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Amour gamado, Togoata Ayayi Apedo-Amah (2023) 

Une critique de l'écrivain Théo Ananissoh

Une critique de l'écrivain Théo Ananissoh

« Amour gamado »
De Togoata Ayayi Apedo-Amah
Ed. Continents, Lomé, 2023, 270 pages.

Je ne sais plus à quel âge c’était ; en tous les cas, à l’époque du collège. J’ai lu dans un magazine africain dont j’ai oublié également le nom une interview de Ferdinand Oyono, le romancier et homme politique camerounais. A la question finale du journaliste qui s’étonne qu’il ne publie plus de livres depuis des années, Oyono répond qu’il est en train d’écrire un nouveau roman. Ah ? Le titre ? “Le Pandémoniumˮ, informe-t-il. Pandémonium… J’étais adolescent, et n’avais jamais entendu ou lu ce mot. J’en ai cherché le sens dans un dictionnaire. C’est un autre mot pour signifier l’enfer, ai-je compris. Je viens de revérifier. Du grec “daimônˮ – démon : 1) capitale imaginaire du royaume des Enfers ; 2) lieu où règne un désordre infernal, la corruption.

A la moitié du roman, ce mot de pandémonium appris à l’adolescence, jamais utilisé par moi dans un propos écrit ou oral, ce mot de pandémonium donc s’est imposé à mon esprit comme approprié pour décrire ce premier roman que publie Togoata Apédo-Amah. J’ajoute, comme une sorte d’attestation de la pertinence du mot, que le roman de Togoata est impossible à résumer, même en le simplifiant sans scrupules. Essayons juste d’en donner une idée globale en recourant à une autre comparaison concrète : ananas. Si. De la douceur dans une enveloppe rugueuse.

Mais tout d’abord le titre. Osons. “Gamadoˮ, c’est (en guingbé) le contraire de “ga dô dôˮ. Pas “egaˮ – argent, mais “gaˮ – cloche ou clochette. “Ga dô dôˮ, c’est alerter, annoncer en place publique. “Gamadoˮ, c’est l’inverse donc, ne pas alerter. Suivant la bonne explication de l’expression placée en exergue du roman, j’expliciterais “Amour gamadoˮ comme ceci (sans prétendre du tout à l’exactitude) : on n’alerte pas pour l’amour ou pour un(e) amant(e) perdu(e) [seule la perte d’un enfant mérite qu’on fasse du bruit – quelque chose comme ça].

Soit.

Mais le roman, en vérité, confirme et contredit tout à la fois cette pensée qui me semble un peu dénuée de romantisme. Je disais ananas. Il y a bien dans ce roman une belle et forte histoire d’amour, un vrai et durable amour qui mérite qu’on ameute pour lui ! Mais cet amour advient dans un pandémonium qui l’enserre et le combat sans cesse de toutes parts ! Le roman tisse le paradis et l’enfer. Folie de l’esprit créatif.

Anaté (lui) sauve en pleine rue Kooko (elle) en fuite éperdue. Il a vingt cinq ans, et est un jeune cadre compétent et plein d’avenir dans l’entreprise familiale. Elle a dix-neuf ans et est étudiante en Biologie à l’université de Lomé. Elle s’évade littéralement d’une maison familiale où ses parents pauvres et avides d’ascension sociale veulent la marier de force à un homme riche et vieux. Lui, de son côté, cherche de même à échapper à une fiancée extrêmement désagréable que lui imposent ses parents par calculs d’affairistes. La rencontre inopinée de Kooko et Anaté, leur amour contre vents et marées est le roman doux au sein d’un monde de fous et de sadiques. Haines recuites, rages destructrices, furies humaines, envies et jalousies furieuses, etc. On ne compte pas les pugilats dans ce roman ! Presque à chaque chapitre. Les adultes, hommes et femmes, se boxent au moindre désaccord lors de rencontres dont le but est justement d’aplanir les discordes. D’ailleurs, on compte plusieurs décès par crise cardiaque ou accident vasculaire. Togoata Apedo-Amah excelle dans la description de ces bagarres folles où chaque protagoniste assomme l’autre avec l’intention de l’achever une fois pour toutes. Le dire peut surprendre, mais on rit à la lecture de chacune de ces mêlées qui couvrent plusieurs pages à chaque fois. Aucune d’elles ne ressemblent à la précédente. Il s’agit là de la manifestation d’un talent d’écriture.

Pandémonium ! Dans ce roman, la famille est une cellule épouvantable. Les parents sont des horreurs (mais, attention ! la mère d’Anaté, d’abord abominable, va se muer ensuite en ange gardien de son fils dont elle… tue impitoyablement les ennemis !). Dans la seconde moitié du roman, alors qu’on s’étonnait de plus en plus de ne pas en voir (sous la plume de Togoata hein !), surgit une faune (l’expression est imposée par le récit) d’hommes politiques qui sont membres d’une confrérie d’hommes-hyènes. Des êtres qui se transforment littéralement en « hyènes géantes de la taille d’un taureau » et qui s’entredévorent pour ainsi dire en direct. On le comprend, « Amour gamado » transcende les frontières, alterne réel et irréel sans jamais dérouter le lecteur…attentif. La narration du reste n’est pas non plus tout à fait linéaire.

Que dire en conclusion ? Étonnant roman, vraiment. Comparable à rien d’autre dans les productions littéraires du Togo – sauf peut-être Le Soleil attendra de Sandra Ahavi (éd. Awoudy, 2021). Ce qui nous est donné ici, c’est avant tout un puissant imaginaire. Togoata Apedo-Amah se lâche avec audace, disons. Il maintient de bout en bout, sans jamais défaillir, le rythme d’un récit violent, agité, riche en faits et en personnages singuliers et presque tous rageurs. Ce qui est à retenir, c’est une vision ; une vision ample et forte de nous, de notre histoire présente, de ce que nous sommes intimement ! Avec une écriture impeccable et vigoureuse qui porte bien le propos ! Chapeau !

Théo Ananissoh
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