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Dans le ventre du Congo - Blaise Ndala (2021)
« J’écris parce que mes entrailles et le bruit de ma respiration me poussent à l’écriture. » Sony Labou Tansi
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in RDC, Roman, Sonia Le Moigne Euzenot on 16 janvier 2021 0 Comments
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Blaise Ndala, Dans le ventre du Congo,
Paris, Le Seuil, 2021.

La dernière publication de Blaise Ndala Dans le ventre du Congo est un roman. D’emblée, son titre, très sonyen, le rattache à d’autres œuvres romanesques de la littérature congolaise. Sa double filiation géographique et esthétique place ce texte dans une dynamique culturelle particulièrement féconde. Il l’inscrit dans la droite ligne de textes devenus patrimoniaux. Nous sommes en 2021, le livre vient d’être publié, ce titre pourrait alors paraître daté. Il n’en est rien. Le récit que l’auteur propose tend au contraire à élargir le champ d’investigation de sa réflexion : il ne s’agira pas seulement de fouiller « le ventre du Congo » mais aussi celui du « ventre de la Belgique », du « ventre du roi Baudouin ». 

B. Ndala tente un pari littéraire : celui de raconter une histoire, celle de la malheureuse Princesse Tshala, entre Congo et Belgique, en l’insérant dans le contexte socio-politique très douloureux de la colonisation et de l’indépendance de l’actuelle RDC. En entamant son récit par la : « CHRONOLOGIE LIBRE DE L’EX-CONGO BELGE (1885 – 2005) » il prend soin de lui donner un cadre temporel qui ponctuera tout le livre. Dans le ventre du Congo s’insère plus précisément entre le moment de la préparation de l’exposition universelle de Bruxelles en 1958 et 2005. 2005 correspond à la mort du roi Kena Kwete III, père inconsolable de Tshala. Nyota, sa petite fille enquête sur le sort de sa tante, la princesse Tshala Nyota Moelo. Elle cherche à combler les vides de sa biographie. Elle rapportera son enquête, elle en écrira l’histoire. Le récit n’est pas linéaire, les parenthèses s’ouvrent, les personnages s’ajoutent, disparaissent et reviennent. La lecture demande une certaine attention. Mais le tour de force de ce livre est de parvenir à construire un véritable édifice, cohérent, où chaque digression s’avère toujours justifiée, où des points de vue sont irréconciliables sans jamais être décontextualisés. C’est impressionnant ! Les dates qui ouvrent les chapitres font figures de point d’étapes qui ont valeur d’ancrage dans le réel des évènements évoqués et en même temps, parce qu’elles ne se succèdent pas chronologiquement, imbriquent passé avec présent. L’effet de va-et-vient est particulièrement opérant. Ainsi l’épisode où Tshala se retrouve dans un « village congolais » au cœur du pavillon du Heysel : nous sommes en 1958…mais… ne sommes-nous qu’en 1958 ? Notre mémoire récente n’a pas oublié un évènement semblable en France.

« Au cours d’une visite scolaire, des adolescents d’un athénée du Brabant flamand jetèrent derrière l’enclos qui délimitait le village des bananes au cri de « Eet de bananen, kleine negertjes, anders zullen we de handen afsnijden23 ! », scandé aussi en français. Dans la foulée, des visiteurs se mirent à pousser des cris de singes, à mimer des gestes qui laissaient peu de place à l’imagination. Reçus comme une déclaration de guerre, ces actes déclenchèrent de vives protestations de la part des villageois. Le spectacle fut interrompu. La petite colonie tint conseil autour de l’une des deux femmes qu’elle comptait en son sein : Tshala Nyota Moelo. »

1958. 2005. 2021. Les dates s’interpénètrent, elles se reflètent sans anachronisme parce que, pour parvenir à une telle fresque historique, l’auteur prend le temps de nous présenter ses personnages, chacun dans sa complexité, congolais, belge. Il les fait vivre dans leur quotidien, il les observe dans leurs rapports humains, il montre des individus qui ne sont pas des héros, certains capables du pire, d’autres du meilleur. L’écriture est très choisie, très élaborée, souvent vive, jamais, jamais larmoyante ou pontifiante. L’auteur aime la précision sans doute par souci de ne pas fausser ce qui l’a conduit à rédiger une telle somme. B. Ndala est congolais, notamment nourri des mots de Marcel Ntsoni (page 107), écrivain comme lui et comme lui, acharné à « nommer », acharné à « dire ». Les mots qu’il partage ici sont en tout cas ceux d’un homme du XXIè siècle. Tshala est insoumise, sa voix est discordante, elle est encore sonore en 2005, audible en 2021. Le cadre spatio-temporel que met en récit Dans le ventre du Congo échafaude un nouveau mémorial littéraire nourri de toutes les résistances, congolaises, belges. 

La fin du livre cherche, à l’évidence, à ne pas verser dans des polémiques qui sont présentées comme n’étant plus d’actualité. La princesse Tshala est morte, elle repose loin du Congo. Les mots du roi congolais mourant, parangon du pardon, pèsent tout leur poids :« il en est ainsi parce que la mémoire n’est pas un tribunal : c’est un antidote pour le futur, mais un antidote qui n’opère que pour autant que celui qui s’en réclame veuille faire un pari sur ce même futur » (p.246) Nyota l’a bien compris et c’est physiquement qu’elle éprouve le besoin de s’approprier les récits :

« Une voix me disait qu’il fallait que j’étudie l’histoire. Je voulais et je veux que de toutes mes aptitudes je plonge au plus profond des âges, pas seulement dans le ventre du Congo belge, 

mais également, dans toute la mesure du possible, dans les recoins tant obscurs que lumineux de notre histoire, celle des peuples de ce qui devint un jour l’État indépendant du Congo. L’histoire qui ne raconte pas que Diego Cão, David Livingston, Henry Morton Stanley, Léopold II, Tippo Tip, Baudouin 1er, Lumumba, Mobutu et Kabila. Il me fallait, il me faut apprendre et peut-être un jour enseigner l’histoire qui remonte à plus loin que notre aïeul Woto le Preux Souverain, qui embrasse aussi bien Kimpa Vita que d’aucuns continuent à appeler la Jeanne d’Arc Noire, que le prophète Simon Kimbangu et son martyre dans les chaînes de Bula Matari. Je ressentais et je ressens ce besoin de fouiner dans la mémoire broussailleuse d’un monde où le mystère côtoie l’évidence, ce que mon modeste parcours scolaire, de même que les quelques manuels d’histoire que j’ai lus au gré de ma curiosité, ne m’ont guère permis de cerner. » (page 228)

D’autres problèmes sont plus actuels, le roman les aborde : la montée du racisme dans les stades, l’afflux des migrants poussés à quitter leur pays… Les faits sont indéniables mais, puisque la petite nièce de Tshala, puisque le fils de l’organisateur du pavillon congolais de 1958 sont porteurs de valeurs qui tournent la RDC vers l’avenir, qu’ils se refusent à ignorer le passé, on dirait bien que Dans le ventre du Congo est le roman de la conciliation.

Sonia Le Moigne-Euzenot

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