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Il n'y  a pas d'arc-en-ciel au paradis - Netonon Noël Ndjekery (2022)

« Nous appelons nodji ce subtil lien de dépendance. Il est de la même nature que l’affinité qui règne entre la main et les doigts. Et je vous le dis tout net : celui d’entre vous qui refuse d’adhérer à l’un ou l’autre de nos préceptes est prié de quitter l’île sur le champ ! » (p. 146)

« Nous appelons nodji ce subtil lien de dépendance. Il est de la même nature que l’affinité qui règne entre la main et les doigts. Et je vous le dis tout net : celui d’entre vous qui refuse d’adhérer à l’un ou l’autre de nos préceptes est prié de quitter l’île sur le champ ! » (p. 146)

Nétonon Noël Ndjékéry, Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis, éditions Hélice Hélias, 2022.

« Nous appelons nodji ce subtil lien de dépendance. Il est de la même nature que l’affinité qui règne entre la main et les doigts. Et je vous le dis tout net : celui d’entre vous qui refuse d’adhérer à l’un ou l’autre de nos préceptes est prié de quitter l’île sur le champ ! » (p. 146)

Ce que raconte Nétonon Noël Ndjékéry dans son roman Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis est effroyable. Il y raconte le trafic d’êtres humains, un trafic colossal qui concerne toute la Baobabia. Nous sommes à la fin du XIX° siècle, en Afrique subsaharienne. Les razzias s’intensifient (elles existent depuis plusieurs siècles) pour satisfaire les exigences délirantes de négociants levantins. Rabah Fadlahhah et ses bazinguers (ses mercenaires) est un des plus cruels de ces négriers. Il tue les récalcitrants, il pille, il brûle, viole et réduit en esclavage hommes, femmes et enfants. Ce qui attend alors ces pauvres êtres est atroce. Enchaînés deux par deux, le voyage à travers le désert les décime. Leurs cadavres sont abandonnés sur place ! Les enfants sont les premières victimes. Les survivants seront triés à leur arrivée, les garçons seront castrés, les filles viendront compléter les harems des sultans avides de plaisirs. Nétonon Noël Ndjékéry documente son récit, fait œuvre d’historien. Le cas particulier de Zeïtoun que l’on va suivre lors de ce voyage inhumain permet de le raconter d’abord à hauteur d’enfant : il a 12 ans, et ce qu’il vit, dépasse l’entendement. Zeïtoun incarne ce que chacun de ses compagnons subit. L’auteur prend son temps, choisit ses mots pour décrire l’irreprésentable. L’âpreté du vocabulaire ne permet pas seulement de détailler les sévices, de montrer les tortures, elle est une manière de rendre hommage à chacune de ces victimes que l’Histoire doit garder en mémoire.

Ce que raconte Nétonon Noël Ndjékéry dans son roman Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis est sidérant. Son prologue et son épilogue encerclent les 349 pages du livre. Un narrateur y apostrophe un jeune garçon, en 2017. L’enfant se croit mort, parvenu à Jannah, au paradis. Il est un chahid, un martyr de l’Islam (p.340). Il est en réalité dans un hôpital car sa ceinture d’explosifs n’a pas bien fonctionné. Il est victime de Boko Haram. Deux enfants, à un peu plus d’une centaine d’années, sont esclavagisés. La mise en esclavage d’autrui est une spirale. Le XXI° siècle n’a rien éradiqué du tout.

Pourtant le livre de Nétonon Noël Ndjékéry n’est pas seulement un document qui n’aurait pour seul but que de faire ressurgir du passé des figures, des faits tombés dans l’oubli. Ce travail nécessaire, indispensable, majeur, est exceptionnel. Il ne minimise pas la traite négrière atlantique ou les conséquences de la colonisation, il fouille consciencieusement, au contraire, ce qui a poussé des êtres humains à réduire en esclavage d’autres êtres humains au fil des siècles. En ce sens, ce livre est une somme, glaçante. L’auteur est aussi, particulièrement habile à manier l’arme de la dérision pour dénoncer l’ignominie des comportements déviants des puissants. Son écriture est subtile. Il écrit par exemple :

« En 1885, 1302 selon l’Hégire, les principales puissances européennes et les États Unis, réunis à Berlin, avaient convenu des règles de partage de l’Afrique pour éviter de s’étriper entre gens civilisés, entre commensaux dont la plupart ne confessaient qu’une seule forme de cannibalisme, celle toute symbolique consistant à manger le corps du Christ chaque dimanche. Leur plan dûment arrêté, plébiscité et sanctifié, il ne restait plus qu’y faire entrer l’histoire, la Grande. Ils allaient à pas de géants s’y consacrer. » (p.19-20)

Il se plait à parler de « bigot enturbanné » (p.327) pour désigner un sbire à la solde de la « secte » Boko Haram et braquer l’attention sur ce que le fanatisme induit au XXI° comme au XIX° siècle :

« Dans cette Baobabia, dépecée vive par les esclavagistes et les conquérants de tout poil, la vie humaine ne valait même pas un cauri ébréché. Les Croisés tapaient sur les Mahométans. Les Mahométans, sur les Croisés. Mais qu’ils soient d’obédience biblique ou coranique, bon nombre de ces monothéistes s’entendaient, tels lions et léopards contre lycaons, sur la manière de profaner la vie tout autant que la mort des païens. » (p.27)

L’enfant Zeïtoun va réussir à s’échapper de la caravane des esclaves. Avec Yasmina, la yéménite à la peau blanche et Tomasta, l’eunuque lettré, ils vont poursuivre leur rêve d’atteindre la Grande Eau (le lac Tchad) et accoster sur une île mobile, une Kirta, (p.133) qu’ils nommeront Keyba, du nom du village où est né Tomasta (p.52). Les générations qui vont s’y succéder partagent les mêmes valeurs : «  une personne, toutes les personnes » (p.145) comme sont solidaires toutes les pattes d’une scolopendre. L’esclavage est banni. Aucune religion n’est imposée. L’utopie qu’ils mettent en pratique est une voie de réflexion à envisager pour tenter d’endiguer l’absurdité de l’enchaînement des guerres (la première, la seconde guerre mondiale), celle des désirs de puissance des chefs d’état, (Hissen Habré, Idriss Déby Itno qui ont dirigé le Tchad notamment), le fanatisme religieux, la superstition paralysante auxquels ils assistent au fil des années. Elle n’est pas une panacée : lorsque frappe une maladie contagieuse, des gens meurent comme ailleurs. Des récits d’anciens ponctuent le fil narratif du roman. Ils font entendre les coutumes des ancêtres, les rites des villages, ils font découvrir leurs enseignements comme une maïeutique qui éclaire encore la vie quotidienne de nos jours. Que « Keyba soit une île pour les uns, de la Dénékandji pour les autres » (p.314), (une femme- poisson : la légende est racontée p.132), elle est d’abord un lieu de partage et de réflexion. Les habitants rêvent de la déesse dipanda (une note de bas de page explique que le mot dipanda est une « déformation subsaharienne du mot  » indépendance « , p.178) ; ils sont persuadés que cette indépendance signera la fin de tous leurs maux. L’auteur choisit pourtant d’arrimer Keyba aux actualités du reste du monde en stoppant sa dérive. Le roman ne dit pas comment l’utopie de Keyba résiste à cette confrontation qui la sédentarise.

Deux passages du roman laissent néanmoins des indices. L’épisode des drapeaux. Il est particulièrement savoureux car il est cocasse alors que ce qu’y s’y joue, a des conséquences absolument dramatiques. Il s’agit des trois fois où des émissaires se succèdent pour imposer un nouveau drapeau aux habitants de Keyba : d’abord un drapeau revendiqué par le Nigeria, puis un autre par le Niger, puis encore un autre par Boko Haram (p.294-306). La suite des mêmes faits paraît comique : les conséquences restent tragiques. Le grand talent de Nétonon Noël Ndjékéry est d’adopter le point de vue des îliens pour rapporter les faits. Leur stupéfaction garantit la meilleure et la plus fine mise en évidence de l’aberration qu’on leur impose. On ne peut s’empêcher de penser que les qualités humaines de ces « utopistes » peuvent les préserver de la bêtise.

Un autre épisode concerne le principal enseignement de Keyba. Lorsque Dongogomi et Kigan, les deux derniers survivants de Keyba se rendent sur la tombe du dernier mbang (roi) de Keyba, ils aperçoivent « une scolopendre en sentinelle de la tombe du patriarche » (p.324) Elle renvoie au récit du père de Tomasta :

« Si une communauté quelconque arrive à coordonner le travail de ses enfants comme la scolopendre synchronise les mouvements de ses pattes, elle les conduira à réaliser de grandes choses. » (p. 56)

Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis.

Sonia Le Moigne-Euzenot

 

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