Par Jean-Paul Tooh-Tooh
Braises de la mémoire de Jean Métellus ou la force d’évocation du passé brûlant d’un Haïti encore dans les flammes
Jean Métellus est né le 30 avril 1937 à Jacmel en Haïti et mort le 4 janvier 2014 à Bonneuil-sur-Marne. Braises de la mémoire est l’un de ses nombreux recueils de poèmes. La poésie de cet écrivain prolixe est profondément marquée par Haïti, sa terre natale.
Commençons l’analyse par le titre de l’œuvre en étude. Braises de la mémoire. Nous sommes en présence d’un syntagme nominal dont l’élément central est Braises. Au plan syntagmatique donc, le mot « Braises » fonctionne avec les autres éléments du syntagme et entretient avec eux ce que Saussure appelait des rapports in praesentia (en présence). Le mot « Braises » (entretenant des rapports in absentia avec des éléments virtuels) peut en générer d’autres au plan paradigmatique, par exemple de type sémantique : feux, charbons, flammes, etc.
Voilà un syntagme qui semble cristalliser le projet esthétique et thématique du poète. Si je me réfère aux travaux de Gérard Genette, le titre d’un ouvrage littéraire remplit trois grandes fonctions : la fonction désignative, la fonction métalinguistique et la fonction séductrice. Ici, le titre du recueil Braises de la mémoire a une fonction métalinguistique en ce sens qu’il permet d’annoncer ou de suggérer le contenu de l’œuvre. En effet, le mot « Braises » renvoyant à feux, charbons, flammes, préfigure l’idée d’un passé douloureux pour le poète. Quel est donc le signifié poétique de « Braises » dans Braises de la mémoire de Jean Métellus ?
En effet, dans l’œuvre, le mot « Braises » se rattache à d’autres concepts et à différents réseaux sémantiques. Le titre est donc une expansion du complément du nom qui autorise à lire l’œuvre sous un angle historique.
La première partie intitulée Haïti, semble corroborer notre thèse. La deuxième partie est intitulée Les mots et la troisième partie, Humeurs. Les poèmes qui composent ce volume n’ont pas de titre et peuvent se lire comme étant les séquences d’un même et long poème. L’évocation d’Haïti est ostensible et prégnante. Braises de la mémoire poétise des événements graves qui ont défiguré Haïti dans son essence. Dans cette œuvre, le nom Haïti s’actualise sous la forme d’un ensemble de faits historiques avérés et douloureux. Selon la sémiotique riffatérienne de la poésie, tout « poème résulte de la transformation de la matrice, une phrase minimale et littérale en une périphrase plus étendue, complexe et non littérale. La matrice est hypothétique, puisqu’elle est seulement l’actualisation grammaticale et lexicale d’une structure latente. » Ici, la matrice est le passé douloureux d’une terre natale. Cette déclaration préfigure la présence d’un espace figé (Haïti), d’un temps (historique) et d’un état d’âme (douloureux). Toujours selon Riffaterre, « Deux règles interviennent dans la production du texte : la conversion et l’expansion ». Entre ces deux règles, celle qui nourrit les intérêts de notre étude, est bien l’expansion. « L’expansion transforme les constituants de la phrase matrice en formes plus complexes. » L’ensemble de l’œuvre est construit sur le modèle de cette transformation matricielle. Tous les poèmes de ce recueil obéissent donc à une structure latente dont les piliers s’enracinent dans les termes de notre matrice. Au contact de cette œuvre, on détecte un affleurement d’occurrences significatives du thème d’Haïti et du recours à une dénotation par laquelle se mesure et s’apprécie la concrétisation d’un cadre spatiotemporel bien défini. Notre étude passe par l’isotopie sémiologique, « assurée par la redondance et la permanence des catégories nucléaires » Ce sont des sèmes qui s’associent étroitement au nom Haïti et qui révèlent l’intention thématique et esthétique de Jean Métellus. C’est par eux que s’organise le langage poétique chez ce poète fortement engagé dans la défense et la célébration de sa terre natale. L’isotopie sémiologique devient alors l’une des conditions de reconnaissance de cette poésie où abondent des références historiques vraies et presque jamais illusoires. Les passages suivants éclairent notre analyse :
« Ô Haïti, mon pays, face souveraine du monde noir
Toi qui as épouvanté l’impudence du monde
Au mois de janvier mille huit cent quatre
Toi qui a troublé la limpide vanité du temps »ou
« Jadis perle des Antilles, aujourd’hui lèpre des Caraïbes
Haïti s’enfonce dans des saisons obscures
Son passé flotte dans l’oubli
Ses étoiles chancellent dans la nuit
Ses cris s’émoussent dans une agonie sans fin
Un désespoir intense oblitère ses héros
Toussaint grelottant dans son cachot »
Ces passages nous renvoient à l’histoire politique d’Haïti faite de faits majeurs comme la révolution haïtienne qui a conduit à l’indépendance le 1er janvier 1804 et d’assassinats des héros de cette île. Les références spatiales et historiques transportent le lecteur dans l’univers des catégories nucléaires d’une poésie fortement marquée par le passé sanguinolent du pays natal. On peut lire :
« Une terre est comme une mère
Et je n’ai point encore parlé de la souffrance de ses dieux
Un homme sans âme est un zombi
Haïti sans ses dieux est à l’agonie »
Excédé par les souffrances de son pays natal, le poète se fait exorciste pour conjurer les maux qui accablent Haïti. Il convoque le verbe propitiatoire au carrefour de sa nostalgie pour mieux charrier les ombres qui assombrissent l’avenir de ce bout de terre auquel il tient à offrir la « Fraîcheur tonifiante des litanies ». Les dieux sont mis à contribution pour délivrer Haïti des ombres du passé qui reviennent encore hanter ses enfants.
« Ô Dieux prêtez-moi votre puissance
Pour réveiller mon pays et ses enfants déchirés
Battre le rappel autour de vos sanctuaires
Que vos mots jaillissent vainqueurs dans l’encrier
Et purifient nos faces tristes
Rendez-moi attentif au murmure de vos envoyés
Afin que ma voix s’élance, étincelante
J’ouvrirai grandes mes mains au jour de la moisson
Et tous mes sens célèbreront votre retour
Sur la terre d’Haïti »
Malgré l’omniprésence du thème de la douleur, il y a dans cette poésie élégiaque quelques polarisations de l’espoir :
« Haïti, Haïti
J’entends renaître un grand espoir »
Braises de la mémoire, Jean Métellus,
Editions du Janus, 2009
Copyright photo Jean Métellus
Lecture d’un extrait de Braises de mémoire de Jean Métellus
Jean Métellus, Braises de la mémoire, Condé-sur-Noireau, Editions Janus, 2010 (Deuxième édition), 134 p.
Michael Riffaterre, Sémiotique de la poésie, Paris, Seuil, 1983, pp. 33
Opus. Cit, pp. 36
Opus. Cit, pp. 68
Groupe d’Entrevernes, Analyse sémiotique des textes (Introduction, théorie-Pratique), Presses universitaires de Lyon, treizième édition, 2003, pp. 124-125.
Jean Métellus, Braises de la mémoire, Condé-sur-Noireau, Editions Janus, 2010 (Deuxième édition), pp ; 39.
Opus, cit, pp. 45
Opus, cit, pp.39
Opus, cit, pp.12
Opus, cit, pp.29
Opus, cit, pp.19
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