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Le duel des grands-mères - Diadié Dembélé (2021)

L'origine comme centre de redressement...

L'origine comme centre de redressement...

Le duel des grands-mères,  Diadié Dembélé
Editions JC Lattès, 2021

Voici un roman assez singulier écrit par l’homme de lettres malien Diadié Dembélé. Un premier texte publié aux éditions JC Lattès qui annonce un match familial, entre deux clans, entre deux grands-mères.

Bamako, la question des langues

La première partie du roman se déroule à Bamako, dans un milieu plutôt huppé de la ville. Le narrateur est un enfant, un pré-ado. Il vit avec sa mère. Son père, on l’apprendra un peu plus tard dans le roman, vit à l’étranger. Hamet nous décrit l’école qu’il fréquente et aborde des questions qui me paraissaient surannées, comme celle de l’emploi du « symbole ». Un concept hérité du système éducatif pendant la période coloniale, consistant à humilier les élèves qui s’avisent à s’exprimer dans une langue autochtone dans l’enceinte de l’école républicaine. 60 ans après…

« À la maison tout le monde parle songhay, peul, bambara, soninké, hassanya, wolof, bwa. Mais à l’école, personne n’a le choix : il faut parler français. […] Avant-hier, ce truand d’Adam Dansoko a glissé le symbole dans mon sac. Je n’avais même pas parlé en bambara. Je le jure sur le plat de café,  que ma langue n’avait prononcé aucun mot archaïque » (p.9-10) 

L’apprentissage par l’humiliation, donc.

Cette entrée en matière proposée par Diadié Dembélé place immédiatement le lecteur dans le contexte malien, avec sa mixité ethnique et la nécessité d’asseoir un symbole commun, étranger, la langue française, pour la transmission du savoir. La tension autour de la langue est intelligemment posée puisque l’école « publique » n’est pas la seule dans ce game (un peu d’anglais ne fait pas de mal, saziké!). Il y a également l’école coranique où la transmission se fait en arabe. Medersa(*) où la mère d’Hamet pense dans un premier temps envoyer le garnement. Elle est dans l’histoire une épée de Damoclès sur le narrateur s’il ne file pas droit.

« Écrire, déposer sur la feuille les mots  que me dicte la petite voix qui hurle car elle ne sait pas encore sa langue, traumatisée par le « symbole » et fascinée par le gros-gros français, et qui a toujours eu peur de se retrouver dans un internat arabe avec une tablette de bois et un encrier » (p.14)

C’est aussi au sein de la famille, soninké, où le duel à défaut d’être celui des grands-mères, est celui du bambara et du français contre le soninké, quand les cousins débarquent de l’arrière-pays. Diadié Dembélé introduit de manière très intéressante, en seconde lecture pour moi, cette complexité de la manière d’écrire, pour dire les choses, la manière de parler pour affirmer une identité qui ne peut pas être qu’ethnique… À Bamako.  

Hamet, notre personnage narrateur haut en couleurs est pris dans un dérapage au sein de son école et il en est exclu. L’éducation se fera différemment. A la maison, avec un ancien du quartier un peu marxiste sur les bords et un responsable de son école. Notre personnage est une petite tête de mule sympathique. Sa mère, dépassée, ne maîtrise pas vraiment son instruction et elle fait le choix d’expédier son fils au village, en pays soninké, chez sa belle-mère. 

Yélimané, l’exil pour un petit citadin

J’aimerais tout de suite dire que la deuxième partie du roman est celle que j’ai beaucoup appréciée. Dès le voyage pour Yélimanè, le texte prend une toute autre saveur. Peut-être parce qu’à l’âge du personnage, je suis allé passer des vacances dans le village de mon grand-père maternel. J’en garde un très bon souvenir. Pré-ado espiègle, Hamet nous raconte son arrivée à la résidence de sa grand-mère paternelle, Mama, à dix kilomètres de Yélimané. 

« Ces jours m’effraient. Ce vent m’agresse. Les cris des animaux m’agressent. Ce village me répugne. Lorsque j’étais à Bamako, j’habitais une grande maison. De l’autre côté de la rue, on pouvait apercevoir l’avenue des trente-mètres avec ses quincailleries, ses menuiseries, ses blanchisseries, ses papeteries, ses librairies, ses dibiteries, et ses boulangeries-pâtisseries. Mais ce village est un taudis ».

Tout est dit. C’est parfois, à coups de poing qu’Hamet va devoir gagner le respect des jeunes du village qui le traitent de «Taboussi», lui le bamakois qui refuse de se conformer au fait de parler soninké. Ce sont des amitiés nouvelles qui se tissent. Des chroniques et faits divers du village, de la vie paysanne, portrait de toutes ces personnes qui font vivre ce monde rural : imam, infirmier, coiffeur, griot… Le petit citadin est impliqué dans cette vie, par un oncle paternel. Ce voyage sanction me rappelle un autre roman, celui de la Camerounaise Léonora Miano : Ces âmes chagrines avec le personnage de Snow venu de France, débarqué de force chez sa grand-mère dans une grande ville du Mboasu (Cameroun) pour y être redressé. Dans ces deux romans, il y a cette idée que ces lieux de l’origine censés participer à la reconstruction de ces individus en perte de repère par le rejet suscité : la pauvreté, la faiblesse des infrastructures, la rupture avec la société de consommation. Toutefois, le lieu de l’origine est aussi celui de la possibilité de revenir à l’essence des choses, des conflits familiaux qui expliquent certains choix, certaines destinées, certains éloignements, certains exils. Cet accès à l’origine révèle Hamet à lui-même et lui offre une possibilité de dépasser les tabous de sa famille, pour avancer.  

Gangoueus

(*) Medersa : école coranique

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