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Neuf histoires lumineuses où le bien est le mal - Jo Güstin (2017)
Coucou compte pour la troisième fois les tresses que Nyango vient de lui faire. « Noire, blanche, nguénguérou, métisse, noire, blanche, nguénguérou, métisse, noire. » C’est sans appel… Elle est noire. (p.52)
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in Cameroun, Nouvelles, Sonia Le Moigne Euzenot on 8 février 2022 0 Comments
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Jo Güstin
Histoires lumineuses où le bien est le mal
Présence africaine, 2017

 

Coucou compte pour la troisième fois les tresses que Nyango vient de lui faire. « Noire, blanche, nguénguérou, métisse, noire, blanche, nguénguérou, métisse, noire. »
C’est sans appel…
Elle est noire. (p.52)

Des histoires lumineuses ? Jo Güstin en propose neuf dans ce recueil publié chez Présence africaine en 2017. Histoires lumineuses où le bien est le mal : voilà un titre qui donne le ton. L’auteure a bien l’intention de jouer avec le même et son contraire, avec l’envers et l’endroit, l’ombre et la lumière. Elle s’engage à bousculer les certitudes, les systèmes de valeur. Nous voilà prévenus, l’auteure nous entraine sur un chemin scabreux en affirmant effrontément l’éclairer. 

C’est cette forme d’outrecuidance qui rend ce recueil aussi plaisant ! Jo Güstin sait raconter des histoires et, surtout, ici, sait écrire des nouvelles. Qualité rare ! Elles sont denses : l’auteure sait manier les situations les plus évidentes pour en extraire les faces cachées, les rendre aussi acceptables qu’insupportables. 

Le recueil a aussi une autre qualité : les histoires se suivent sans simplement s’additionner. Elles se complètent en bousculant à chaque fois tel aspect d’un comportement humain que la voix narrative s’applique subtilement à rendre anodin alors qu’il ne l’est pas, à présenter comme banal ce qui, d’un autre point de vue, est ouvertement inacceptable. Tout est duplice dans ce recueil.

On suit Marie-Lise, la petite fille de onze qu’Ibrahima emmène à Douala parce qu’elle rêve de quitter son village. On suit Innocent, l’enfant-soldat de 8 ans persuadé qu’être un garçon est une chance, qu’être un « soldat » est une reconnaissance. On suit Ibeji, l’enfant surdoué albinos : ses qualités intellectuelles le condamneront. À chaque fois, le récit prend soin de ne pas démêler ses propres fils conducteurs. Il les garde à distance ! L’auteure adopte la posture d’une dupe pour éclairer la duperie qui gouverne chacune de ces situations. L’effet est aussi séduisant que déconcertant.

On suit Coucou, désespérée d’avoir la peau noire. Elle fait le rêve impossible de devenir blanche. On partage ensuite le désarroi des chiens Irish et Iroko qui ne seront jamais des chiens de race et seront abandonnés. Chacune de ces nouvelles tisse deux points de vue narratifs qui s’entrecroisent : on dirait que le mépris et la considération ne parviennent pas à s’opposer ! S’agit-il ici d’éclairer une forme de cynisme dont le récit des deux chiens, placé à côté de celui de Coucou serait l’expression ? Un clin d’œil au registre littéraire bien connu ? C’est bien possible tant l’écriture de Jo Güstin sait distiller une forme de jeu narratif qui pourrait faire penser que des points de vue opposés sont compatibles l’un avec l’autre. 

On suit Maïmouna qui se croit une personne exemplaire : elle est pourtant emprisonnée pour meurtre. On suit Emma, l’épouse vertueuse qui s’inscrit sur un site de rencontres amoureuses. L’auteure se prête à une subtile modalité narrative : le récit flirte avec un autre récit. Ce récit-là suggère une autre histoire qui serait pourtant la même que l’autre… sans nous la raconter. Les deux nouvelles, dont, de mon point de vue, la première est particulièrement réussie, rapprochent leurres et ruses… L’auteure excelle dans l’exercice.

On suit Marlène et Nancy, jeunes femmes riches et arrogantes qui vont rencontrer, pour son malheur, Flo à Yaoundé. On suit l’ex d’Alex qui n’est pas un vrai garçon : il a transformé son appartement en un cloaque putride avant de se mutiler. Ces deux nouvelles sont poignantes parce que, cette fois, le récit ne cherche pas à contourner le réel pour l’appréhender. Elles n’envisagent pas une manière biaisée de comprendre les situations qui sont rapportées. La première décrit, étape par étape, comment l’abjection de Marlène, qui séduit Flo, conduira Flo en prison pour cinq ans. Flo sera, seule, poursuivie pour son homosexualité. La seconde décrit la cruauté avec laquelle l’ex d’Alex se traite lui-même par désespoir. Raconter l’ignominie exige une forme d’expression frontale, sans détour. Et c’est glaçant. 

Jo Güstin place des leurres, use de stratégies de diversions, de jeux de miroirs au sein de ses nouvelles pour raconter que « le bien est le mal », sans jugement de valeurs, sans prétention à imposer un point de vue. Seuls comptent les personnages qu’elle campe parce qu’ils incarnent tous les questionnements qu’elle cherche à éclairer.

 

Sonia Le Moigne-Euzenot

 

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