« Il implorait inlassablement les puissances de l’au-delà afin qu’elles interviennent, qu’elles sauvent de la destruction ce magnifique endroit de l’Ouest de la péninsule de Yamal encore vierge et sauvage et œuvrent à en préserver durablement l’harmonie. » (p.12)
Ce nouveau roman de Wilfried N’Sondé, Femme du ciel et des tempêtes, publié chez Actes Sud, est un roman palpitant ! Il tient son lecteur en haleine jusqu’à la fin ! Impossible de se détacher du besoin de savoir ce que va devenir la découverte que vient de faire le chaman Noum. Sous le permafrost reposent les restes d’une femme aux cheveux crépus et à la peau couleur marron foncé. Une Africaine en terre de Sibérie, sur la presqu’île de Yamal, en pays Nenets !!! La découverte est exceptionnelle, tout particulièrement précieuse, d’une valeur inestimable pour l’Humanité. C’est absolument incontestable.
La menace qui pèse sur elle est pourtant double : si le permafrost qui protégeait « l’Africaine de l’Arctique » (p.20) a découvert sa sépulture, c’est à cause du réchauffement climatique, implacable. Il la rend vulnérable. Que le sous-sol où elle repose soit riche du gaz qu’une entreprise Russe veut exploiter est l’autre danger tout aussi implacable : ses excavations broieront le fragile squelette.
Les antagonismes qui sont à l’œuvre dans cette histoire sont puissants, d’une force tragique. La nature est inexorable, les humains sont inconséquents. D’un côté Noum qui essaie de constituer une équipe de scientifiques capable d’alerter la planète entière de l’extraordinaire découverte, capable de faire partager les riches connaissances qu’ils vont accumuler : Laurent, spécialiste de l’étude des écosystèmes, en quête de reconnaissance ; Cosima, la jeune médecin japonaise, rationnelle et pleine de certitudes ; Silvère le jeune anthropologue congolais, déprimé. De l’autre, Serguei, le russe responsable de ce grand chantier d’exploitation du gaz dans le grand Nord. Il est vénal, corrompu, violent, incapable de la moindre compassion sauf pour ses trois chiens, des molosses. Micha, lui, quoique Nenet est à son service. Il est persuadé que la vie nomade que mène ses parents est une « vieillerie » (p.92), que l’avenir de son pays passe par l’exploitation de ses richesses. Il est le neveu de Noum.
L’auteur prend d’abord le temps de nous présenter avec soin chacun des personnages, il les installe avec précaution dans le récit. Le système qu’il met en place repose sur un rapport de forces digne d’une tragédie grecque. Les puissances humaines en présence sont totalement opposées, presque outrancièrement. Il faudra attendre la fin du livre pour que soit évoquée la présence des populations autochtones, jusque-là privées d’expression, dépouillées de tout pouvoir de décision. Tout le récit conduit à la montée en puissance d’une forme de tension dont l’acmé se situe au moment où la terre, sous l’effet du réchauffement climatique, se fissure, où les gouffres se forment comme autant de nouvelles sépultures qui engloutissent les humains comme les animaux.
En réalité le propos principal du livre de Wilfried N’Sondé est celui de faire parler la nature, que son expression verbale soit son outil de communication. Elle tient le rôle essentiel du roman. Elle en est le personnage majeur. Si son langage n’est pas audible par tous, les pages de ce livre parviennent à faire entendre ce que seule la magie peut offrir. Interrogé en 1985 par Édouard Maunick, Sony Labou Tansi a décrit la magie (1) comme « ce qui est foisonnant, ce qui est luxuriant, ce qui est explosif dans une certaine mesure, ce qui va dans tous les sens […] La magie a une logique profonde. » Elle permet à Silvère, revenu à Mbanza-Congo, d’entendre la voix d’une « entité mystérieuse » :
« Épuisé, Silvère s’allongea sur le sol, là où s’étaient dites les messes chrétiennes durant des siècles, là où l’on chantait encore aujourd’hui des cantiques à la gloire du Christ, à l’emplacement où, en des époques encore plus anciennes, les Bakongo célébraient leur adoration des esprits qui sommeillaient au cœur de tout ce qui existait en ce monde, au point d’y ensevelir la plus vénérable de leurs reines. Un endroit pétri d’une profonde spiritualité, où convergeaient diverses manières de prier qui, dans la mémoire du temps, ne formaient plus qu’un seul chœur pour accéder aux énigmes du monde invisible. » (pp. 81-82)
Les transes par lesquelles passe Noum, et aussi Sylvère lorsqu’il se retrouve prisonnier d’un gouffre béant, sont l’occasion d’évocations puissantes et lucides, de suggestions harmonieuses et sensibles. Les paroles des Anciens conduisent les humains, alors à leur écoute, sur des chemins qui, dorénavant, ouvrent une voie, trouvent une direction vers ce qui relie les hommes entre eux. « L’Africaine de l’Arctique » est un personnage épique :
« Elle, volontaire, les cheveux tressés jusqu’au bas du dos, et, emboîtant son pas, la suivait tout un peuple à la peau noire et aux yeux bleus sous des tignasses hirsutes et bouclées. » (p.194)
Elle rejoint la « reine du Kongo » (p. 81), celle qui a poussé Silvère à retrouver Noum sur les terres Nenets. Les deux femmes savent combien la nature est fragile. Elles tracent aux humains (ici, Silvère) un chemin spirituel à suivre pour la protéger :
« À son tour et aux siens d’imaginer les termes d’un élan empreint du souci de respecter ce qui existait, sans le transformer à leur guise, une nouvelle alliance avec la nature, pour empêcher que soit empoisonnée la terre du Nord. » (p.195)
La tâche sera rude. C’est Serguei qui parle :
« Il pensait constamment aux engagements pris auprès de partenaires étrangers, de Chinois, des Turcs, des Coréens et des Américains, dont les placements se comptaient en centaines de millions de dollars. » (p.163)
« L’Africaine de l’Arctique » n’est pourtant pas seulement un personnage tragique.
Sonia Le Moigne-Euzenot
Wilfried N’Sondé, Femme du ciel et des tempêtes / éd. Actes Sud, 2021
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