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Une femme a disparu - Anne-Sophie Stefanini (2024)
La quête obsessionnelle des disparus...
By Gangoueus Posted in France, Gangoueus, Roman on 23 mars 2025 0 Comments
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Une femme a disparu, Anne-Sophie Stefanini
Editions Stock, 2024

J’ai posé à l’IA la question suivante : comment la question de la disparition est-elle traitée en littérature africaine de langue française. J’ai été très surpris par les pistes proposées par Gemini AI. Elle a évoqué plusieurs profils de disparus. Les déportés vers les Amériques ou vers l’Orient. Les crimes de la colonisation. Les violences politiques nées des États nouvellement indépendants ont occasionné de nombreuses disparitions : des personnes éliminées physiquement, anonymisés, expurgés du récit national. Ce sont aussi des personnes en fuite ou parties en exil sans laisser de traces.  Le Cameroun a eu sa part de maux sur la question à différents épisodes de son Histoire. La guerre d’indépendance avortée entre 1954 et 1970. Les mouvements estudiantins du début des années 90. La crise du NOSO…

Je me pose la question de savoir comment la littérature africaine traite de ce sujet. Et ce, depuis que j’ai fini la lecture du roman Une femme à disparu d’Anne-Sophie Stefanini. Ce roman se déroule entre le Cameroun et la France. Beaucoup plus à Yaoundé, tout de même. Il couvre plusieurs périodes de la vie d’une femme française qui a l’âge de 17 ans s’est rendue au Cameroun dans le cadre d’un échange scolaire et y est tombée amoureuse. 

“Le 24 mai 1991 une femme a disparu à Yaoundé […] La disparition de cette femme était une disparition parmi des milliers d’autres. 

Mais elle m’a marquée, hantée comme si elle était unique ou que ce drame était le miroir de tous les drames.  J’avais dix-ans quand on m’a parlé d’elle pour la première fois” (p.11)

Il y a dans cette séquence introductive de ce roman, le thème qu’il véhicule. L’absence. Une absence inexpliquée. Une inconnue. Un pronom indéfini : “On”. En relisant cet extrait, je réalise que Stefanini envisage l’écriture comme une partie d’échecs. Chaque détail compte. Mais recentrons-nous sur cette jeune fille. Si la parole ci-dessus a une résonance particulière, c’est parce qu’elle est portée par la personne dont Constance est amoureuse. Une femme a disparu. Au travers de son idylle camerounaise, la narratrice revient régulièrement dans ce pays. Chaque occasion, chaque séjour est une possibilité de connaître un peu mieux Jean-Martial. Il est fils et petit-fils de résistantes de l’UPC. Il fait découvrir à sa belle des lieux intimes, des espaces qui portent discrètement la mémoire de combats anciens.

Pour compenser leur différence d’âge (10 ans) que Jean-Martial rappelle, Constance va travailler, pousser au maximum ses études d’histoire, s’investir sur le thème des figures féminines combattantes de l’UPC. Elle nourrit de manière quasi obsessionnelle cette relation à distance même si elle est présente deux mois continus à Yaoundé, chaque année. Cette relation est secrète. Pour des raisons compréhensibles, ni l’un, ni l’autre ne communique à ce sujet avec leur entourage. Ce dernier n’est pas dupe. Mais Constance s’exprime par des lettres jusqu’à ce que Jean-Martial finisse par se taire définitivement, disparaissant au bout de la sixième année. À partir de là, je peux dire que le roman commence. Pourquoi Jean-Martial a-t-il disparu ?

Cette relation amoureuse secrète désormais caduque, Constance ne va pas cesser de la nourrir, de la fantasmer. Et on touche là à quelque chose de très perturbant. Anne-Sophie touche à la question des agendas secrets. Si Jean-Martial, pour une raison qu’on ignore, a tourné la page, et tout dans la vie Constance l’oriente vers lui. Elle se marie avec un homme camerounais, elle a un enfant avec lui puis divorce. Mais la figure de Jean-Martial est toujours là. Et Constance lui parle constamment…

Comment l’aimer lui et t’aimer encore ?

Je n’avais raconté à personne notre amour et pourtant  je ne vivais qu’en pensant à toi, à Yaoundé? J’imaginais ta vie, la femme que tu as rencontrée, tes enfants, tes cours. Je souriais en pensa,t que si tu m’appelais, si tu venais me voir à Paris, je pourrais te montrer l’héritage de notre amour : mes lectures, mes obsessions, mes révoltes étaient les mêmes. J’étais restée fidèle. (p.47)

Elle finit ses études doctorales en histoire pour repartir au Cameroun. L’homme avec qui elle a un enfant est camerounais. Mais surtout, le souvenir de cette femme disparue devient une nouvelle obsession. Cette femme disparue la lie à la quête de Jean-Martial. Dix ans après, elle vient au Cameroun.   

Cette obsession qu’on lit au fil des pages pourrait être perçue comme le caprice d’une Occidentale ayant perdu sa peluche. Je suis volontairement provocateur, parce que trois mois après avoir terminé ma lecture, il y a quelque chose de véritablement puéril dans l’attachement de Constance pour Jean-Martial, qui est énervante en première lecture. Constance est constante face à ces deux disparitions, l’une liée à la grande Histoire, l’autre plus personnelle, plus intime. Elle cherche. Elle n’abandonne pas. Tous les moyens sont bons pour ne pas sombrer dans une forme de folie. Sa démarche est à la fois complètement rationnelle et émotionnelle. La littérature va être un de ces moyens parmi tant d’autres pour en savoir plus et s’approcher au plus près de la vérité.

“Je n’avais pas dit à mon éditrice que j’avais écrit  ce roman pour te retrouver. Pour que tu viennes. Toi  seul pouvait savoir, que j’avais raconté, en les maquillant ar la fiction, nos années, notree amour, les histoires entendues, notre maison, ta famille, les lieux où nous étions allés et l’histoiede cette femme qui enseignait dans l’université où tu étais étudiant.”

p.54 

La littérature comme un appât. La littérature pour débusquer Jean-Martial. Il vous appartient de lire ce roman pour savoir le fin mot de l’histoire qui se construit comme une enquête précise, aux rebondissements saisissants. La question de la disparition en littérature africaine est un sujet que je pense sous-traité. Je peux me tromper. Je me souviens que Léonora Miano a posé un diagnostic dans Les aubes écarlates, où elle évoque l’oubli depuis le continent Africain des disparus, des déportés vers les Amériques principalement a des incidences. En particulier, celle de l’absence d’espaces de mémoire significatifs sur la question des Traites négrières qui n’est pas sans conséquence pour l’Afrique, si on s’appuie sur ses croyances. L’obsession de Constance est intéressante si on la dissocie d’un caprice, si on la lie à une quête infinie de la vérité. Mon agacement devient  intérêt. Constance suscite des chercheurs comme le jeune journaliste Terence qui part à la recherche de l’enseignante disparue. La disparition dans ce roman nous parle de la violence politique au Cameroun, de la difficulté à mettre des mots dessus, de ces silences imposées à toute une population.

Gangoueus

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