J’ai lu Consolée, de Beata Umubyeyi Mairesse, éditions Autrement, j’ai aimé ce livre, les problématiques qu’elle aborde sont très intéressantes, la place des afrodescendants en France, la maladie d’Alzheimer chez les immigrés bilingues avec la perte progressive des langues apprises en dernier, mais elle aborde aussi beaucoup d’autres sujets à controverse, le voile, la situation des métis congolais et rwando-burundais après les indépendances, beaucoup de dossiers lourds dans ce livre, à mon avis peut-être trop.
Le livre est à deux voix, deux personnages de femmes, une métisse, « mulâtresse » de père grec et mère rwandaise, adoptée par un couple belge juste à l’indépendance, qui se retrouve à la fin de sa vie perdue dans un ehpad, avec le kinyarwanda qui remonte à la surface quand le français s’efface peu à peu, une autre, sénégalaise d’origine mais ayant fait sa vie en France sans regarder en arrière vers l’Afrique et le Sénégal, avec le désir très fort de s’intégrer, mariée avec un gars d’origine algérienne, un bon gars, elle est devenue art thérapeute après un burn-out.
Ces deux parcours sont très beaux et très intéressants, la rwandaise est placée dans une colonie scolaire, sorte d’orphelinat pour métis, mais qui ont encore leurs parents, enfants qui dérangent les représentations racistes, qu’on souhaiterait effacer, le destin de ces enfants est aujourd’hui assez bien documenté en RDC et aux Rwanda et Burundi, rejetés des deux côtés, d’une certaine façon, doublement niés, niés en tant qu’africains et niés en tant qu’européens, en tant que belges.
La mémoire de la femme rwandaise s’envole à cause de tous ses arrachements, ça ne tient plus, trop de violence dans les déplacements, arrachements, on vous prend ici, on vous pose là, on vous change de nom, de langue, pour un pays qui va tant couper, déjà on vous coupe de votre famille, de votre langue, de vos repères, de votre enfance, comment voulez-vous que vieillisse cet amoncellement de traumatismes ? Ca craque, le cerveau baisse les bras, s’écrase lui-aussi, s’autodétruit.
Beata Umubyeyi Mairesse est très sérieuse avec les thématiques abordées, elle a étudié ses sujets et les descriptions sont très documentées pour la maladie d’Alzheimer et les vies et revendications présentes de ces enfants métis, beaucoup de causes justes, peut-être trop.
Le parcours de la jeune sénégalaise, enfin, française très française, d’origine sénégalaise, m’a peut-être un peu moins convaincu, personnage à mon avis un peu trop disparate, elle la fait passer de cadre sup à art thérapeute alors que j’ai senti tout au long du livre une travailleuse sociale dans l’âme, j’en aurais fait une travailleuse sociale qui peut très bien faire un burn-out et se reconvertir dans l’art-thérapie.
Art thérapie elle aussi très sérieusement et joliment documentée
Globalement, pour moi, elle en dit trop, c’est un peu bavard, trop de détails biographiques sur les unes ou les autres brouillent la démonstration, mais Beata Umubyeyi Mairesse a beaucoup de choses à dire et elle est manifestement du bon côté, pour le grand âge, pour cette prise en charge des vieilles et vieux migrants, de faire venir des interprètes dans les ehpad pour ces dix ou quinze pour cents de personnes âgées dépendantes qui perdent progressivement le français.
Les histoires de voile et d’islamophobie sont aussi abordées, la fille de la jeune femme franco-sénégalaise décide de porter le voile, au grand dam de sa mère qui n’a eu de cesse d’essayer de passer inaperçue, de tenter de se faire passer pour intégrée, assimilée, dans les normes, porter le voile est le rejet brutal de cette façon de vivre, l’échec de cette hypocrisie de faire semblant d’être identique, faire semblant d’être égale quand on ne l’est pas et que chaque jour le prouve, les petites remarques, petites blagues, questions idiotes, quand vous faites tant d’efforts pour être comme tout le monde et que tout vous rappellent que vous êtes différent·e.
Même la problématique du retour au pays est évoquée, retourner au Rwanda, retourner au Sénégal, retourner en Afrique, quand on a fait sa vie ici, c’est retourner où ? Intéressantes questions.
Les liens, surtout financiers, maintenus avec le pays des ancêtres, tout ça est très fertile en réflexions et je suis en gros d’accord avec elle sur beaucoup de choses, sujets cruciaux qu’il est amplement temps de mettre au centre de la table, la place des métis, la place des vieux, l’attention qu’on est en devoir de se porter les un·e·s aux autres.
Deux voix se croisent, la voix de la vieille dame rwandaise qui revoit son enfance dans les années cinquante, et la jeune femme peule qui fait tout pour être française mais se marie avec un algérien, sa voix ressemble un peu trop quand même aux « écrits » des travailleurs sociaux, cette prose grise des irts, pas si lointaine de la langue de bois, c’est à dire « nos financeurs » imposent aussi leur vocabulaire abscons, dont il faut se méfier, toute une boite à outils de mots qui servent à ne rien dire, mais ça se soigne, un peu naïve quand même cette jeune dame, projet de vie personnalisé, se méfier quand le positivisme ou la psychologie positive se mêle au jargonnage, un ou une écrivain·e doit se poser la question de ce que c’est que ce projet de mort uniforme dont on parle par antiphrase, même par désir d’appartenance il ne faut jamais perdre le sens de ce qu’on souhaite décrire, projet de vie personnalisé doit déclencher une alerte en nous, une lumière rouge qui clignote, tut, tut, tut.
Très bon livre donc que ce Consolée, de Beata Umubyeyi Mairesse, chez Autrement, des personnages attachants, une histoire en marge de la grande histoire, le génocide des Tutsi du Rwanda y est à peine évoqué, une page à peine, la 288, le livre se passe très avant et très après, quarante ans avant et vingt-cinq après, on ne sait pas où étaient les personnages en 1994.
Le livre défend la position afropéenne, d’une jeune femme, d’une jeune française, j’ai été très intéressé par la réflexion autour de la vieillesse, Alzheimer et les aphasies de fin de vie, dues au grand âge, l’identité métisse aussi est un dossier qui mérite attention, d’une double identité à une non identité, qui être ? Et comment ne pas raisonner en termes d’identité supérieures et inférieures ? Ce livre accompagne ces questionnements sur une trame romanesque très touchante, un poil trop touffu à mon sens et quelques coquilles en trop, mais très bonne compagnie, à lire.
Pangolin
Beata Umubyeyi Mairesse, Consolée
Editions Autrement, 2022
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