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Noire est la couleur de la moisson - Baby Mapinga Makim (2021)
Ce livre a obtenu le prix Makomi 2023 !
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in Nouvelles, RDC, Sonia Le Moigne Euzenot on 19 février 2023 2 Comments
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Noire est la couleur de la moisson est publié aux éditions Sélène (Chypre/Congo). Ce livre a obtenu le prix Makomi 2023. Prix grandement mérité ! Prix congolais de surcroît ! L’ouvrage de Baby Mapanga Makim offre 23 nouvelles à ses lecteurs. Des nouvelles. Et même des nouvelles à chute ! Forme littéraire convenue s’il en est ! Le choix est risqué parce que très souvent la nouvelle à chute semble s’élaborer à partir de l’effet que cette chute va produire. Au fond, comme on l’attend, on la pressent, on la discerne (ou on croit la discerner) et la narration qui y conduit s’étiole ou se surcharge pour lui faire place. Il n’en est absolument rien dans ce recueil. La chute telle que la traite littérairement Baby Mapanga Makim a son autonomie et c’est un des grands intérêts de ce beau travail d’écriture ! 

Courtes, comme le sont beaucoup des chutes des nouvelles, elles ont cette particularité de ne pas simplement pousser à la relecture mentale de la nouvelle qu’elle termine. Beaucoup d’entre elles conduisent en effet le lecteur à re-parcourir mentalement le texte qu’il vient de lire. Du même coup, ce phénomène de relecture une fois éprouvé prive à jamais la nouvelle concernée du sens, de la direction qu’elle avait prise lors de la première lecture. La difficulté de ma chronique ici est de donner des exemples de ce que j’affirme car donner des exemples de ces chutes dévoile la fin de la nouvelle concernée. Je choisis donc de ne pas en donner. J’évoque seulement l’idée que ces chutes ne sont pas des clôtures, qu’elles sont au contraire, des incitations à déplacer le regard dans une autre direction, vers un ailleurs suggéré, un chemin à emprunter soit parce qu’il existe ou soit parce qu’il n’existe pas, qu’il soit à construire ou à façonner. Chacune de ces nouvelles peut alors être relue en conservant le même attrait voire suivre le même parcours de sens que lors de sa première lecture. De ce point de vue, chacune de ces 23 nouvelles est différente. C’est aussi un des plaisirs de ce recueil. L’auteur ne se répète pas. Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples : la nouvelle « La fin du monde sur un balcon » joue de manière très subtile des ambiguïtés entre SF et réalisme ; «  la chronique d’Athéna » bascule dans la dystopie ; « la flamme des aïeux » fait se côtoyer rêve et mysticisme ; « l’éditeur » est une nouvelle gonflée d’humour grinçant ; « Une histoire d’Oiseau en cage » détourne effrontément le statut du narrateur.

Il n’en reste pas moins que chaque chute est associée à un récit et que dès lors qu’elle est formulée, elle le clôt, du moins typographiquement. Chaque récit a cette capacité plutôt rare de créer un univers singulier qui participe de l’envie de prolonger la lecture de telle nouvelle par celle de telle autre. Il me semble que cela vient de ce que, si tous les récits ne sont pas rédigés à la première personne du singulier, ils sont tous racontés à hauteur d’homme. L’écrivain a l’art de nous placer à leurs côtés. Dans la nouvelle intitulée « Sous l’orage », Sophie rentre de l’école et elle sait par habitude que le chemin sera long. Elle est drépanocytaire, sa maladie la fait boiter. Elle doit surmonter une autre douleur, morale celle-là : les moqueries d’Anne, élève comme elle de la même école dont elle est la victime privilégiée. Lorsque l’orage éclate, Sophie est déjà très engagée sur le chemin du village. Elle est seule sur la route :

« Je continuais d’avancer avec peine, la mâchoire crispée, les sourcils froncés. À mes oreilles le vent sifflait, s’égosillait. Les feuilles tourbillonnaient autour de moi. La pénombre, elle, s’épaississait. En long et en large, les éclairs déchiraient le firmament, qui devenait de plus en plus belliqueux, de plus en plus grognon. Le tonnerre retentissait à son tour, toujours plus rugueux, toujours plus pressent. Une pluie diluvienne tomberait d’ici peu, c’était inéluctable. » (p.55)

Tout le paysage est décrit à hauteur de ses yeux d’enfant. Les intempéries sont des adversaires à part entière, menaçants et vindicatifs, contre lesquels Sophie n’a pas plus d’armes pour se défendre que devant Anne.

Dans « la fin du monde sur un balcon » le narrateur se décrit :

« Moi non plus je ne l’aime pas, cet immeuble pourri. Mais à l’impossible nul n’est tenu ! Je suis un chômeur aigri, logeant le diable dans les poches. Un diable fort têtu, fort tenace. Je me sens victime d’un système corrompu où seuls les privilégiés et les bien nés émergent du lot. La désillusion est grande, l’échec cuisant. Je ne prends toujours pas mon envol. Du doigt je pointe ce clientélisme, ce népotisme flagrant. Peu à peu le sable du désespoir m’ensevelit. Sous terre, l’horizon est sombre. Aucun projet. Aucune perspective. Rien ! Alors je passe toutes mes journées à jouer. Pour oublier mes déboires, je me distrais comme je peux. » (p.32)

Lucide, le narrateur rapporte ce qu’il perçoit. L’image très réussie du « sable du désespoir » est particulièrement suggestive. 

Et c’est parce que ces descriptions placent le regard dans les pas des personnages que les récits contenus dans ces nouvelles peuvent rendre compte de réalités de la RDC. Non pas seulement des intempéries, que l’on lit comme si on y était. La force poétique du texte est palpable :

« Soudain la voute céda. Il se mit à pleuvoir. D’abord à petite goutte, puis à gros boulet martelant la roche brunie. Des sphères liquides se déversaient du ciel par millier, craquetantes, crépitantes. » (p.54)

Baby Mapanga Makim rend aussi compte des réalités sociales de la RDC, celles qui font surgir les rancœurs enfouies, ressentir le sentiment terrible de l’échec. Dans « Horulis Chrysadelis » (prix Plumes Congolaises 2020), le narrateur se retrouve devant Albert, un Belge vivant depuis longtemps au Congo :

« À mon tour, je lui ai parlé longuement de ma terrible misère. Il fut choqué, il rougit même en apprenant que j’étais chômeur malgré mon équivalent de bac plus 5. Pour m’aider, il me proposa d’entretenir sa plantation en échange d’une petite rémunération hebdomadaire. Mais l’image d’un noir travaillant dans le champ d’un blanc passa mal dans ma tête. Elle me rappela quelque peu la traite négrière. Au-delà de cela, avec mon titre académique, je ne pouvais guère me rabaisser à cultiver des légumes. » (p.148)

Ce recueil aborde aussi les horreurs de la guerre. Dans la très belle nouvelle intitulée « Survivre » (Prix Zamenga, 2021), on peut voir ce que voit Amisi, de retour au village :

« Il écarquilla les yeux, en découvrant l’horreur. Comme la veille, c’était le sauve-qui-peut ! Des hommes, des femmes et des enfants couraient dans tous les sens, pourchassés par une meute d’odieux scélérats armés de fusils et de lames reluisantes. Ils pleuraient, criaient de terreur. Si certains d’entre eux descendaient la route, d’autres s’enfonçaient dans la petite brousse qui bordait le chemin, à la quête du salut. Les plus lents étaient rattrapés, à défaut d’être abattus. Et leurs derniers soupirs brisaient ce ciel où le soleil se cachait derrière un amas de nuages, comme si l’astre du jour se refusait d’être le témoin de l’infamie se déroulant sous sa barbe… » (p.205)

Baby Mapanga Makim ne raconte pas seulement, il éprouve ce qu’il raconte. Son écriture est particulièrement évocatrice. Ses nouvelles ne sont en rien misérabilistes, bien au contraire, elles sont vives, toniques, enlevées, subtilement caustiques et particulièrement justes. Il y dessine une nouvelle géographie, une géographie organique, non pas celle dessinée d’un coup de crayon par des politiques ivres de pouvoir mais une géographie ressentie par les êtres humains qui la vivent au quotidien : une géographie du vivant, de celle que ses personnages sont capables d’arpenter parce qu’ils la parcourent au quotidien. 

Les chutes que l’auteur associe ou ajoute à ses nouvelles sont alors autant d’invitations à emprunter les chemins qu’elles ouvrent.

Parce que lire est tellement souvent une occasion de partages, je veux remercier celui qui m’a offert ce livre en décembre alors qu’il était de passage à Brazzaville. Merci à mon ami Christian Gombo, de Kinshasa, pour m’avoir donné l’occasion de découvrir cet ouvrage de Baby Mapanga Makim.

Sonia Le Moigne-Euzenot

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  1. Merci Sonia, je viens de terminer la lecture de ce roman. Une délectation !
    Je me demandais comment en parler dans mon groupe littéraire sans en dévoiler trop. Plus besoin, c’est fait ici de mains de maître, merci et bravo! Et encore félicitations à l’auteur Baby Mapanga Makim de m’avoir fait non seulement voyager mais aussi réfléchir à certaines réalités fictives ou pas…

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