Paradise in Gaza*
Niq Mlhongo
Kwela Books, 2020
Titre accrocheur : en tant que lecteur où vais-je ? Vais-je me retrouver dans la bande de Gaza en Palestine ? Et cette histoire fictionnelle est écrite par un Sud-Africain, né à Soweto en 1973, journaliste et romancier… Oh là là, cela pique ma curiosité. Voilà pourquoi j’ai acheté le roman. Ce n’était pas la seule raison. La couverture indique qu’il y a un mystère, un crime à résoudre. Le roman policier est un de mes dadas littéraires. Enfin, j’avais déjà lu plusieurs autres romans du même auteur, Niq Mhlongo, qui m’avaient beaucoup plu : Dog eat Dog (2004), After Tears (2007), Way Back Home (2013), Black Tax (2019). Il faudra que je lise Affluenza (2016) et l’ensemble de nouvelles que Mhlongo a récemment dirigé dans l’ouvrage collectif Joburg Noir (2020).
Qu’en est-il de l’auteur de Paradise in Gaza ? Acclamé en tant qu’écrivain de la nouvelle génération kwaito (musique populaire sud-africaine, variante locale de la musique house, combinant des échantillons sonores de différentes musiques africaines ; l’écriture mhlongonienne se fonde sur ce genre musical, ainsi que sur l’afro-pop et le rap), ses thèmes préférés vont au-delà de l’apartheid et du racisme (bien qu’ils fassent partie du contexte référentiel des textes littéraires de Niq Mhlongo) et répondent aux questions contemporaines telles que le chômage, le sida, la pauvreté et la criminalité, le renforcement de la démocratie, le respect et la justesse. Certains compte-rendus ont souligné le lien entre son roman de 2013 Way Back Home et Paradise in Gaza de par la thématique générale, le cadre historique et le style de l’auteur. Interviewé en 2014 à propos de Way Back Homee, Mhlongo notait :
The novel talks quite a lot about displacement. Many people don’t understand how rooted African culture is. I’ve realized that within the Indian tradition, for instance – well maybe I’m just making a superfluous kind of comparison – people also live a very communal life. When people marry, they don’t go far away from where they come from. Like I live in Jo’burg and my mother comes from Limpopo, which is in the north-eastern part of South Africa. Every time she calls me – I’ve never stayed in that place – she’ll ask me when I’m coming home. And the most important thing that makes a place home is that your ancestors are buried there. ( Le roman parle beaucoup de déplacement. Beaucoup de gens ne comprennent pas à quel point la culture africaine est enracinée. Je me suis rendu compte que dans la tradition indienne, par exemple – je fais peut-être une comparaison superflue – les gens vivent aussi une vie très communautaire. Lorsque les gens se marient, ils ne s’éloignent pas beaucoup de leur lieu d’origine. Par exemple, je vis à Jo’burg et ma mère vient de Limpopo, qui est dans le nord-est de l’Afrique du Sud. Chaque fois qu’elle m’appelle – je n’ai jamais vraiment vécu à cet endroit – elle me demande quand je rentre à la maison. Et la chose la plus importante chose la plus importante qui fait d’un endroit un foyer, c’est que vos ancêtres sont enterrés là ;
http://alternation.ukzn.ac.za/Files/docs/22.2/Alternation%2022,2%20(2015).pdf#page=260 )
Qu’en est-il de Paradise in Gaza ? Certainement, le cadre de l’histoire est celui de l’Afrique du Sud de l’apartheid : l’histoire commence en 1977. Les relations entre les communautés africaines et les personnages blancs de l’histoire font écho au passé du pays. En même temps, la réalité des expériences et les préoccupations sous-jacentes sont aussi celles de l’époque contemporaine. Lire ce roman revient à une expérience littéraire à plusieurs niveaux : du trope « le villageois arrive en ville » à la recherche d’une vie meilleure et de richesses, le personnage central quittant le village de Gaza, dans la province du Cap-Oriental, pour aller à Soweto, à Johannesburg, à la recherche d’une vie meilleure, en passant par les vicissitudes de l’apartheid et ses contestations, ses conflits, pour en arriver à la vie quotidienne au sein des communautés et des familles (polygames, entre autres).
Qu’en est-il de l’histoire de Paradise in Gaza ? Lorsque Mpisi Mpisani, accompagné de son fils de huit ans, Giyani, se rend dans son village natal pour l’enterrement de sa mère et une visite à sa première femme, Khanyisa, il sait qu’il doit se dépêcher de rentrer à Johannesburg. Sa deuxième femme, Ntombazi, qui l’attend jalousement à Soweto, va accoucher d’un jour à l’autre. En vertu de la loi de l’apartheid, il pourrait même se voir refuser le droit de retourner en ville s’il s’absente trop longtemps et perdra alors son emploi en ville. Quand Giyani disparaît sans laisser de traces, Mpisi décide de rester au village pour le retrouver. Rongé par l’inquiétude, il tente d’ignorer les villageois qui accusent les sorcières et leurs sources magiques de la disparition du garçon. Pendant ce temps, Ntombazi met au monde un garçon dont la tache de naissance semble être un signe précurseur de plein de choses (lisez le roman, hihihi, je ne dévoilerai pas la suite).
Qu’en est-il du style de Paradise in Gaza ? Au niveau du style, de l’écriture, de la langue, je note que Mhlongo a décidé de laisser certains passages en isiZulu, sa langue maternelle. Il s’agit des épigraphes dans 12 des 75 chapitres du roman, à savoir les chapitres 12, 13, 20, 21, 22, 23, 36, 37, 44, 56, 63 et 64, ainsi que des chansons, poèmes et autres petits textes (pages 79, 82, 85, 118, 119, 173, 222 et 259). Alors que certains diront que cela empêche le lecteur non zoulophone de relier ces pépites au texte plus large ou aux sections dans lesquelles elles apparaissent, à mon avis laisser certains passages en isiZulu montre la volonté de son auteur de s’inscrire dans une approche de partage interculturel : le lecteur intéressé, motivé, curieux fera de son mieux pour trouver les traductions, fouillera les différents aspects, les mots inconnus, les poèmes en « langue étrangère » (ce qui est – même si on discutera de la qualité de la traduction – possible en ligne – je ne nommerai pas les sites, hihihi encore) et cela ajoutera au plaisir de la découverte culturelle.
Qu’en est-il de certains thèmes de Paradise in Gaza ? La dédicace du roman à Credo Mutwa, auteur de Indaba, My Children: African Tribal History, Legends, Customs And Religious Beliefs (1964), est un indice clair que le roman traite de l’histoire, des légendes, des coutumes et des croyances religieuses des tribus africaines.
Dedicated to Vusamazulu Credo Mutwa (1921-2020) from whose books I have learnt a lot about African mythology and folklore. (Dédié à Vusamazulu Credo Mutwa (1991-2020) dont les livres m’ont appris beaucoup sur la mythologie et la folklore africains; sans page)
Mhlongo a réussi à rassembler diverses coutumes et croyances dans son roman. Il représente les proverbiaux et acariâtres tokoloshe (des esprits maléfiques liés à l’eau dans la mythologie zouloue), l’ukuthwasa (le fait d’être possédé par des esprits ancestraux), les guérisseurs traditionnels ou inyangas, qui compliquent la vie des personnages mais dont on lit les pouvoirs et savoirs sacrés ici (une telle description détaillée reste un phénomène assez rare dans les romans populaires, mais souligne le désir de partage des savoirs). Le fait que le roman s’étend sur un paysage géographique important – des provinces du Gauteng et du Limpopo à celles de l’État libre et du KwaZulu-Natal, en passant par le Mozambique, pays voisin de l’Afrique du Sud – rend explicite la nature connectée des systèmes religieux et de croyance africains et leur omniprésence au sein des populations et des communautés noires africaines.
Qu’en est-il du genre de Paradise in Gaza ? Roman historique, sociologique, ethnologique, réalisme magique, roman policier, collection de légendes et de croyances, histoire d’amour,… Je suis sûre qu’en tant que lecteur, on peut ajouter d’autres catégories littéraires, genres et registres à cette liste qui ne décrit que quelques-uns des sentiments, des lectures, des opinions que j’émets après ma lecture. Et en ces temps bizarres de la Covid19, voici quelques mots d’empathie :
Nothing can acclimatise us to death and eternity as human beings. ‘What can we say? We live in borrowed and dramatic times. Death and time are what give life meaning.’ (Rien ne nous habitue à la mort et à l’éternité en tant qu’êtres humains. Que dire ? Nous vivons une époque a« empruntée » et dramatique. La mort et le temps sont ce qui donne un sens à la vie ; p. 275)
Karen Ferreira-Meyers
* Texte lu en anglais. Non disponible en français.
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