Ndaté Yalla Mbodj
Une reine sénégalaise au temps des invasions européennes
Sylvia Serbin, ed. MeduNeter, 2021
Il y a trois ans, j’ai rédigé un article sur l’ouvrage Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire pour mon blog littéraire Chez Gangoueus. Un essai majeur dans lequel Sylvia Serbin brossait des portraits magnifiques de femmes qui ont marqué l’histoire et offrait aux lecteurs une description d’un leadership ignoré.
Parmi les femmes de cet ouvrage, il y a Ndaté Yalla Mbodj, la reine du Walo, un royaume au nord de l’actuel territoire du Sénégal. Sylvia Serbin a choisi de revenir sur sa trajectoire dans le cadre d’un livre illustré, accessible dès l’âge de 11 ans. J’ai reçu cet ouvrage et je l’ai lu avec beaucoup d’intérêt. L’auteure afro-antillaise fournit à la fois un travail extrêmement précis sur le plan historique tout en ayant une qualité de narration exceptionnelle. Ce fut également le cas lors de ma précédente lecture.
Dans un premier temps, Sylvia Serbin va nous parler de ces invasions européennes, en particulier sur la côte sénégalaise. Le livre raconte d’abord l’expérience de la traite négrière et celle de la déportation de nombreux captifs vers les côtes américaines. Elle décrit de manière méthodique le commerce triangulaire entre les armateurs européens, les chefs coutumiers africains et les colons d’outre-Atlantique. Elle se focalise sur des portraits d’esclaves qui ont participé à nourrir les slave narratives comme la poétesse Phillis Wheatley, initiée par ses maîtres à l’écriture et à la lecture. Elle décrit d’autres trajectoires étonnantes et douloureuses comme celle du prince Abdulrahman Ibrahima Sori, capturé alors qu’il menait une troupe militaire sur son territoire. Ancien étudiant de l’université de Tombouctou, cette autorité d’un territoire correspondant en partie au Foutah Djallon va se retrouver en Amérique du nord. Il ne retrouvera sa liberté que lorsqu’il aura réussi à faire parvenir un courrier écrit en langue arabe à une autorité musulmane, histoire qui a dû inspirer le livre 12 years, a slave. Sylvia Serbin permet au lecteur de se saisir de cette triste réalité qui a frappé d’autres captifs qui atteignirent les côtes américaines, vivants.
Cette phase du texte est utilisée pour décrire avec beaucoup de détails, le temps de la déportation, les résistances, la vente et l’exploitation de ces corps. C’est aussi le processus de justification de cette exploitation qui est décrit. La traite négrière est extrêmement fructueuse pour le développement de la puissance européenne et à son rayonnement.
Bon, ces choses sont connues pour beaucoup et dans le fond, c’est la manière avec laquelle Sylvia Serbin les rapporte qui me semble intéressante, surtout pour un livre qui vise un public jeune. A partir de 11 ans. Justement. Je me suis posé la question de savoir si c’est un livre que j’offrirai aux enfants autour de moi. Le fait que je me pose la question est intéressant. Mon point de vue est qu’il faut qu’un tel livre soit présent dans une bibliothèque de famille. Mais je pense qu’il faut que l’adolescent l’aborde parce qu’il cherche des informations sur les sujets de la Traite négrière, sur l’esclavage et la colonisation. Je m’explique. La première partie de ce livre est dans le fond très douloureuse. Les trois volets du rapport de l’Occident avec certaines populations africaines sont difficiles à encaisser pour un pré-adolescent, si la lecture est imposée.
La deuxième partie est engageante, puisqu’elle met en scène la narration de la résistance orchestrée par Ndaté Yalla Mbodj suivie par celle de son fils Sydia. L’écrivaine met d’abord en scène un premier acte, celui de la bravoure des femmes de Nder contraintes par les agressions des Maures venus du Nord, elles préfèreront la mort à la captivité. Et c’est une nuance, pour ce qui concerne cette région de l’actuel Sénégal, pris quelques années plus tard, en tenailles par l’avancée depuis Saint-Louis de Faidherbe et les attaques des Maures. Ndaté Yalla Mbodj finira par jouer d’alliance pour faire front à Faidherbe. Je ne peux m’empêcher de penser à l’hommage toujours marqué du Sénégal à Faidherbe à Saint-Louis et l’absence de traces significatives pour celle qui lui a résisté. Terrible paradoxe.
Il ne faut pas mal interpréter cette lecture très riche, très instructive d’un livre de jeunesse remarquablement illustré par Adrien Folly-Notsron. Il n’y a rien à redire sur le sens de la narration de Sylvia Serbin. Juste une question : comment un enfant aborde la première phase et construit-il son imaginaire avec cette faillite collective africaine ? Par contre, pour répondre aux questions engagées d’un jeune adolescent, c’est un outil pédagogique nécessaire dans une bibliothèque familiale.
Gangoueus
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Merveilleusement bien 🤭