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By Date Atavito Barnabe Akayi Posted in Daté Atavito Barnabe-Akayi, Nouvelles, Togo on 16 août 2021 0 Comments
Kangni Alem, Le sandwich de Britney Spears (nouvelles), Lomé, Éditions Continents, 2019, 82p.
Ce troisième recueil de nouvelles de Kangni Alem (après « La gazelle s’agenouille pour pleurer » et « Un rêve d’Albatros ») est un florilège de quatre nouvelles courtes, les unes aussi oniriques et métaphoriques que les autres : « La dernière partie de Beckett», « La vie secrète des Lègba », « Le sandwich de Britney Spears » et « Le bâton du chien ». C’est du moins mon impression de lecture. Et Florent Couao-Zotti qui a lu le manuscrit de ces trésors ne va pas en disconvenir !
A l’opposé d’Abdelkader Djemaï qui fabrique avec de véritables matériaux du sport le plus populaire son roman Le jour où Pelé, « La dernière partie de Beckett » est un prétexte littéraire pour reposer la question de l’incommunicabilité des esprits qui surgit, dans le foyer conjugal, avec la question du divorce : fait-on toujours le choix du meilleur conjoint ? Et la question de la garde de l’enfant ! Parlant d’incommunication, il est aussi la langue : le français dont certains écrivains francophones ont parfois envie de se débarrasser… en faveur des langues nationales. Mais le fairplay esthétique du langage théâtral incarné par Samuel Beckett résout la dialectique du maître et de l’esclave que célèbrent avec modernité la Fifa et le cuir rond. L’ethos pré-discursif laisse croire que le narrateur homodiégétique emprunte beaucoup au nouvelliste Kangni Alem qui hait de tout son poids le football : il aime à se demander dans la vie courante, comme un psychanalyste, comment on peut arriver à aimer le football. L’échec du narrateur devant le Coréen quand leurs expertises footballistiques guident les figurines du babyfoot et le charme irritant qui peint l’agressivité et la combativité de l’Asiatique en disent long – à moins qu’on y voie le progrès spectaculaire de l’Asie sur l’Afrique.
Autant cette première nouvelle du Sandwich de Britney Spears est une triple analyse du monde sportif, littéraire et conjugal autant la deuxième nouvelle opère une personnification voire une réification des Lègba « pouilleux ». Et si Kangni Alem semble dénoncer explicitement la marchandisation des footballeurs dans la nouvelle d’ouverture, ici il rend implicite la désacralisation des dieux.
Dansou, un enfant du quartier modeste de Bassadji et de l’époque des Solex, est élève à l’école catholique où « le Dieu que [ses] parents [le] forçaient à aimer » incarne plus l’imaginaire lointain et trop céleste. Sa curiosité à pénétrer ces « filles de Kilimandjaro » le contraint à assiéger la devanture dudit lieu jusqu’au jour où Monsieur Lomé, le propriétaire du bar, le lui autorise. Ce récit procède par glissement de la religion endogène et du génétisme vers la cavité sexuelle et la lubricité : un symbolisme œdipien rendant le mercantilisme du sacré plus matérialiste face à la sincérité de la foi du père mort inadapté. « La vie secrète des Lègba » se raconte ainsi qu’un conflit né de deux générations : un père conservateur et spirituel face à un Monsieur Lomé artiste et darwiniste. L’isomorphisme anthropologique et théophanique du phallus est tel que la plume de Kangni Alem, autre instrument phallique, mélange les registres de langue et de texte pour donner à lire une nouvelle fortement proche d’un onirisme hypnagogique.
En effet, l’onirisme est, de diverses manières, développé dans ce recueil de nouvelles. Le premier récit décrie le rêve conjugal : une utopie de l’échec voire l’échec amoureux. Le deuxième renvoie à un rêve réalisé à partir de soi vers soi : on travaille une intériorisation du rêve de sorte qu’à partir des valeurs endogènes, la reconsidération des dieux offre un champ de fortune incommensurable ; sans quitter chez soi, on crée le mieux-être. Mais le nouvelliste parcourt toutes les possibilités : dans le troisième récit, il revient sur cet appel de l’ailleurs, sur le dévoilement de l’enfer que peut constituer l’Europe pour les Africains en quête de l’Eldorado paradisiaque !
La nouvelle éponyme « Le sandwich de Britney Spears » est une théâtralisation de la cruauté à la Artaud. Construite sur l’illusion d’un courriel électronique adressé à sa sœur, cette nouvelle présente un émetteur immigrant camerounais à Londres, finalement déporté au Tchad. Pour rappel, sa mère vendit tout leur héritage et s’endetta de plusieurs millions pour l’aider à rejoindre Londres, le lieu « où l’on ramasse l’argent sur les trottoirs ». A Londres, il découvrit que
« le pays des blancs, pays de mensonges et pays d’illusions », « la seule chose qu’on ramasse sur les trottoirs en se baissant c’est du caca de chien ! ».
Cette métaphore alimentaire répond aux différentes représentations de la cavité digestive et des connotations du ventre. Le réalisme opéré laisse entrevoir des toponymes comme Douala, aéroport de Roissy, France, Londres, Hongrie, Bosnie, Irlande…, ou une intertextualité avec cet article du 9 septembre 2006 qui porte le même titre que la nouvelle (http://kangnialem.togocultures.com/le-sandwich-de…/). L’examen de la date du 13 janvier, jour de départ de Douala pour Roissy, renforce cet hypotexte réaliste. Si l’on occulte l’année 1996, le 13 janvier est bien un jour symbolique dans le pays de l’auteur quand on adjoint l’année 1963. On peut y lire subtilement les désagréments causés par les crises sociopolitiques qui semblent justifier l’incapacité des chefs d’État africains
(le narrateur cite Marcellin : « Les gens mentent comme Biya, notre président au pays »)
à offrir un meilleur destin à leurs concitoyens, contraints parfois au chômage, à la faim, au mutisme, à l’exil ou au carnage. Cette nouvelle-ci fête le ridicule : le destinateur, dépouillé, expatrié de Londres et renvoyé au Tchad pour éviter la honte, répond à sa sœur qui le croit toujours à Londres et lui demande de lui acheter aux enchères le sandwich de Britney Spears !
La séquentialisation spatiale trace une courbe qui part de l’Afrique, va en Europe et revient en Afrique : on peut y lire une suggestion de Kangni Alem : la solution aux problèmes des Africains se trouve en Afrique ! D’ailleurs, la dernière nouvelle semble assouvir, aussi, ce rêve : ce rêve d’africanité et de prise en charge de son destin d’Africain !
La quatrième et dernière nouvelle intitulée « Le bâton du chien » est écrite comme une revendication du féminisme. Kangni Alem peint une femme entreprenante, mère de deux jumelles, qui par de petits travaux, doit subvenir aux besoins de sa famille dont le chef, Innocent, un prétendu plombier, s’illustre par une fainéantise maladive doublée d’un éthylisme collectif et d’une phallocratie séculaire. Par un jeu elliptique, le narrateur parvient à scruter une femme forte qui s’est débarrassée d’un mari parasite qui l’oblige, avec Michel, un Blanc, à un ménage à trois. Cette narration, architecturée de façon à célébrer la femme, réalise la bipolarisation de l’être féminin et par extension de l’Afrique.
L’auteur ouvre et ferme son livre par l’intronisation de la gent féminine. Ainsi que cette mère a écrasé le crâne des deux hommes qui importunent son existence, tout peuple asservi retrouvera un jour la liberté !
Daté Atavito Barnabé-Akayi
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