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Nulle part où poser sa tête - JJ Bola (2022)
Propos de l'immigration congolaise en Angleterre
By Patrick Isamene Posted in Patrick Isamene, RDC, Roman on 19 mars 2023 0 Comments
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Nulle part où poser sa tête, JJ Bola, Mercure de France 2022
traduit de l’anglais par Antoine Bargel 

 

Trois cent vingt pages, histoire répartie en deux : celle de survivants d’une barbarie politique au Zaïre de Mobutu et des réfugiés entassés dans une cellule de trois pièces ; et un seul destin… Face à ce meneur de bonne prose, le lecteur n’est pas moins qu’un enfant qu’on tient par la main : il ne sait pas où il va, il est fasciné par chaque courbure que son guide emprunte, les rues de Londres, souriant devant des personnes  tout aussi remarquables qui défilent devant lui. Car Nulle part où poser sa tête, premier roman de JJ Bola, est un livre qui tranche avec des grands livres qui traitent de l’immigration et de l’intégration des réfugiés de la vie courante aux pays hôtes. Par son histoire bien entendu, mais aussi par son ambition philosophique, puisque ce texte tente de nous pousser à redéfinir le « chez-soi », par la réalité qui rattrape Jean et toute sa famille, réfugiés congolais au pays du nouveau roi Charles II.   

Ce livre peint l’histoire d’une famille – mais aussi de toute une communauté – de réfugiés vivant dans une banlieue dans le nord de Londres, menant une existence très modeste. Jean, le personnage principal, est le premier fils d’une fratrie de deux enfants. Ses premiers pas à l’école tournent en un vrai fiasco. Il n’échappe pas à la réalité qui a englouti plusieurs dans le parcours scolaire : la mauvaise compagnie. Des amis presque malades qui poussent à bout votre courage et moralité, à l’instar de James et toute sa bande de garçons cool. Jean est vite passé aux tests de courage afin de s’affirmer dans le groupe, à l’aube de l’année scolaire. Attouchement. Vol de barres de chocolats chez un vendeur. Résultat, il écope d’une note qui lui vaudra une bonne raclée à la maison. Contrairement à sa jeune sœur Marie, studieuse et toujours le nez dans un livre, Jean a une préférence pour le sport, le football. Père, le père de Jean, ne manque pas de lui signifier qu’il est le fils aîné, que c’est lui l’espoir de toute la famille et qu’il n’a pas droit à l’erreur, que le foot c’est pour ceux qui n’ont presque rien dans la tête. Il doit réussir à tout prix pour sauver la famille.

Outre ses revers à l’école, Jean vit un autre calvaire à la maison. Il est obligé de partager sa chambre. Pas avec un adolescent de sa pointure. Mais avec Tonton. Un homme à l’âge de son père, dont on ne sait pas grand-chose. Ni l’histoire. Ni le travail qui l’occupe à longueur de journée et le pousse à rentrer toujours à des heures tardives, ivre, puant le corps de femmes, ronflant comme une voiture en panne qui vrombit. Tout ce qu’on sait c’est qu’il est un « sapeur », un homme pour qui tout est question d’élégance vestimentaire.  Tonton n’est pas son oncle, comme Jean l’aurait cru, mais on l’appelle ainsi parce que c’est de la coutume des kinois d’appeler un pur inconnu noko, tonton. On l’a accueilli par une solidarité que seuls des compatriotes se trouvant à l’étranger peuvent montrer. Plus tard, ce dernier, Tonton, va favoriser l’insertion de la famille à la communauté congolaise locale en l’invitant à l’église communautaire dirigée par le pasteur Kaddi. Cette insertion à la communauté congolaise locale ouvre à la famille de nouvelles connaissances : rencontrer des gens qui parlent « leur » langue, qui ont les même inquiétudes, qui prient « leur » Dieu, comme eux, avec leurs mots, qui chantent leurs cantiques et qui répondent à Nzambe a pambola yo du pasteur avec un A-men à couper le souffle, comme on le fait à Kinshasa. J’aime toujours quand la fiction rencontre la réalité et la peint de plus belle. Plus que tout, l’auteur nous rappelle qu’au-delà d’être une ouverture au monde, la religion est avant tout un lien étroit avec les siens, avec sa culture et avec soi-même, donc avec tous les faits socioculturels pour des congolais. On pratique mieux sa religion quand on se sent plus proche de soi-même. 

Avec beaucoup d’effort, Jean améliore ses notes à l’école, sous l’influence d’un groupe d’élèves studieux qu’il intègre. Son école lui offre une bourse de voyage en France, en guise de récompense. Mais très vite une réalité – dont il était jusque-là inconscient – le rattrape : il ne peut pas effectuer ce voyage dont il aurait tant rêvé. Pourquoi ? Parce que nous sommes des réfugiés. Qu’est-ce c’est, un réfugié ? Un réfugié c’est simplement quelqu’un qui essaie de se trouver un chez-soi, lui répond Père. Jean est abattu, perplexe. Il n’en revient pas. Jamais il n’aurait soupçonné quelque chose de telle. Jamais il n’aurait imaginé ses parents, Père et Mami,  l’un, grand bosseur, cumulant des heures et des heures de travail comme gardien devant un magasin à chaussure et nettoyeur pour subvenir aux besoins de la maisonnée ; l’autre, dame de cantine à l’école de Marie, étaient en réalité des sans-papiers, y compris lui-même. Être un sans-papiers veut beaucoup dire. Ça veut surtout  dire que l’avenir est incertain, qu’on court le risque de se faire expulser à tout moment, comme Mama Patricia, la seule amie que Mami ait pu se faire dans ce pays, et dont ils n’ont plus eu de nouvelles du jour au lendemain. 

Où appeler « chez soi » ?

Voilà. C’est de ça qu’il s’agit. Trouver un « chez soi » après avoir vécu la tyrannie du monopartisme du MPR. Père, fils unique de koko Patrice, jeune ambitieux qui ne jurait que par devenir médecin, va en Belgique, comme il est bien de coutume de Congolais, pour faire ses études universitaires. Mais avant, il tombe sur les charmes de Mami, fille d’un militaire, qui confond ses fonctions militaires et son rôle de père. Après un temps de silence, un hiver et un été ou une saison de pluie et une saison sèche, Père rentre au pays pour y passer ses vacances et, par le concours de circonstance, croise le chemin de celle qui faisait encore battre son cœur avant son départ. Ils tombent amoureux l’un de l’autre. Père rentre en Belgique après les vacances. Et dans un appel téléphonique Mami lui annonce la nouvelle. Il panique. Il ne s’attendait pas à être père aussi tôt. Il rentre au pays pour prendre soin de sa futur « famille ». Ils connaissent ensemble un vrai revers qui finit par s’arranger. Louer une maison à louer à Bandal. Se passer de quelques travaux avilissants pour gagner le pain quotidien. Après plusieurs années, sur conseil de Mami, il repart en Belgique pour reprendre ses études en médecine. Mais, après lui, tout bascule. Mobutu annonce son célèbre discours, sanctionné par comprenez mon émotion. L’aube de multipartisme donne naissance à des émeutes et à des bavures  militaires. Pillage, vol, viol, sont perpétrés par des militaires, semant une grande désolation dans la capitale Zaïroise. Ces extorsions émigrent plusieurs, y compris Mami qui est obligé de quitter le pays à la hâte avec un gamin inconscient de tous ce qui se passe et un fœtus dans le ventre. Ces récits se bousculent. L’auteur les balaie à l’allure de mon résumé. 

L’auteur décrit ce passage avec un accent très particulier. Une touche de faits vécus ou racontés de première bouche traverse ce récit, comme s’il s’agissait d’une autobiographie.  Ce passage est tragique. J’ai toujours su qu’il a eu une série de pillages qui a suivi la fin  du parti unique de Mobutu. Mais jamais je ne l’avais imaginée aussi dévastatrice, avec des histoires aussi  touchantes derrière. L’auteur rattache à ces faits l’exil de plusieurs personnages de son roman. Tonton, qui choisit l’exil et l’oisiveté après avoir trouvé sa femme et toute sa famille assassinées. Madeleine, fille-mère, et sa mère, à qui la famille de Jean est encore une fois obligée d’ offrir l’hospitalité dans leur logis à peine grand pour cinq têtes, ont été victimes des ces même  barbaries. C’est donc un roman des gens qui ont quitté leur « home » à cause de barbaries politiques, pour conquérir un autre home. Un roman de solidarité. Un roman de Père qui, après avoir reçu une convocation au tribunal suite à un travail non-déclaré, voit son avenir, ainsi que ceux de ses enfants, écrits dans un papier, dont on ne connaîtra jamais le contenu. L’auteur nous emmène sur des nuées et nous y abandonne. Devinons la suite. Je vois par-là une autre question que l’auteur veut susciter chez son lecteur. Arrivent-ils, des réfugiés, à trouver finalement un « chez soi » ? 

Somme toute, ce roman est un livre à lire. Ça a  tout d’un premier roman et tout d’un bon roman. Ça m’a beaucoup plu, à cause  surtout de la fluidité dans la narration, et – bien sûr ! – de la familiarité que j’ai développé à longueur de texte avec les mots lingala posés par-ci par-là, qui, pour tout dire, confirme l’hypothèse qu’on est bien devant une œuvre autobiographique dans laquelle l’auteur tente, tant soit peu, à être en contact avec ses origines congolaises. Aussi, je l’avoue presque, j’ai aimé ce livre parce que j’ai été, des semaines avant de tomber sur ce roman, confronté à répondre à la question de définir chez-soi, de Talene Boodaghians. J’avais balbutié quelque chose dont je me souviens à peine. Et vous, que diriez-vous à ma place ? JJ Bola, lui, nous dit que chez-soi c’est quelque chose dont on est toujours en quête.     

Patrick Isamene

 

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