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Introduction à la poésie gabonaise - L'homme, le poète et Dieu, Triptyque d'une quête chez Eudes Bouassa
La poésie gabonaise, par Lepresquegrand Bounguili
By Le Presque Grand Bounguili Posted in Gabon, LePresqueGrand Bounguili, Non classé, Poésie on 12 juin 2022 0 Comments
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INTRODUCTION À LA POÉSIE GABONAISE – L’HOMME, LE POÈTE ET DIEU TRIPTYQUE D’UNE QUÊTE CHEZ EUDES BOUASSA

Dans cette chronique, livrons-nous à un exercice fastidieux. Consigne : présenter trois recueils poétiques et leur auteur en une seule chronique sans paraître réducteur ou empressé. La belle affaire! Quels sont donc les points saillants susceptibles de retenir l’attention et la sensibilité poétiques des lecteurs à l’égard des recueils Entre terre et éther I & II (2020) et L’Ombre du soleil (2022) tous parus au Lys bleu. À la question de savoir qui est l’auteur, évacuons sommairement : originaire du sud du Gabon (Ngounié), Eudes Bouassa s’inscrit dans une grande tradition poétique issue de cette partie du Gabon (voir notamment Pierre Edgar Moundjegou Magangue, Auguste Moussirou-Mouyama, Bellarmin Moutsinga, etc.). Et que dire des ouvrages ? Publiés dans un intervalle assez réduit, les trois recueils que propose cet auteur se résume autour d’un triptyque : l’homme, le Poète et Dieu. Les écrits d’Eudes Bouassa s’appuient énormément sur son héritage intellectuel acquis et accompli sur les bancs d’une faculté de sciences : un style épuré et rigoureux, un lexique méticuleux et expert, une inclination presque naturelle à la rime et une générosité dans la langue et dans l’effort de son projet d’écriture. Par sa formation, Eudes Bouassa connaît les minéraux et minerais et il ne sait que trop bien les enjeux de la finitude de la matière et donc de l’être : la fragilité de la vie. C’est semble-t-il à partir de ce postulat que naissent apories et interrogations à propos et envers le genre humain : pourquoi ne s’élève-t-il pas? Pourquoi ne s’affranchit-il pas de sa part obscure? Pourquoi en dépit de la conscience de sa finitude, il n’érige pas toujours l’humilité en valeur cardinale ? Pour le poète, ce genre humain s’est tout simplement fermé l’exercice de l’ascendance dont il doit retrouver le désir

Désir d’ascendance

Les deux premiers ouvrages, ainsi que le titre l’indique, s’énoncent comme un tiraillement de l’individu entre sa condition d’être vivant et son désir d’ascendance ou ses tentatives de s’affranchir de l’attraction terrestre et partant de tout ce que cela comporte de médiocrité humaine. La clé ? L’Amour. Baptisé « Glorieux humble », l’Amour ici est une entité qui ouvre le volume I de Entre terre et éther. À travers les vingt premiers textes dudit recueil, le poète envisage l’Amour comme sentiment premier et le décline en tant que force transcendantale. La deuxième partie du recueil est une invitation au corps de garde, lieu d’initiation aux choses promises à l’âge d’homme. Après avoir côtoyé la transcendance, le lecteur revient sur terre où plastronnent les comportements humains blâmables notamment « L’apprenti géomètre » qui transforma le pays en « vile offrande » ou encore « L’illuminée » qui « s’en alla sans honneur sans distinction » pour avoir trop « rêvé de la majesté de l’aigle » pour mieux dédaigner ses semblables. Cette exploration de la condition terrienne est encore plus vive dans L’ombre du soleil. Pour illustration, « Le migrant mauvais homme » est une condamnation de l’hostilité humaine face aux mouvements migratoires que la faim, la guerre et la sécheresse ont rué aux frontières. Mouvements médiatisés et instrumentalisés sous le signe de déferlantes invasives. Figure épouvantail de l’Occident, le migrant est cet « Homme sans terre » à l’égard duquel le lecteur est invité à la retenue : « Ne juge pas trop vite / Celui, comme toi/ N’a pas choisi / L’antre du ver de terre ». Aussi le poète clame-t-il l’impérieuse utopie pour chacun d’habiter le monde hors de certaines normes a priori arbitraires (« Esprit nomade »). Mais ce désir se heurte évidemment à une atmosphère plusieurs fois viciée d’élans et relents identitaires ainsi que des imaginaires de l’inimitié : « Je marche vers ces outre horizon / Que l’on aime ou que l’on quitte / Vers ces contrées grasses / Où des hommes en quête de grâce / Cultivent les ferments / Des craintes des peuples ».

Cette chute brutale parmi les humains justifie de la part du poète la nécessité d’une véritable quête; quête du sens des choses cachées. Alors il avance, « Cherchant dans l’air ambiant/ Les secrètes origines du monde vivant ». Ce sens caché des choses n’est autre qu’une invite à formuler pour les hommes la nécessité de nouvelles alliances avant l’Alliance ultime.

Quête humaine

C’est donc cet autre aspect, à savoir la quête humaine, qui se mue en projet poétique. C’est en cela qu’en son deuxième volume, Entre terre et éther consacre une grande part des textes à la confidence méditative. Comme si, l’expérience parmi les humains étant inéluctablement infructueuse, la quête humaine métamorphose l’individu en poète c’est-à-dire en un être qui faute de n’avoir pas trouvé l’humanité des siens s’en remet à Dieu. Aussi le cherche-t-il, le convie-t-il et s’envisage parmi les élus de l’Éden. Le lexique et les symboles du religieux abondent dans ce recueil. Ceux-ci sont complétés par des références aux mythologies scandinaves. Cet ordre du mystérieux est conforté par le poème « Vie » qui est une classique interrogation de l’origine de la vie, comment elle s’ordonne depuis la fécondation jusqu’au cri de l’éclosion. Quand et comment survient la Vie : « Serait-ce quand l’abeille des ailes battant, va de fleur / En fleur se repaître du jus au fond des calices, gisant / Que Vie, tu fais ton accession dans l’antre des cœurs ? ». L’interrogation est purement rhétorique et y répondre ne pourrait donner lieu qu’à une succession de vaines conjectures. L’ordonnancement du monde, pense le poète, est indubitablement à mettre à l’actif de l’ordre divin. Aussi, à l’égard des petites choses, ou de phénomènes et faits quotidiens confinés à la banalité, le poète accorde une précieuse attention comme on se recueille. Ainsi, « Lumière », « Savoirs », « Voile », « Vérité et doute », « Harmonie », « Merveilles des jours », « Oraison joyeuse », « L’incommensurable », « Feuille verte », « La fleur et le butineur », et « Ô temps! », sont autant de textes très brefs construits et proposés à la fois comme des maximes poétiques et comme une promenade avec un regard à la fois périphérique et introspectif. 

Les figures du divin

L’aboutissement des observations et interrogations formulées se trouve finalement en Dieu et dans toutes ses figurations ou dans ce qui dans la contemplation poétique de l’environnement est pour le poète nombre de ses multiples manifestations. La relation épistolaire entre le poète et le soleil qui ouvre L’ombre du soleil achève de camper cette invocation du divin. Comme tout riverain gabonais, Eudes Bouassa est sans doute sensibilisé aux splendeurs de la nature à travers la luxuriance de son pays et dont le prodigieux cours d’eau (Ngounié) qui donne son nom à la localité situe les premiers sédiments de l’émerveillement. L’animisme local originel rejoint dans ses recueils une théologie chrétienne en ce que toutes ces beautés poétiques s’ordonnent en un Être-Supérieur-Créateur, a priori le Poète-Suprême vers qui Eudes Bouassa incite à orienter nos regards pour panser notre incomplétude et notre misère humaine. Après les affres des guerres, après les pratiques d’ensauvagement généralisées et générées par la thésaurisation ultralibérale, le monde est une impasse. Pour s’en sortir, le poète prospecte une voie et qui tient en un sous-titre impératif : IL REVIENT À L’HOMME DE RÉESSAYER L’HUMAIN si tant est que l’humain soit la projection du Divin. Ces trois ouvrages constituent des bréviaires d’humanité et leur volontarisme humanitaire nous fait inscrire Eudes Bouassa parmi les auteurs gabonais dont les prochains écrits auront une saveur singulière. 

Le Presque Grand Bounguili

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