Sula, Toni Morrison
« Au cœur d’un petit roman grand »
« Cette toute petite femme qui avait la douceur et la couleur vive du canari. Dans cette maison obscure comptant quatre Vierges Marie, où la mort soupirait dans tous les coins et où les cierges crachotaient, l’odeur de gardénia et la robe jaune canari accentuaient l’atmosphère funèbre qui les entourait. » ( p.24)
Ces dernières décennies, ils sont de plus en plus nombreux et non conciliants, ces écrivains noirs ou afro descendants qui traitent de la situation des Noirs dans le Nord. Cela soulève la question de savoir si écrire pour la cause noire est le destin parfait de l’écrivain noir, ou si la littérature africaine ne saurait être qu’engageante. La cause commune demeure jusque-là le filigrane qui traverse les romans écrits par des Noirs. Il est parfois difficile de séparer l’écrivain noir de la vie sociale. Ce chemin tracé vient de l’influence des grands noms de la littérature afro, telle que Toni Morrison, que j’aborde dans cet article.
Pour mon premier article de l’année, qui aurait dû intervenir depuis début janvier, je parle d’un des livres les plus engageants de la littérature du XXème siècle. De manière brève et laborieuse, je parle de ma passionnante lecture de Sula, le deuxième roman de Toni Morrison, figure majeure de la littérature afro-américaine. C’est également le second roman de Morrison que j’ai lu après Beloved, que j’ai beaucoup apprécié et dont la triste histoire ne m’a pas laissé indifférent. Comme Beloved, le roman Sula m’a secoué, de par son histoire et la poéticité de l’écriture. Je vais essayer de faire des liens entre ses deux lectures de temps en temps afin de ressortir l’approche stylistique de l’auteure.
Dans ce très court roman qui se lit d’une traite, l’auteure nous plonge au cœur d’une communauté noire, dans la ville de Médaillon, dans l’État de l’Ohio vers les années 1919. Le contexte historique demeure marqué par la ségrégation raciale subie par des Noirs dans plusieurs États des USA, après plusieurs siècles d’esclavage. Dans ce schisme social, deux jeunes filles, Nel Wright et Sula Peacce naissent et tentent de se fabriquer un avenir. Issues de deux familles aux valeurs opposées, Nel et Sula sont des amies inséparables, qui se démarquent dans la communauté depuis leur tendre enfance. C’est de leurs aventures et défis que le récit suit son cours, naviguant à travers plusieurs décennies, de 1919 à 1965. Nel se conforme aux règles de la société où la femme est cantonnée aux tâches ménagères ; Sula, par contre, choisit de faire bouger les lignes dans un monde orthodoxe. Elle fait de brillantes études universitaires et refuse de se réduire à la simple condition de femme au foyer, non par défi mais par conviction. A travers l’histoire de ces deux femmes, l’auteure nous plonge dans le quotidien d’une communauté noire des USA. Pauvreté, violence et solidarité y règnent. Elle met en scène plusieurs histoires et plusieurs personnages. C’est ce qui donne à ce livre une portée communautaire très particulière. Le tout avec une concision exceptionnelle. 192 pages en version poche.
A travers le destin de Nel qui se conforme au chemin tracé et Sula, qui choisit de vivre en marge de la société, on sent ce profond désir féministe qui anime l’auteure très soucieuse de faire passer un message de force féminine. Elle met au premier plan de son récit des femmes auquel elle accorde des caractères très particuliers. Partant d’un contexte historique très difficile, marqué par la ségrégation raciale et la vie d’une société noire conformiste, voire traditionaliste, l’auteure plante le décor d’un récit engageant page après page, dans lequel évoluent des femmes singulières. En plus de l’omniprésence de la femme dans ce roman, au final, on sent le besoin et le message de liberté de la femme noire dans un monde difficile. Ce roman est celui de la femme qui choisit de se tracer son propre chemin et d’écrire son propre histoire.
À la première lecture de Toni Morrison, j’ai eu au début beaucoup de peine à me plonger dans le bain de l’histoire. Celle-ci, par contre, démarre de manière très singulière pour une histoire à caractère historique. Puis l’auteure enchaîne très vite les événements, ce qui donne à ce court récit une force énorme. Je me demande pourquoi l’auteure a choisi de proposer une telle concision pour une histoire qui se déroule sur plus de quarante ans. Dans les mains d’un autre écrivain, à l’instar de Proust, Sula ferait certainement un roman fleuve, voire une saga. Au final, c’est aussi cette concision qui rend ce roman très particulier et lui donne toute sa beauté.
La lecture de Toni Morrison requiert beaucoup de concentration, sinon elle risque de vous perdre à tout moment. Son écriture est très imagée avec le choix de mots justes. Lorsque j’ai entamé la lecture de Sula j’ai eu le sentiment de découvrir un roman très particulier, tant le style d’écriture est singulier. Ce qui caractérise en gros le style d’écriture de ce roman, c’est tout d’abord son caractère très poétique qui plonge dans un univers où se côtoient violence, colère et romance. C’est cette mixité qui confère à ce récit toute sa beauté. C’est aussi ce mélange qui rend ce petit livre grand.
Patrick Isamene
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