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Comment tuer dix fois un criminel, Florent Couao-Zotti (2024)
Un livre nourri de sentiments vrais…
By Jean Noel De Koigny Posted in Bénin, De Koigny, Nouvelles on 14 juillet 2025 0 Comments
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« COMMENT TUER DIX FOIS UN CRIMINEL… »,
UN CHEF-D’ŒUVRE FLOTTANT DE M. FLORENT COUAO-ZOTTI

 

Cher Bernard Dadié,
Depuis bientôt une semaine, je ne vais pas bien. Mon cerveau fait des zigzags. J’ai mal partout : ma poitrine, ma gorge, mes yeux, partout. Le soir, lorsque le soleil se couche sur les horloges, je vois des arcs-en-ciel liquides sur les murs. Puis, le froid vient, je grelotte, et, lentement, je ferme les yeux et je deviens une goutte de pluie… Enfin, depuis hier, ça va mieux ; Amoinlina, la pute du quartier, a fait alléluia pour moi.

Comme pour me distraire, j’ai lu, au milieu de mes douleurs physiques, « Comment tuer dix fois un criminel… » de M. Florent Raoul Couao-Zotti. Cette œuvre m’a causé à la fois beaucoup d’étonnement et un peu de tristesse. L’étonnement vient du talent fort rare qu’il y a dans ce livre, qui te prend aux triples, et la tristesse, de l’emploi raboteux que cet écrivain béninois y fait de ce talent.

« Le soleil était jaune, d’un jaune ocre, avec sa coulée de lumière qui rendait transparents les nuages dans le ciel. Un ciel toujours bleu, d’un bleu liquide qui invitait au voyage, à l’échappée vers d’autres horizons. » (P.62)

À travers huit nouvelles hétéroclites, M. Florent Couao-Zotti nous donne à voir les infinies tares qui gangrènent les quartiers populaires de certaines grandes villes d’Afrique de l’Ouest. Le recueil s’ouvre sur un récit qui présente un univers mystérieux… C’est la nuit. Une femme enceinte, la femme-loge, fait des sacrifices « aux esprits de tous les souffles » pour ne pas « enfanter Ogou », mais alors qu’elle « clôture le rituel », « un bruit claque dans son dos ». « L’homme tire justement sur le pagne qui s’ouvre en même temps que s’écartent les jambes de la jeune femme. » « Elle se débat, essaie de le repousser, de le dégager, mais ses gestes sont vains, ses parades inutiles, ses cris inaudibles. » « La femme-loge se réveille », « elle est chez elle, dans sa chambre, entourée d’une multitude d’yeux qui la regardent. » On lui dit : « Un enfant perdu, c’est un ange qui reviendra. »

Dans la deuxième nouvelle, intitulée « Devant le monde », une femme, « en quête d’une petite luciole », suit les directives d’Aza, le guérisseur. « Mais pour que cet ange se matérialise dans ses bras, une seule condition, déclinée en plusieurs temps, s’avèrerait obligatoire (…) Pendant trente jours, il fallait donner à manger aux mendiants, aux nécessiteux, aux fous. Et dans la dernière semaine, elle-même, habillée de loques, devait errer au marché pour se faire mettre enceinte par un fou, un inconnu, au milieu de la foule » (P.36). La femme parvient enfin à donner naissance à un bébé, car « rien n’est impossible aux dieux et aux ancêtres » ; mais elle meurt peu de temps après. Dans « Dantokpa », la troisième nouvelle, M. Florent Couao-Zotti personnifie le grand marché de Cotonou. Il fait, à travers un charmant monologue intérieur, la chronique de ses arrière-boutiques.

« Ce qui, par contre, me donne des insomnies, c’est l’ambiance spéciale qui règne dans mes entrailles. Depuis que j’ai vu le soleil décorer ma crête et que l’argent brassé chez mes pensionnaires s’élève à des milliards de CFA par jour, devancer un rival, l’anéantir, lui faire des misères, est devenu la règle. » (P.46).

Dans « Comment tuer dix fois un criminel… », la nouvelle éponyme, l’auteur nous entraîne à Lagos, au Nigeria, où le gouvernement local a donné quarante-huit heures à la police pour exécuter Angelimo, « le criminel le plus recherché depuis trois ans ». Le sergent de police, qui est en complicité avec Angelimo, envoie ses hommes sur le terrain. Ils arrêtent Mouss, un mécanicien auto à Cotonou, venu pour la première fois à Lagos, « pour acheter des pièces de véhicule pour ses clients ». « Au milieu de la nuit, alors qu’un vent, rafraîchi par la température, semble avoir adouci les contusions qui lui meurtrissaient le corps, il est arraché à la cellule et présenté à un sergent, un homme à triple menton, cigare au bec, le visage plongé dans un tabloïde » qui lui dit : « Demain, à la pointe du jour, on termine ton affaire. » Mouss, avant de « s’effondrer dans les soupirs, les larmes, les postillons, la bave », murmure : « Awo tcho gbê tché ! Oklounon, wax lin mi gan ! (Ô Seigneur, sauve-moi !) » C’est alors que le sergent s’aperçoit que, comme lui, Mouss est un Goun du Bénin. « Ah, mon frère, explique le sergent, tu as de la chance, on cherche actuellement quelqu’un à exécuter pour faire croire que c’est l’ennemi public N°1, Angelimo… Tu es tombé au mauvais moment ! Mais t’inquiète, on va quand même te tuer. » « Me tuer ? », demande Mouss. « Je vais t’expliquer après », répond le sergent. Moussa sera-t-il vraiment exécuté ?

De ci, de là, part « lentement » la trame de ces récits variés, allant du conte mystique au polar, en passant par la comédie urbaine. Chaque nouvelle offre une perspective unique des réalités sociales, culturelles et politiques qui, inspirées sans doute du Bénin, trouvent leur écho dans l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest, nourris pratiquement au même lait pourri. Plus qu’une coquetterie littéraire, « Comment tuer dix fois un criminel… » est une invitation à réfléchir sur les violences physiques et symboliques qui structurent les sociétés africaines. Et le style ? Il faut l’avouer : le tour de force de « Comment tuer dix fois un criminel… » réside dans le style flamboyant de M. Florent Couao-Zotti. Dans ce recueil, chaque phrase, chaque paragraphe est une prouesse rhétorique ; une savante symphonie qu’il faut écouter maintes fois avant de saisir l’inspiration de l’artiste.

« L’aiguille, piquant les lignes serrées du vinyle, provoqua dans la chambre une envolée de sons et de rythme. Le haut-parleur du gramophone avait été renversé sur une jarre au creux profond, ce qui donnait à la musique une tonalité à la fois grasse et volumineuse. » (P.67)

On le voit, la prose de M. Florent Couao-Zotti prend par moments des aspects chatoyants qui fatiguent l’œil et déroulent l’attention du lecteur. Parfois, il m’a semblé que les plus belles pages de « Comment tuer dix fois un criminel… » gagneraient à se simplifier.

« La lune, comme si elle avait vécu sous séquestre, en perçait la masse ténébreuse avec sa lumière laiteuse qui déchargeait sur la terre des jets étranges. La mer était presque à deux cents bras, mais on percevait à peine les murmures hâlés des vagues. Des murmures déchirés par un vent espiègle qui, s’il n’avait pas prise sur l’ensemble du front de mer, semblait alourdir le fil tendu de l’embrun marin. » (P.88-89)

À vouloir trop labourer la phrase ici, on coupe ses veines… Certes, la nouvelle, le genre choisi par M. Florent Couao-Zotti, admet toutes les variétés, tous les styles, depuis le plus familier jusqu’au plus lyrique, depuis le plus nu jusqu’au plus pittoresque. Mais le changement de tons, ou le changement de registres ici, se fait avec quelque maladresse. Plus de grimaces inutiles que de spontanéités… La phrase, dans la nouvelle, devrait peser moins lourde sur les épaules.

Je m’arrête ici, mon cher Bernard Dadié. « Comment tuer dix fois un criminel… » de M. Florent Couao-Zotti est un livre plein de substance où l’esprit étincelle ; c’est un livre nourri de sentiments vrais… quelque chose comme un chef-d’œuvre flottant d’une main exquise qui mérite un seul reproche : son style, trop chargé d’images, plie sous le faix et ralentit la pensée. Quant aux coquilles, je laisse à d’autres le soin de blâmer et de plaindre de pareils désastres.

Adieu, mon vieux, je t’embrasse. Tiens-toi en joie là-bas si c’est possible.

De Koigny, ton petit-fils jusqu’à la mort.

Florent Couao-Zotti, Comment tuer dix fois un criminel…, Nouvelles, Éditions Continents, 2024, 119 pages

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