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By Cecile Avougnlankou Posted in Cécile Avougnlankou, France, Théâtre on 4 novembre 2021 0 Comments
Marie NDiaye, Papa doit manger
Genre : Théâtre / Editions de Minuit, 2003
La scène s’ouvre sur Papa à la porte de « chez lui » en train de se présenter à sa fille qu’il découvre là devant cette porte entrebâillée. La rencontre avec la petite est édifiante : la petite fille est bien éduquée, pleine des recommandations de sa mère. Le père surpris par tant de bon sens passe au charme : il est riche et revient pour prendre soin d’elles… il est le père.
Papa (1), un homme noir épouse Maman (2), une femme blanche qu’il abandonne avec leurs deux filles pendant dix longues années. Puis un jour il revient, ‘‘métamorphosé’’ : belle allure, les poches pleines pour récupérer sa famille. Sa femme, Maman, toujours amoureuse se laisse convaincre. Elle l’aime toujours, elle l’a toujours aimé.
Monsieur Zelner, le nouvel amant et professeur de langue française de Maman ne se laisse pas duper. Les deux hommes se jaugent, se soupèsent. C’est un échange caustique et bouleversant:
Papa. – Alors très froidement, Zelner, je vous regarde, et je me demande comment ma femme peut supporter une aussi complète absence d’élégance, ces lunettes aux verres sales cet embonpoint, cette barbe floue, même cette sorte particulière d’accablante gentillesse que vous avez… (p.25, éd. de Minuit, 2003)
Papa pousse le nouvel amant de sa femme vers la sortie. Ce dernier se défend vaille que vaille.
Zelner. – Nous avons des rapports sexuels hebdomadaires et satisfaisants pour l’un et pour l’autre. Je t’apprends les accords et les syntagmes, les désinences. Tout va bien. Nous avons une vie sexuelle très… (p.36)
assure-t-il pour confondre son assaillant.
Mais rien n’y fit. Maman n’est pas rancunière. Elle pardonne à Papa. Désespéré, monsieur Zelner se tourne vers les parents de Maman. Il a l’avantage d’avoir été là toutes ces années. Il a le bon profil.
Très vite le pot aux roses est découvert. Il s’avère que Papa n’avait jamais quitté la ville de Courbevoie ces dix dernières années. Il y a toujours vécu dans un local désaffecté avec une autre femme avec laquelle il a un enfant handicapé. Zelner ameute tout le monde. Les parents et tantes de Maman tentent vainement de la dissuader.
C’est là que la scène s’emballe. En effet les langues se délient enfin. La famille venue à la rescousse avait une mission bien précise : renvoyer Papa d’où il s’est ressuscité. On se rend compte que personne à part Maman n’aimait cet homme ‘‘Noir plus qu’il n’en faut’’, tous les commentaires l’accablaient.
Coup de théâtre dans cette embrouille : l’auteure lève le voile sur les motivations de Papa. Il avait épousé Maman pour se venger de tous les Blancs. Finalement blessé et défiguré par Maman, il devient une charge pour la famille qu’il a abandonnée.
La pièce pose le problème des couples mixtes, des pressions qui jalonnent leur chemin et les exigences d’un tel choix. Le regard que les parents, les amis posent sur ces couples et surtout leur appréhension de l’inconnu que représente l’autre (ici l’homme noir) qui épouse leur fille est très analysé et frise ici le racisme. Cette réaction des parents de Maman, tous contre un, indique la pression subie par Papa pendant leur mariage. Cette pression autour d’eux a fini par faire fuir cet homme.
Il est noir, très noir et pauvre. C’est le comble.
Elle est blanche, riche. Elle est l’incarnation de la réussite, du luxe, de la civilisation. Papa a certainement pensé que s’il était riche, sa noirceur se verrait moins, qu’il serait admis, toléré au milieu de ces personnes qui le jugent.
Ce qui est heureux c’est l’amour inconditionnel de cette femme blanche pour cet homme noir. J’ai trouvé cet attachement touchant et profond. Envers et contre tout, elle le soutient, le reprend et s’en occupe après l’avoir défiguré. Le professeur de français aussi m’a finalement plu pour sa tolérance et son amour pour cette femme.
Ce trio, finalement, nous invite à la tolérance et à l’amour.
Je pense qu’il y a eu incompréhension entre le couple. Cette femme aimait cet homme et ne voulait rien en retour. Mais lui, tenait sa vengeance. Cette femme allait payer pour tout le mal subi par sa race. Finalement harcelé par les regards, jugé de part et d’autre, mal aimé, il a fui son couple et revient dix années plus tard toujours dans le même dessein.
Cécile Avougnlankou
(1) Papa est le nom d’un personnage de la pièce
(2) Maman est le nom d’un autre personnage de la pièce
(3) Source photo Marie NDiaye : Wikimedia commons
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