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A l’ombre des eucalyptus - Engudaï Bekele (2019)

Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir

Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir

A l’ombre des eucalyptus (2019)
Par Engudaï Bekele
L’aube d’un monde

Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir

A mon sens, ce livre a capturé l’essence de l’âme éthiopienne; une mélancolie nostalgique. On appelle ce sentiment “Tezeta” en amharique. C’est là aussi que l’on se heurte à un mur de traduction: le Tezeta, loin d’être une approche défaitiste, a pour but de nourrir l’espoir en racontant la vie dans toutes ses nuances. Un hymne à la résilience, une histoire d’amour révolutionnaire et à la fois… une complainte qui déchire le cœur.

Après vous avoir promis le dérèglement des sens, je me dois de préciser le décor et, si possible, d’y apporter un contexte.

A l’ombre des eucalyptus est l’un de ces livres qui se lit d’une traite et vous laisse avec des interrogations existentielles. Ce témoignage historique d’Engudaï Bekele nous parle d’une « époque [qui] était aux grands débats d’idées » en Ethiopie (1960-1983). C’est le moment où une monarchie vieille de 2000 ans chute. Au-delà de la dimension historique, ces évènements que l’auteure a vécu dans sa chair ne sont plus de lointains conflits politiques. Ce sont des visages, des amis, des moins-amis… On ne parle plus des “autres”, on parle de nous et de notre humanité.

C’est tout d’abord un livre à la mémoire de Daniel Tadesse (1942 – 1977), époux de l’auteure et grand activiste politique. A travers lui, c’est aussi l’épopée de toute une génération qui est à l’honneur.

Engudaï Bekele nous raconte une enfance et une adolescence passées entre Dessie et Addis Abeba. Nous sommes dans les années post-occupation Italienne et il y a comme une odeur de revanche dans l’air. L’humiliation de la défaite ne doit jamais se reproduire. La nécessité de se former, se moderniser, de se tenir debout entraine une politique éducative de qualité.

C’est dans ce contexte qu’Engudaï Bekele voit le jour dans une famille à l’image de son pays: une mère conservatrice, un père progressiste. La description de son entourage illustre parfaitement la cohabitation permanente de ces deux tendances. La jeunesse s’impatiente, déchirée entre deux mondes, la nécessité de réforme fait peu à peu surface avec une tentative de coup d’état contre Haile Selassié 1er en 1960: Engudaï vient d’entrer à l’Université. Il y a alors une prise de conscience politique.

Quelques années plus tard, Engudaï part poursuivre ses études à Paris. C’est le passage le plus beau du livre. Ce sont des années et des êtres qui débordent de vitalité. Les soirées dansantes, les amis, les débats dans les cafés et pendant quelques pages, les frontières se sont effacées. Les contradictions “tradition/modernité”, “passé/présent” perdent tout sens. Leur monde était personnel et n’avait pas besoin de se justifier. Ils parlaient de le construire, notamment au sein de l’Union des Etudiants Ethiopiens en France (UEEF) à laquelle participe activement Engudaï. Arrive alors Daniel Tadesse. Comment vous dire… Allez juste lire le livre parce que je ne saurais pas contenir cette personne en quelques phrases. C’est un amour pudique, télépathique et politique qui nait en 1968. Les luttes se croisent , s’enrichissent avec la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), Cheikh Anta Diop, etc… Je sens votre cœur panafricaniste battre. Ils retournèrent donc en Ethiopie l’un après l’autre, plein d’espoir. Un retour au pays natal que l’on ne regarde plus avec des yeux d’enfant.

C’est le moment des bilans et des choix. Daniel Tadesse, est de plus en plus pris par ses actions au sein du Meison (parti marxiste-léniniste), il est honnête sur sa priorité. Engudaï accepte de se marier « avec lui et avec sa cause ». Elle nous parle du prix de l’engagement, celui de cohabiter avec la peur, celui de vivre une vie de révolutionnaires. Justement, en 1974, après des mois de contestation populaire, l’empereur Haile Selassié 1er est déchu par une faction de l’armée : le Derg.  Personne n’aurait pu prévoir la suite des évènements.

Le récit est absolument poignant par la nuance qu’il apporte à une période d’extrêmes. Les coulisses du monde politique, les efforts pour trouver un consensus post-révolution sont décrits à la perfection. La sincérité de leur engagement est saisissant. Cette parole est d’autant plus précieuse par sa description de la vie familiale, la réalité d’une mère, de tout un ensemble de personnes qui sont essentielles à la lutte politique. C’est un pas en avant, une thérapie historique qui appelle pour les suivants, de grandes responsabilités. La barre a été mise très haut.

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