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Les Aquatiques - Osvalde Lewat (2021)
« Mais enfin, qu’est-ce que l’amour a à voir avec le mariage ? On se marie parce qu’on se marie, un point c’est tout. On se marie pour des tas de raisons, et ce sont ces mêmes raisons-là qui font que, quoi qu’il arrive, on ne part pas, on reste ensemble, on élève ses enfants. » (p.283)
By Sonia Le Moigne-Euzenot Posted in Cameroun, Roman, Sonia Le Moigne Euzenot on 3 avril 2022 0 Comments
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Les aquatiques, Osvalde LEWAT, Les escales, 2021.

« Mais enfin, qu’est-ce que l’amour a à voir avec le mariage ? On se marie parce qu’on se marie, un point c’est tout. On se marie pour des tas de raisons, et ce sont ces mêmes raisons-là qui font que, quoi qu’il arrive, on ne part pas, on reste ensemble, on élève ses enfants. » (p.283)

Osvalde Lewat est écrivaine et documentariste. Son récit, Les aquatiques, est le roman d’une documentariste. Nous sommes au Zambuena. Katmé est l’épouse de Tashun Abbia, préfet de la capitale, ils ont deux filles jumelles, Alix et Axelle. C’est Katmé qui tient la caméra ou, plus exactement, c’est Katmé qui raconte à la manière d’une cinéaste. Ce roman a cette double dimension : visuelle et narrative à la fois. Au début de cette histoire, Katmé rend visite à un ami artiste, Samy. Elle veut voir ce qu’il prépare pour sa prochaine exposition. Elle veut aussi lui faire lire le courrier que vient de lui remettre son mari : l’administration a décidé de déplacer la tombe de sa mère (la mère de Katmé) pour laisser place à une autoroute. Le geste est politique : un poste de gouverneur se dessine pour Tashun dans cette province.

Si Katmé est « maman préfète », elle est d’abord et avant tout une femme intelligente et cultivée, volontaire et lucide. Elle pose un regard perspicace sur la société dans laquelle elle vit, sur son quotidien de femme, d’épouse, de mère. Les aquatiques est un roman qui réussit à exposer la vie des gens, à la montrer à la façon d’un cinéaste qui travaillerait caméra sur l’épaule. De là, cette impression, parfois, de lire une suite de séquences narratives comme autant d’occasions d’orienter le projecteur sur telle scène, tel sujet sociétal ou politique. L’écriture nerveuse et déterminée d’Osvalde Lewat a néanmoins une manière telle de prendre à bras-le-corps ce que ces séquences contiennent d’indignité, que son roman frappe juste. Il atteint son but : ce qu’il montre, ce qu’il détaille, ce qu’il fait voir, au plus près, y compris le plus crûment, est indéniablement intolérable, inacceptable. La place que la société accorde à son personnage, parce qu’elle est une femme est inadmissible, révoltant. 

Katmé observe. Elle est très bien placée pour observer. Sa situation sociale lui offre un point de vue privilégié et sa conscience individuelle est aiguisée. Ce qu’elle rapporte est sans concession.

Ce club de femmes, par exemple. Le Caz, le club des Amies du Zambuena, dont les membres, tous féminins, tous cooptés, n’ont d’autre identité que celle de la position sociale de leur mari. S’y déploie un jeu d’alliances, de compromis qui ne parvient pas à dissimuler les préjugés qui animent les échanges. Tout débat se clôt toujours de la même manière :  prioriser les influences liées au pouvoir politique en place quitte à laisser faire, dire et même galvauder les ragots les plus putrides. Rester entre soi pour préserver ses privilèges. Djama vient d’accuser Samy de fumisterie : son œuvre, « les aquatiques » esthétiserait la misère des pauvres gens ! Elle est « Madame Secrétaire Général du mouvement des patriotes alliés ». Katmé abhorre ce cynisme de classe. C’est à travers une image qu’elle fait partager sa répulsion :

« elle ravala jusqu’à l’écœurement les phrases qui lui brûlaient la gorge, et encaissa les dards que Djamba lui fichait dans le cœur. Elle dégoisait, et Katmé la voyait empalée. Le supplice du pal. Un pieu enfoncé au niveau du sternum, qui ressort par la bouche et vous muselle à jamais. Ou à défaut, du ruban adhésif. Sangler les faux cheveux, le tissage brésilien, enrubanner le front, les sourcils, les paupières, le nez, les oreilles, et la bouche ; s’arrêter sur la bouche, faire plusieurs tours, des tours fermes, serrés ; et enfin Djamal la bouclerait. Salope. Salope de Française cachée. Salope dont les enfants et petits-enfants possèdent tous une double nationalité, un second « passeport parce qu’on ne sait jamais… Si ça se gâte un jour dans ce pays… Penser à faire de même Tashun et toi pour les filles. » » (pp.89-90)

Cette lucidité dans l’analyse, Katmé sait aussi s’en servir vis-à-vis d’elle-même. Elle est capable de rapporter ce que Samy ne manque pas de reprocher à certains de ses comportements, à certains de ses arguments. Samy ne se prive pas de souligner certains de ses propres préjugés. Son amour pour ses filles la construit, l’affection qu’elle éprouve pour Samy la sécurise. Lorsque Samy est brusquement arrêté parce qu’il est soupçonné d’homosexualité, les pages de ce roman sont magnifiques. Osvalde Lewat offre des lignes d’une rare intensité, d’une force saisissante : l’arrestation, les horreurs que subit Samy en prison, la gabegie, l’extrême misère des prisonniers qui vivent dans des conditions de détention impensables. La documentariste de The forgotten man trouve les mots pour décrire le quotidien tragique de Samy. Être homosexuel est puni de prison à vie !  

Ce roman de près de 300 pages contient beaucoup d’aspects, passionnants, que je n’ai pas du tout abordés. C’est impossible dans une simple chronique au cours de laquelle, au demeurant, je ne souhaite pas dévoiler toute l’intrigue du roman. 

Ce livre est celui d’une femme. Katmé est mère, épouse, elle est aussi femme. Elle sait observer son corps lorsqu’il saigne chaque mois, elle sait écouter ses émotions lorsqu’elle fait l’amour. Plutôt que crus, ses mots sont authentiques. Devoir déplacer la tombe de sa mère va la confronter à elle-même, aux membres de sa famille, aux règles sociales qui régissent sa communauté. Rien n’est simple pour la jeune femme : Katmé est une femme de convictions, une femme du XXI° siècle qui n’a pas besoin de demander la permission de s’exprimer, de penser ! Osvalde Lewat sait aussi manier l’humour, un humour souvent savoureux parce que subtil. 

 Que le titre de ce roman soit à la fois le nom d’un quartier et celui de l’œuvre artistique de Samy en dit long sur le double ancrage de ce livre. L’art nourrit l’âme (Samy donne des cours de sculptures aux enfants du quartier). Le livre est bourré de références artistiques. C’est  l’ignorance qui conduit aux pires exactions. Katmé, comme Samy ont choisi l’Art. Ils savent qu’ils peuvent le partager. Le livre en donne des exemples. Les mots de Samy, en prison continuent d’affirmer la puissance de l’imagination, de la création artistique :

« Le matin, je me réveille, je regarde mes mains, elles sont propres, nettes de toute trace de terre, et pourtant, la nuit elles ont dansé avec la pâte, elles l’ont caressée, lui ont donné vie, le matin elles sont là, amorphes, inutiles, mortes. À quoi me sert-il d’avoir des mains si je ne fais rien naître au monde ? Si je ne peux pas sculpter, à quoi je sers ? Si je ne peux pas être à l’atelier, pourquoi je vis ? Me torcher les fesses, m’essuyer après le caca, elles me servent à ça mes mains, je me gratte, je me masturbe, je me mouche, parfois je me gifle, je me gifle avec ces mains, regarde-les. Je donnerai un an de ma vie pour retourner quelques minutes à l’atelier, quelques minutes seulement, et reprendre force, vigueur comme Anté touchant la Terre-Mère. Mon cœur va éclater Kat, mon âme suffoque, elle va mourir si elle ne peut plus s’envoler à travers mes mains. Je deviens fou Katinetou. Je deviens fou, Bindi. » (p.138)

 

Sonia Le Moigne-Euzenot

 

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