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Silence is My Mother Tongue - Sulaiman Addonia (2018)
How many roads must a man walk down Before he’s called a man ? [1] Blowing in the wind (1964) Sam Cooke
By Loza Seleshie Posted in Erythree, Ethiopie, Loza Seleshie, Roman on 3 juillet 2020 0 Comments
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Sulaiman Addonia
Silence is My Mother Tongue (Indigo Press, 2018)

J’ai dit en riant à mes amis que je risquais de me faire renier par mon peuple pour cet article. C’est sans doute pour cela que le silence est la meilleure langue maternelle. C’est un sentiment que j’ai ressenti en lisant Sebhat Gebre-Egziabher, Tedbabe Tilahun, une lignée d’auteurs qualifiés d’ “impertinents” parce qu’ils disent si bien les vérités et les disent sans doute trop bien pour le confort de certains.

Silence is my mother tongue se déroule dans un camp de réfugiés dans les années 80 où se retrouvent des gens qui fuient les massacres perpétrés par le Derg en Erythrée lors de la guerre d’indépendance (1961-1991). Toutes les couches de la société, tous les vécus possibles et imaginables partagent cet espace au milieu du désert. Dans un cadre qui côtoie l’ombre et la lumière de chaque cœur, nous découvrons Jamal : un ancien du Cinéma Impero, lieu mythique d’Asmara, Saba et son double, son frère Hagos : enfants de la campagne, les anciens fonctionnaires, la sage-femme, Natsnet (liberté) : la prostituée et tant d’autres. Un univers nuancé, sans caricature, qui restitue l’humanité de chaque personnage à la perfection. Leur complexité psychologique est très évocatrice et il est difficile de ne pas se mettre à la place de chacun.

La plupart des problèmes du monde viennent d’erreurs linguistiques et de simples incompréhensions[1]

L’histoire commence avec un procès, celui de Saba. Le mélange de l’absurdité et de la violence sociale donne une dimension supplémentaire au silence. C’est l’hypocrisie, « la loi non-écrite du silence, de l’honneur familial, de solidarité entre dépossédés et les liens de mariages inter-familiales [qui] continuaient à faire avancer le camp sur ce chemin de pureté, comme un ruisseau coulant entre rochers et montagnes, faisant plonger toute la boue vers les profondeurs»[2].

Nous découvrons tout doucement le monde autour et surtout, l’univers intérieur de chacun. La cadence, la narration sont millimétrées. Le choc initial passé, certains veulent reconstituer le monde qu’ils ont laissé derrière eux, d’autres rêvent d’un ailleurs. Ils ont cependant en commun de chercher, tous à leur manière, la dignité à tout prix. Les questions sur l’identité, la tradition, le patriarcat qui émergent sont justes et valables, je dirai même bien au-delà de l’enclos du camp.

L’Histoire en tigrigna, les livres russes traduits en amharique, la poésie en arabe [3]

L’Erythrée renait dans le camp, on y parle tigrigna, arabe, italien, on cuisine du ga’at, on grille du café, on brûle de l’encens.  L’auteur n’explique pas ce qu’est un gabi, un mogogo, le shiro, etc. C’est l’un des points qui m’a le plus plu. Après tout, il est attendu d’un lecteur sur le continent Africain (ou ailleurs) de savoir ce qu’est un croissant. L’Occident apparaît et disparaît, regardé avec espoir et sarcasme.

La langue est un thème récurrent, non pas tellement comme revendication identitaire mais comme capacité à s’exprimer. La beauté de la diversité est face au silence imposé par la société et le silence traumatisé de ceux qui ne savent plus quoi ou comment dire.

Les contradictions, les doutes renaissent aussi. Qui sommes-nous? Ce pays n’existe-t-il que dans notre imagination? Sulaiman Addonia a le talent de pouvoir faire dialoguer, d’illustrer avec poésie. Il y a la brutalité de la réalité, il y a la magie de l’innocence et des amitiés, des rêves et des amours qui naissent.

« Comme si les femmes réelles naissent des côtes des hommes, et les [femmes] imaginaires de leurs cerveaux fantastiques »[4]

Je ne vous ai pas dit, ce livre est drôle. J’ai aussi ri en imaginant l’étouffement que risquent de provoquer de nombreux passages. La liberté de certains personnages renverse tous les codes et conventions sociales (sur le genre, l’amour…) et c’est tant mieux. Je ne dis pas cela par rébellion mais par souci d’exactitude et de cohérence avec nous-même. Je me souviens d’une question posée à Sebhat G/Egziabher au sujet de ses deux livres controversés. On lui avait “demandé” si ces derniers n’étaient finalement pas des erreurs dans une œuvre, par ailleurs, fort appréciable. Il avait répondu, avec son flegme habituel “Mon frère, je n’ai rien écrit que tu n’as pas fait”, j’en ris encore.

[1] Soufi, mon amour (2009), Shafak Elif, Penguin Books
[2]  Silence is My Mother Tongue (2018), Addonia Sulaiman, Indigo Press
[3] Silence is My Mother Tongue (2018), Addonia Sulaiman, Indigo Press
[4]  Silence is My Mother Tongue (2018), Addonia Sulaiman, Indigo Press

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