L’écopoétique, modalité d’une écriture de l’exil en poésie gabonaise
Dans ce premier volet introductif à la poésie gabonaise en exil, je me penche sur l’œuvre L’Énigme des ruines de Stève Wilifrid Mounguengui. Au-delà du vif intérêt pour cette œuvre qui se signale par sa profondeur et sa tempérance méditative, je fais le choix aussi d’y lire un long continuum qui fait du poète gabonais, un auteur sensible et préoccupé par l’angoissante énigme du devenir du vivant. Ce que je formule est bien évidemment une observation et donc une hypothèse à consolider, à enrichir surtout. Quoiqu’il en soit, il me paraît évident qu’il n’est pas possible de lire la poésie gabonaise sans se référer au rapport qu’entretiennent ses auteurs avec les éléments naturels. La forêt gabonaise par exemple est pour Georges Rawiri la plus riche au point qu’il soit utile de l’enseigner ou de le rappeler « À un petit Gabonais ». Chez Ndouna Dépénaud, observer une feuille morte emportée dans sa dégringolade devant sa case est un spectacle émouvant tout comme écouter une mésange chanter. Pour Pierre Claver Akendengue, la forêt n’est autre qu’un « livre » de connaissances « qui se donne à toi », ou encore ce « sursaut vital ». Pour Richard Moubouyi, le Gabonais entretiendrait un rapport mystique avec l’abondante hydrographie qu’il a domptée « Au rythme des pagaies ».
De ces hymnes et correspondances à la nature il se dégage deux orientations majeures : dessiner et magnifier d’une part, les contours du terroir en vue de forger un noble sentiment d’appartenance dans la conscience nationale en formation et l’exigence, d’autre part, d’une vie humaine en symbiose avec la nature.
Cette portée et cette préoccupation écologiques en poésie qu’on nommera écopoétique, sans nécessairement être original, est encore observable chez les auteurs actuels de la diaspora. Mais ces derniers apportent au thème, d’autres registres, d’autres nuances ou, disons-le, d’autres métaphores. C’est le cas de l’œuvre L’Énigme des ruines.
L’on serait bien tenté de parler de renouveau littéraire, ce qui paraîtrait à la fois banal et chargé du poids de la responsabilité. L’on parlerait volontiers aussi d’un poète en devenir ce qui laisserait penser que l’auteur est jeune au sens novice du terme. Ainsi que nous l’énoncions dans une chronique, la série de propositions négatives sur le genre de la poésie dans le microcosme littéraire gabonais avait davantage radicalisé notre posture face à une sorte de mépris du genre qui trouve essentiellement sa justification dans le rapport mercantile que les acteurs de la culture en général et du livre en particulier subissent et/ou alimentent. À cela s’ajoute un abord léger à l’égard du genre doublé d’une volonté de faire passer son dédain pour vérité généralement acquise.
Loin de nous radicaliser davantage, la lecture du recueil L’Énigme des ruines vient au contraire nous rassurer, voire nous apaiser. Le regard subjectif du poète sur un environnement ne manque cependant pas de convoquer un univers objectif. La ruine s’envisage tout à la fois comme motif de l’époque, comme lieu de pèlerinage ascétique, mais aussi comme miroir de la terre d’origine. Et surtout les ruines comme métaphore d’un itinéraire exilique qui fait le constat d’une impasse de laquelle l’on est incité à sortir.
Ce n’est guère une piètre impression de situer ce recueil « à mi-chemin entre le carnet de voyage et le journal intime » tant on lit un poète qui se donne du répit. Mais ce répit est un champ de ruines, un silence de ruines d’où émerge néanmoins une beauté qui naît d’une certaine mystique du regard, car, précisément, « les ruines charment jusqu’au vertige dès qu’elles se donnent au regard » (p. 9). Mais quoi de mieux que ce monde apocalyptique pour susciter une énergie créatrice : « Je n’écris qu’en immersion dans une forme de chaos » (p. 9), prévient le poète. Écrire serait donc ériger du neuf à partir des ruines sinon faire émerger de celles-ci le Beau qui échappe au regard distrait. À la lecture du recueil, l’on perçoit un poète seul. Solitude méditative, solitude ascétique : de quoi prendre conscience de soi et plus largement de son devenir dans un monde ruiné, mais potentiellement à renaître ou du moins à rebâtir.
Alors, comment renaître, sinon comment avancer? Ici, la mémoire est la première alliée. Et dans cette mémoire surgit le pays natal. Celui-ci est lointain, voire furtif. Il n’en est pas moins le socle et partant l’enracinement de cette mélancolie méditative, parce qu’en quelque sorte, « Écrire un poème, c’est longer un songe qui s’ouvre dans le sommeil de l’enfance » (p. 14). Son patronyme le dissimulera difficilement. Le poète est originaire du Gabon. Un pays dont l’actualité est rarement reluisante selon qu’il s’agisse notamment de politique ou de société. Aussi la retraite poétique ariégeoise n’est pas qu’une rencontre où le poète devise avec le silence des ruines. Dans ce dialogue silencieux, il s’agit peut-être aussi d’une analogie du pays lointain et surtout la figuration d’un monde dont la ruine ou la finitude en est la donnée première.
Entre lyrisme contemplatif et méditatif, le recueil est traversé par une écriture bucolique, limpide, inspirée. À l’instar d’une fiction post apocalyptique de type Le Livre d’Eli, le poète tire enseignements des prétentions humaines et autres enfermements idéologiques ayant engendré le déclin. Aussi faut-il au poète nier toutes ces vantardises humaines et reconnaître qu’en réalité il n’est désormais « qu’un être fragile qui marche dans un monde friable » (p. 63). Une telle prise de conscience renvoie par ailleurs à la condition des ruines comme témoignage d’une dualité totalisante : la force et la vanité de l’homme ; les ruines comme splendeurs brisent parfois le silence et font correspondre la voix de la nature aux délicieuses chatteries d’une idylle : « le ruisseau chuchote comme une amoureuse vous effleure » (p. 16). Porteur de nouvelles pour le lendemain, le poète délivre la prophétie des ruines : « Il faudra garder les mains ouvertes pour les jours où la lumière pleut » (p. 30). Cette profession de foi s’appuie sur une expérience des chemins empruntés à perte de vie, à perte de vue, enjambés avec perte et fracas comme un exode, comme un pèlerinage, la mystique de l’exil : « Les calvaires au bord des routes ont fait de nos voyages une religion » (p. 34). La foi en la nature doit donc éviter à l’humain le monumental cul-de-sac vers lequel le mènent sa quête du bonheur et son tyrannique désir de totipotence. De même, prendre conscience du Vivant de manière générale c’est aussi la conversation avec la pierraille recouverte de mousse, avec le ruisseau chantonnant; c’est venir rappeler aux séparatismes rampants leur évanescence programmée. Pour ainsi dire, les ruines c’est aussi la possibilité de la régénérescence à travers le souvenir du lieu des origines couplé à une « orientation éthique » (Fanon). Car précisément, « Les pierres ne demandent pas d’où l’on vient/ Elles attendent l’amour qui les élève » (p. 27). Celle-ci semble se dessiner à travers le sourd dialogue que le poète entretient avec une présence absente. Sans doute une dulcinée, ou un être secrètement désiré.
Si elles sont porteuses d’une énigme, c’est que les ruines sont un puissant enseignement. Et celui-ci tient à une invite fondamentale, à un rapport au monde qui envisage non plus l’humain, mais le vivant (animaux, végétaux, minéraux et minerais, etc.). Et si le poète se réclame « diseur de ruines » (p. 19), c’est qu’il s’établit entre lui et la nature un rapport osmique avec le minéral au point d’en être l’interlocuteur privilégié. En somme, à l’instar de ses illustres devanciers, S-W Mounguengui s’inscrit dans un rapport singulier avec la nature comme si, même loin de ses terres originelles, le principe d’une vie harmonieuse avec la nature s’impose avec autant d’évidence qu’une conscience écopoétique fondamentalement gabonaise, voire nègre.
L’énigme des ruines – Steve Wilifrid Mounguengui
Ed. La Kainfristanaise, première parution en 2021
LPG Bounguili.
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