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By Cecile Avougnlankou Posted in Cécile Avougnlankou, Nigeria, Roman on 12 décembre 2020 0 Comments
Né un mardi, l’appel du sexe
La lecture du roman Né un mardi m’a révélée la douloureuse odyssée des adolescents en prise avec l’appel du sexe. Cette découverte m’a profondément ébranlée. A propos des jeunes hommes pubères, nous sommes plus enclins à accuser qu’à réfléchir à leur tourment. Nous nous préoccupons très peu de comment les jeunes hommes vivent leur sexualité naissante. On ne s’intéresse que très peu au remuement intérieur et aux envies folles qui les submergent à l’adolescence. Nous savons pourtant par expérience qu’à cet âge le jeune homme en pleine mutation physiologique expérimente les assauts de violents désirs. Comment accueillent-ils ces états émotionnels nouveaux ? Qui les aident ? A qui en parlent-ils ? Peuvent-ils seulement en parler à qui de droit ? Dantala a peur d’en parler parce que c’est un haram.
La sexualité de Dantala s’éveille au contact de Bilal et d’Abdulkareem qui explorent ensemble leur sexualité naissance. Cette vision de deux « hommes qui se fréquentaient », qui se touchaient a réveillé ses instincts enfouis. Cette violente découverte le surprend et l’ébranle. Ce membre qui s’amplifie et se dresse tel un acier tracasse Dantala qui ne sait comment s’y prendre :
« Je me réveille avec le pénis tout dur. J’ai peur de m’allonger sur le ventre quand il est aussi dur car c’est un peu douloureux et je me demande s’il ne risque pas de se casser » p.74
Cet état réveille en lui des envies folles. Cet organe qui s’éjecte de ses gongs au moindre frôlement et qui vomit d’excitation, qui salit. Quel homme est préparé à une telle éruption ? Cette explosion de désirs, ces envies nouvelles comment les gère-t-on ? Sait-il qu’un tel ébranlement l’attend ? L’y avait-on préparé ?
« Hier j’ai pleuré, j’ai pleuré car quand Malam Abdul-Nur a posé la main sur mon épaule pour me dire qu’il aimait la façon dont je me levais toujours de bonne heure pour m’occuper de la mosquée, je l’ai senti à nouveau. Les images fugaces de ce rêve ; ces images qui me forcent à aller me réfugier dans un coin tranquille pour cacher mon érection… » p.74
Les ainés se posent-ils la question de savoir ce que ressentent les jeunes garçons à cet âge ? Les envies qui les mordillent, les désirs nouveaux qui les tenaillent comment le vivent-ils ? Qui s’en préoccupent au juste à notre époque ? D’habitude, nous nous focalisons sur la sexualité des filles. Ce sont elles qui sont vierges. Ce sont elles qui doivent le demeurer. C’est chez elles que la sexualité est un évènement. En effet c’est la fille qui, par son ventre qui s’arrondit, donne la preuve de cette activité chez le jeune homme.
Très souvent on se contente de les critiquer, quand excédés et incapables d’en parler, ils posent des actes maladroits, quand ils font comme ils peuvent pour se soulager de cette envie qui leur brûle l’âme. En commettant des erreurs comme le font les deux amis de Dantala qui sont devenus des ‘‘pédés’’ de circonstance. De même Djibril a trouvé son chemin auprès de la femme de son frère qui l’utilise pour compenser le vide créé par l’absence de son mari. Ces enfants cherchent leur chemin en ce vaste monde barricadé d’interdits. Jusqu’à ce que Elnathan JOHN nous décille par la poignante expérience de l’appel du sexe que vit Dantala, je ne savais pas (je ne suis pas homme) la douloureuse expérience sexuelle des jeunes hommes. Le témoignage de Dantala est bouleversant à ce propos.
« …j’ai vraiment essayé de me retenir, mais la sensation était forte et grondait dans mon corps comme l’eau tumultueuse d’une rivière pendant la saison de pluies. Au début, je me suis contenté de le tenir ensuite j’ai fermé les yeux et je l’ai caressé, lentement, puis plus vite, jusqu’à ce qu’un froid fiévreux me saisisse, me laissant les jambes tremblantes au point que j’ai dû me retenir au mur de la main gauche. » p.75
Voilà ce que vécut Dantala. Une expérience troublante et saisissante. On les condamne, on les traque, les parents devraient leur dire, leur montrer le chemin. Dans l’Afrique traditionnelle il y avait des initiations que les anciens donnaient aux jeunes selon les classes d’âge avant qu’ils ne deviennent des hommes. De nombreux romans africains font état de cette initiation des jeunes. Notamment Seydou Badian dans Sous l’orage, Amadou Hampâté Bâ dans son roman Amkoulel l’enfant Peulh, ainsi que Camara Laye dans L’enfant noir. En sortant de la case d’initiation les jeunes hommes savaient tout de leur corps et pouvaient vivre en paix avec les autres membres de la société. On devrait aujourd’hui aussi leur apprendre à devenir homme. On devrait leur apprendre la sexualité, on doit les prévenir, on doit leur enseigner comment s’y prendre. L’auteur dans la maladresse de Dantala devant la prostituée montre l’urgence de cet enseignement sexuel.
Or la religion accuse, condamne. Elle décrète des Haram infinis qui désorientent. Dantala prit dans l’étau de ces interdits, n’ose même pas parler de ses tourments au seul aîné Sheikh capable de le guider. Mais la religion a-t-elle appris aux jeunes ce qui doit ? Malheureusement Non. La religion interdit. Ce que nous avons bien compris par contre, c’est que les Haram ne peuvent pas grand-chose contre la violence du désir. Tant qu’il y a la vie, ces envies assailliront toujours le jeune pubère. Dantala malgré toute sa volonté a vécu douloureusement son appel à sexe. Il semble que ce soit un détour inévitable.
« … Tout en me versant l’eau sur la tête, j’ai pleuré. Et je m’en voulais d’avoir autant aimé ça. » p.75
Malgré toutes les incriminations, il a aimé cette expérience. La découverte ne lui déplait pas. C’est plus fort que lui. Il est donc temps d’envisager la question de la sexualité autrement semble suggérer l’auteur. Il est temps qu’on cesse d’accuser, de pourfendre la jeunesse, d’emprisonner des innocents. Décréter les haram par millier ne suffit plus. Il faut dire clairement la vie aux jeunes, il faut oser dire l’expérience afin que les adolescents grandissent dans l’harmonie et le respect des autres.
Elnathan John, éd. Ifrikiya, Collection Kalahari (2019)
Cécile AVOUGNLANKOU
– Source photo Elnathan John –
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