeunesse, de toutes façons manif jeudi 23, mais bon une dernière fois ce livre contient une ébauche de repliement du temps qui vaut le détour, entre présent et éternité, à deux jours du ramadan, bon ramadan aux musulmanes et musulmans de Muhipiti, du Mozambique et du monde et bon printemps aux autres, ou bon automne austral.
Pangolin
Angola Editions Metailié fiction José Eduardo Agualusa Mia Couto Mozambique
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