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Mboudjak, les aventures du chien philosophe
Patrice Nganang, Editions Teham, à paraître en janvier 2022
Je suis en train de finir un des deux livres de Patrice Nganang, son coup double, qui sortira en janvier 2022. J’ai commencé par Mboudjak, sous-titré Les aventures d’un chien philosophe, Patrice Nganang a également demandé à son éditeur, Teham Editions, d’ajouter « concierge de la république » après son nom.
Le deuxième qui attend sur ma pile de chevet c’est Premier président noir de France, chez le même éditeur Teham, vous voyez qu’il ne lâche rien.
Patrice Nganang est mon ami, pas un ami de copinages ou de futilités, un ami intellectuel, je vais essayer de vous expliquer pourquoi son cerveau me semble l’un des plus intéressants parmi ceux présents en ce monde en ce moment, un vrai intellectuel, par opposition à tous les faux, son cerveau est debout, agissant, structuré et stratégique, il réfléchit et il sait où il va.
Ma définition de l’intellectuel, qui vaut ce qu’elle vaut, c’est quelqu’un qui résiste à toutes les pressions. Un intellectuel c’est une parole engagée qui change quelque chose. Le livre de Patrice Nganang, Mboudjak, est à mon sens un chef-d’œuvre. L’intellectuel sait ce qu’il fait, il écrit pour son peuple, les Camerounais, il utilise dans son livre le mélange des langues qui circulent dans un quartier de Yaoundé. Le centre du livre c’est une cour de Yaoundé, et c’est pour elles et eux qu’il écrit, il n’est ni courbé par le racisme ni par la francophonie, il est debout et il avance.
Il choisit un chien pour narrateur et là encore il sait ce qu’il fait, c’est vu au ras des pâquerettes, nez au sol, avec pour guide la truffe d’un chien, il observe ces gens sans complaisance mais sans jugement, tels qu’ils sont et, à partir de ce centre, montre les problèmes structurels du Cameroun et la tragédie tue, de taire, qu’il cache : le génocide des anglophones dans l’ouest du pays.
Aucune langue n’est traduite dans son livre. Il laisse le lecteur libre avec son ressenti face aux différentes langues : incompréhension ? mépris ? c’est à vous de voir. Une grande place est faite au pidgin, créole anglophone, et il laisse la lectrice ou le lecteur face à cette langue voix de l’oppression, qui va se demander si c’est bien une langue, qui si ça dit quelque chose, qui si ce sont des êtres-humains qui parlent comme ça, ce que le lecteur ressent est plus intéressant qu’une traduction, la langue des génocidés dit la tristesse et le désespoir, mais vous, que lisez-vous ?
A la fin du livre vous aurez lu quelques lignes en pidgin, ça vous aura changé, vous aurez souffert un peu en pidgin, vous serez un peu ambazonienne ou ambazonien, elles et ils se sentiront ainsi peut-être un peu moins seul·e·s.
Le personnage central selon moi est une jeune fille en situation de handicap, entre trauma de guerre et carence structurelle, même son pidgin est incompréhensible, elle mugit, Nganang en fait un personnage comique qui titille notre compassion, entre oser rire et avoir le courage de la pitié, entre se moquer avec compassion ou se moquer avec mépris et indifférence, rire avec bon cœur ou rire le cœur froid, Nganang laisse ici encore la lectrice ou le lecteur faire son choix. Qu’est-ce qu’éveille en nous ces mugissements ? Qu’éveille en nous le fait que la petite tète encore sa mère à treize ans pour calmer ses crises ?
Ce livre est le prolongement de Temps de chien, publié il y a vingt ans, dans lequel Nganang s’intéressait déjà aux petites lignes, il s’est depuis beaucoup intéressé aux grandes lignes, les lignes historiques, les grandes tendances politiques, mais les petites lignes disent la même chose et vont dans le même sens, les petites lignes ne sont qu’une autre approche, un autre angle, au ras du sol, à l’échelle des individus d’une cour dans un quartier, les deux disent la même chose, mais là Patrice Nganang veut parler à son peuple, c’est une lettre d’amour à son peuple, incroyable tout l’amour qu’il y a dans un intellectuel, c’est ça le paradoxe, un intellectuel sans amour c’est une flaque grise qu’on renifle avec dédain, là dans son livre il veut leur parler, il s’adresse à elles et à eux, au centre de la cour, avec la sonnerie de téléphone qui joue la marseillaise, c’est un chef d’œuvre je vous dis.
Patrice Nganang met la politique camerounaise sur la table, le vieux dictateur, les intérêts pétroliers de la France ou plutôt des intérêts privés qu’elle, la France, se déshonore à défendre et cacher, en soutenant un vieux dictateur ridicule, il met sur la table ce déshonneur français de se mouiller dans un génocide pour du fric, de se déshonorer comme au Rwanda pour des intérêts à court terme, pour un intérêt mal compris, mais il montre surtout les Camerounaises et les Camerounais dans ce contexte, avec leurs lâchetés et leurs bassesses, et parfois leur courage et leur héroïsme, toujours il y a aura une résistance face à la dégueulasserie, face à l’injustice, face à la cruauté, et toujours tôt ou tard cette résistance sera victorieuse, c’est de ça dont est le fer de lance un intellectuel, c’est à ça que sert le Concierge de la république, à faire le ménage, à mettre en mots les saloperies qui entraînent dans le déshonneur, la haine de soi, le mépris de soi, ce qui plonge dans la corruption, dans la laideur, ce qui souille comme souille une prison.
C’est Mboudjak qui va chercher les Camerounaises et les Camerounais de son museau, qui les pousse, les oblige à regarder, le chien c’est la hauteur la plus basse, là où le mépris retombe, là où la grande histoire retombe, dans les sous-quartiers de la sous région, et Nganang ce faisant réinvente une littérature populaire, actualise le sens même de la littérature, à l’heure des smartphones et des réseaux sociaux, Mboudjak tisse le réseau des consciences camerounaises, aiguise la curiosité, saine ou malsaine, mais donne envie au Cameroun de se chercher, une littérature qui va chercher le lecteur, à l’heure d’internet, vous voyez si le gars ne plaisante pas.
Mais surtout ce qui me plaît c’est que c’est généreux, il fait tout ça par amour je vous dis, il n’y a rien à y gagner, que des emmerdes, des emprisonnements – et que dieu le protège de toutes les malfaisances des diables qui profitent de tout ce malheur du Cameroun -, un intellectuel est toujours du côté des victimes, toujours du côté des opprimés, toujours du côté des minorités et de celles et ceux qui souffrent, c’est en cela que Patrice Nganang est mon ami et est un grand intellectuel.
Je vous incite grandement à le lire, la littérature de 2022 c’est ça, c’est là, vous pouvez commander les deux titres de son coup double ici :
http://www.tehameditions.com/-coup-double-mboudjak…
ou seulement Mboudjak en pré-commande ici :
http://www.tehameditions.com/patrice-nganang-mboudjak…
passer à côté de Patrice Nganang et de son Mboudjak serait rater un des grands cerveaux du 21ème siècle, un de ceux qui comptent et qui ne sont pas si nombreux, ce serait faire partie des jaloux, de celles ou ceux qui par jalousie ne veulent pas que les choses avancent, Nganang est une des têtes les plus dures présentes en ce moment sur cette planète, c’est notre richesse à toutes et à tous, il faut le soutenir, et avancer, nous n’avons pas le droit au désespoir ou au renoncement, la jeunesse nous demande de laisser entrer la lumière, c’est possible, lisez Nganang.
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