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Qu’est-il arrivé à Yârie Yansané ? - Tierno Monénembo (2022).
Yârie Yansané raconte sa mésaventure à Conakry dans une violence qui conduira vers la folie
By Amy SIDIBE Posted in Guinée, Mélissa Sidibé, Théâtre on 22 mars 2024 0 Comments
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Qu’est-il arrivé à Yârie Yansané ?
Tierno Monénembo (2022)
Editions Ganndal, 2022

         Yârie Yansané veut recolorer le monde, elle a pour dieu Picasso. 

Yârie Yansané veut parler de Conakry, elle veut tout dire de cette ville en particulier, mais elle finira par en dire plus sur l’Afrique en général. Sa jeunesse est confrontée à la violence d’exister. Dans cette capitale africaine qu’est Conakry où le brouhaha des mouvements humains renferme les préoccupations d’un quotidien incertain, Yârie Yansané a la double douleur de lutter pour sa liberté.

Une pièce réaliste dans laquelle la violence et le sarcasme se côtoient et forment une atmosphère de folie. La douleur se traduit par le cynisme de la situation du personnage sur fond de délire. Yârie Yansané est une jeune femme qui vit à Conakry avec sa famille, avec des parents à cheval entre l’enseignement des traditions et le respect des règles de la communauté dans laquelle ils évoluent. Sa vie a été marquée par plusieurs passages douloureux. 

Mais que lui est-il arrivé ?

         D’abord, l’apparition de ses menstrues à la préadolescence a provoqué une anxiété inexpliquée auprès de sa famille. Elle devient une femme, donc une source de beaucoup d’interdits. 

         Un viol ! Elle est violée par Karamoko Lamarana. Cet homme est son maître coranique. Ses parents ont confié l’éducation religieuse (la meilleure selon eux), voire humaine, de leur fille à cet « homme religieux » en qui ils avaient une totale confiance. Ce viol subi par Yârie Yansané rappelle la méfiance que bon nombre de jeunes subsahariens ont aujourd’hui vis-à-vis de ces enseignants coraniques en Afrique de l’Ouest. Dans la sous-région certains récits attribuent aux Karamôgô (marabouts) de nombreux viols et des grossesses non assumés. La peur et le tabou qui règnent autour de ce sujet aggravent la situation. Comme pour « tout dire » Tierno Monénembo n’hésite pas à dénoncer chacun des maux que traîne la Guinée en particulier, l’Afrique en général. Car il faut reconnaître que ces villes africaines se ressemblent toutes du point de vue de leurs problèmes socioculturels.

C’est une pièce de théâtre aux codes d’écriture différents, comme un théâtre-récit, une forme dramaturgique simple, dans laquelle Yârie Yansané est venue raconter une histoire. Elle soliloque dans un seul acte, sans aucune transition entre les scènes dans lesquelles nous pouvons ressentir sa soif de parole. Tout comme une conteuse, Yârie Yansané mobilise les moyens, physiques, spatio-temporels de l’action, pour rappeler la présence de l’oralité dans l’écriture de ce texte dense.

         Ensuite, un mariage précoce et forcé, couronné par une grossesse non désirée. Yârie Yansané est donnée en mariage à Môdy Big boss, dont elle dit qu’il pue le rat mort. Elle contractera une grossesse, qu’elle qualifiera de tumeur. À la naissance de sa fille ou, disons, de la « la poupée de cire » comme elle l’appelle, Yârie Yansané ne veut pas la garder, d’un grand sang-froid elle sort de sa chambre d’hôpital, monte au sixième étage et laisse tomber le bébé par-dessus le balcon. Quel drame au sein de cette famille qui a toujours été dans les normes de sa société ! Yârie Yansané déconstruit le mythe d’une maternité normée en Afrique qui est que toutes les mères aiment naturellement leurs progénitures, quelle que soit la condition de leurs conceptions. Le personnage dans la pièce est une mère infanticide. Son geste est considéré comme « monstrueux » au sens propre, c’est-à-dire « contre-nature ». C’est contre nature parce qu’il est inexplicable qu’une personne puisse avoir l’idée de faire du mal à un enfant, étant donné qu’un enfant est l’incarnation de l’innocence, de la vulnérabilité à laquelle il est lâche de s’attaquer. Et comble du monstrueux, celle qui dans ce cas présent blesse l’enfant est sa mère. L’infanticide maternel soulève aussi le tabou de la violence féminine, du crime commis par des femmes, dans des sociétés où l’on considère que les hommes ont plutôt le monopole de la violence. Faire témoigner Yârie Yansané, adolescente violée, mariée de force, mère insuffisamment aimante, revient à questionner le tabou de la figure de la « mauvaise mère », source d’angoisse et d’inquiétudes.

Certaines femmes telles que Annie Ernaux (L’évènement, Gallimard « NRF », 2000) ou Jamaïca Kincaid (Voyons voir, l’Olivier, 2016) ont écrit cet interdit de la maternité dans leurs œuvres. Monénembo assume en tant qu’homme de construire un discours sur le désamour maternel raconté à la première personne, sujet qui est rarement évoqué par les auteurs noirs africains. C’est l’engagement scriptural de l’auteur à travers les faits du récit qui nous emmène à ce constat et à ces interprétations du récit. La responsabilité qui est la sienne est de dire la trajectoire et les conséquences d’un mauvais départ dans ce qu’implique d’être une femme africaine en Afrique.

Ainsi, Yârie Yansané est l’image d’une adolescence volée par les viols, les mariages forcés, les grossesses non désirées et le mirage de l’aventure, la violence et la douleur sont le lot de sa vie. Elle incarne la jeunesse talentueuse, débordante de créativité, une jeunesse privée de sa liberté d’étudier et d’avoir le choix de son parcours de vie. La folie aura raison de Yârie sur le chemin du combat.

         Par ailleurs, la qualité linguistique du texte est surprenante, mais pas tant que cela lorsqu’on connait le génie qu’il y a derrière la plume de Tierno Monénembo. Comme le dirait Olivier Favier, l’auteur a trouvé la bonne histoire et la bonne manière de la raconter.

 

Mélissa Sidibé

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