menu Menu
Celles qui attendent - Fatou Diome (2013)
“Maintenant que leurs fils se débattaient dans une nasse plus vaste que leurs désirs, Arame et Bougna mesuraient l'immensité de leur erreur : rien ne se passait comme prévu.” (p334).
By Patrick Isamene Posted in Patrick Isamene, Roman, Sénégal on 1 mars 2022 0 Comments
Le duel des grands-mères - Diadié Dembélé (2021) Previous Tous les mots qu'on ne s'est pas dits - Mabrouck Rachedi (2022) Next

Celles qui attendent – Fatou Diome  édition Flammarion 2010.

“Maintenant que leurs fils se débattaient dans une nasse plus vaste que leurs désirs, Arame et Bougna mesuraient l’immensité de leur erreur : rien ne se passait comme prévu.” (p334).

Un grand frère à Kinshasa nous répète toujours ceci : « dans l’amour du livre soyez infidèle !». C’est sans doute le plus grand commandement littéraire. Du moins, pour les bons lecteurs. Cette fois-ci, mes pulsions infidèles m’ont conduit au Sénégal, à la rencontre d’un merveilleux peuple insulaire. C’est à travers les fils et filles des marins que Fatou Diome construit son monde, peint de couleurs soigneusement choisies. Le bleu est dominant, sans doute. Puisque l’attente qui ronge les cœurs d’Arame, Bougna, Couba ou Daba n’est mesurée que par la longueur de la mer qui sépare l’île Sénégalaise de Cadiz. Ces quatre femmes, mères et épouses, vont lutter contre deux choses : les blessures que cause la solitude et la mort d’être oubliées. « Ceux qui nous oublient nous tuent », souligne fréquemment l’auteure.

                        LE DEVOIR DES MÈRES    

Dès l’entame de son opus, Fatou Diome rend hommage au grand rôle que joue la femme dans la survie quotidienne de la maisonnée et de la réussite des enfants, en Afrique. Arame et Bougna, deux femmes battantes aux caractères différents, à peine associables. Si elles sont unies par l’amitié, c’est surtout leurs conditions misérables qui les rendent inséparables. Si la première a le devoir de nourrir à la fois une cohorte de petits-fils laissés par son fils aîné avalé par la mer et Koromâk, ce vieil homme maladif à qui elle a été mariée sans son consentement; l’autre, par contre, porte sur elle le poids de devoir rivaliser avec la réussite des fils de sa coépouse et une progéniture de huit ventres à remplir. Des deux côtés, l’espoir, le salut reposent sur les fils : Lamine et Issa. C’est dans le souci de voir leurs situations s’améliorer qu’Arame et Bougna vont encourager leurs fils à affronter les vagues, aux risques et périls. Fatou a tout dit. La meilleure façon de réussir, c’est d’aller en Europe. C’est ce qui est dans la tête d’Arame et Bougna.

                    LE PARADIS MANQUÉ

Le virus le plus rapide en Afrique actuellement ce sont les illusions de l’ataraxie européenne dont se nourrissent les jeunes. C’est une réalité autour de laquelle la romancière Sénégalaise va tenter opiniâtrement d’élever sa voix : de plus en plus de rêves tournés vers l’Occident et des corps repêchés dans la mer. À mon avis, ce roman de Fatou a une similitude avec l’exode des israélites raconté dans la Bible : une mer à traverser pour atteindre le pays où coule le lait et du miel. Seulement, Lamine et Issa n’ont pas de bâton à frapper sur les eaux de Moïse. Ce texte me rappelle un autre moyen de migration clandestine depuis les côtes africaines de l’Atlantique : Les Ngulus. Ah oui, si les uns affrontent les eaux bleues, Congolais et Angolais, eux, passent des mois dans des cales des barges pour atteindre l’Occident. Migrants clandestins voués à leur propre sort, déchirés par l’envie de répondre aux attentes des leurs, les deux jeunes gens seront condamnés premièrement à faire face à l’hiver, ensuite à épouser la capricieuse princesse Europe. Ce que j’aime vraiment dans ce texte c’est la fermeté dans les propos de l’auteure. Directs et mesurés. Surtout ce passage où elle traite des causes de ce phénomène pitoyable, je cite : « Et les jeunes africains, poussés par leur détresse et l’inaptitude des gouvernants censés leur tracer un avenir, affluent, inconscients de ce qui les attend et résignés à leur nouveau statut de cheptel de l’Occident» (p.332).  Le ton utilisé est trop haut, les mots sont tranchants, parfois. C’est ce que demande un bon discours.

                              LE SILENCE

Une chose est sûre avec Fatou : dans le ventre de l’Atlantique, il n’y a pas que des corps qui luttent contre les vagues ; on y trouve aussi mille pensées de solitude que crée l’absence d’un amour. Quand on n’a pas une voix qui puisse traverser les océans, on se confie au silence. C’est le silence de Coumba, épousée par Issa peu avant son embarquement clandestin. Plus le ciel change de couleur, plus le bonheur de la jeune femme va aux antipodes. C’est le silence de Daba, mariée à Lamine, bien après son départ en Espagne, elle est condamnée à vivre avec l’ombre d’un mari absent. Si Arame et Bougna ont donné leurs fils comme époux aux filles du village pour leur fournir plus de raisons de retourner au pays, elles n’ont cependant  pas trouvé un remède qui soigne les blessures causées par une longue absence de leurs fils. C’est une sorte de sentiments d’avoir perdu pour toujours celui qu’on aime qui s’exprime dans ce roman.

 

Patrick F. Isamene

 

Visit Us
Follow Me
20
Whatsapp
Tumblr


Previous Next

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Cancel Laisser un commentaire

keyboard_arrow_up