Cinq petits bijoux de nouvelles africaines écrites par « l’enfant de la maison » et offertes en période de pandémie Covid19
Karen Ferreira-Meyers
Je ne sais pas comment vous vous sentez, mais personnellement je lis beaucoup plus de nouvelles pendant cette pandémie du Covid19 que de textes plus longs et ce sont exactement ces lectures qui m’ont donné l’opportunité d’apprécier la nouvelle comme forme littéraire. Et puis la joie de découvrir un auteur camerounais nouvellement arrivé sur la scène littéraire, Moone Nda’a, un pseudonyme signifiant « l’enfant de la communauté Nda’a, l’enfant de la maison ».
Dans La Révolte de Mbazoua et d’autres nouvelles, publié en 2020 par les éditions Ifrikiya (Yaoundé, Cameroun), l’auteur Moone Nda’a a rassemblé cinq nouvelles, intitulées « L’aventure de Tatissong ou la fin du mirage américain » (25 pages), « La révolte de Mbazoua » (11 pages), « Agnès ou les frissons des rues de Maritzburg » (9 pages), « La bataille des vignes du Koupé-Manengouba » (5 pages), « L’histoire de Virginie Kouémi » (23 pages) et un petit glossaire d’une page (des expressions camerounaises).
L’auteur, vraisemblablement assez nouveau sur la scène littéraire internationale (je n’ai absolument rien trouvé sur Google ou d’autres moteurs de recherche), a soigneusement écrit l’histoire de l’arrivée d’un couple camerounais qui, avec leur fils, arrivent dans la ville de Philadelphie aux Etats-Unis en provenance de Yaoundé, la capitale du Cameroun, en passant par Paris. Leur arrivée est rude, car les cousins qui avaient promis de les accueillir vers 14h ne s’étaient montrés que beaucoup plus tard, à 22h. Le long voyage et l’accueil peu chaleureux, ainsi que le logement rudimentaire qu’on avait préparés pour eux se terminent par un rêve : le narrateur et personnage principal Tatissong se retrouve dans son passé, en tant que doctorant, décrit comme « rêveur » et « surréaliste » (p. 12-13), vacataire de l’enseignement supérieur et jeune marié. La vie était difficile et le couple décide alors de s’essayer à la loterie américaine. En attendant le résultat de la loterie, une bonne nouvelle arrive : le statut de vacataire de Tatissong se mue en statut d’enseignant universitaire à temps complet. Voici le conseil qu’il reçoit d’un professeur aîné :
« ne crois pas que le milieu universitaire est un fleuve tranquille. Pour cela, j’ai deux conseils à te prodiguer. Outre les obligations d’enseignement, de recherche et d’évaluation liées à ton nouveau statut, tu devras éviter de te retrouver mêlé aux problèmes de trafic de notes et aux intrigues sexuelles avec les étudiantes. Tu connais l’histoire de Mbazoua et du collègue Ndingo ! » (p. 19)
(belle trouvaille de l’auteur, en annonçant ici l’histoire de Mbazoua, il renvoie à une de ses autres nouvelles dans le même volume – le lecteur veut maintenant connaître cette histoire et cette nouvelle aussi). Après quelques années heureuses (leur fils naît, les deux diplômés trouvent du travail dans leur domaine de spécialité) dans le nord du Cameroun, ils apprennent qu’ils ont gagné la loterie américaine et une décision doit être prise, à savoir s’ils vont oui ou non se déraciner pour aller vivre avec les autres Mbenguistes. L’histoire se termine par un « retour en terre natale » (p. 33) car les rêves, malheureusement, se sont tournés en cauchemars en terre étrangère. Cette nouvelle me rappelle le très beau roman de la Camerounaise Imbolo Mbue, Behold the Dreamers, publié en 2016.
Quelle est la révolte de Mbazoua ? C’est dans la deuxième nouvelle de cet ouvrage que le lecteur l’apprend. L’étudiante Mbazoua, âgée de 23 ans, décide, après maints viols et autres harcèlements sexuels de la part de ses professeurs (eh oui, il y en avait eu plusieurs, depuis sa première année à l’université), de se venger :
« les ongles biens serrés sur les deux noisettes du pauvre malappris » (p. 36).
La description de la jeune femme permet au lecteur de se faire une vision claire d’elle : attrayante, pulpeuse, mais aussi humble, simple, sympathique, sobre, et, surtout, semblable à beaucoup d’étudiantes avant elle et sûrement après elles, victimes d’harcèlement sexuel dans le monde universitaire, « à la merci de certains professeurs friands de sexe qui, sans élégance ni courtoisie, abusaient d’elles, toujours avec la seule et même épée de Damoclès : l’échec, les mauvaises notes » (p. 39-40) . Le lecteur, en lisant l’histoire de Mbazoua est comme « pris au piège des intrigues dérivées d’une histoire comme on est fait prisonnier d’une mangrove, d’un sable mouvant » (p. 38), et pour comprendre ce qui se passe (et s’en sortir vivant) il faut lire, patienter et prendre le temps de s’immiscer dans l’ambiance d’une université africaine, en l’occurrence camerounaise.
Dans la troisième nouvelle, d’ambiance kafkaesque, intitulée « Agnès ou les frissons des rues de Maritzburg », on se déplace dans l’Afrique du Sud post-apartheid, à Pietermaritzburg, ville universitaire moyenne. Le narrateur nous raconte l’histoire d’Agnès qui, le coeur empli de la folle espérance que Mandela avait inspirée à tant d’Africains » (p. 49), hallucine en rentrant d’une soirée chez des amis : elle voit « Roger, une sorte d’écrivain amateur » (p. 50), sorti de la plume de l’écrivain. Il s’agit ici d’une mise en abîme intelligente de la part de l’auteur-narrateur-personnage (non principal, mais important) – s’agirait-il ici d’une nouvelle autofictionnelle ? La mémoire et la force des mots, de l’encre sont au centre de ce récit troublant, entre réalité et fictionnalité, qui donne des frissons, non seulement à Agnès, mais à nous, lecteurs, aussi. Outre les problèmes de l’Afrique du Sud post-apartheid (la violence, les agressions, la peur, le fait de ne pas pouvoir rentrer le soir après la tombée de la nuit en tant que femme), des questions scripturales importantes se posent dans cette nouvelle :
« Je me dis qu’il fallait vraiment être fou pour jouer les écrivains. Je lui dis même qu’il devait être bien fou de me prendre pour un personnage. Que j’avais bien un nom. Que je pouvais d’ailleurs prendre n’importe quel nom » (p. 54).
Dans « La bataille des vignes du Koupé-Manengouba », la quatrième nouvelle, le lecteur est transporté dans une situation de guerre, trois rebelles-résistants se trouvant face à face de quelques soldats à qui on a ordonné de les capter vivants. Mais dans les opposants-ennemis, il y a aussi des camarades-amis de longue date (de la terminale et de l’université). Et c’est cette découverte qui permet alors un questionnement politique, historique, social et philosophique : qu’est-ce que la vie, la mort, l’amitié, et une conclusion : la parole, parler, discuter, remémorer, tout cela est nécessaire pour vivre en paix.
La dernière nouvelle, « L’histoire de Virginie Kouémi », raconte l’histoire de Virginie, primipare, qui avait quitté son petit ami Grégoire parce qu’il ne voulait pas qu’elle garde l’enfant dès qu’il la savait enceinte. Heureusement elle a l’appui de sa mère, une femme forte pendant le début de sa grossesse. On comprend alors sa détresse lorsque sa maman meurt, soudainement, meurt pendant le troisième mois et Virginie doit affronter le reste de sa grossesse ainsi que l’accouchement presque toute seule (sa tante l’accompagne à l’hôpital). A l’hôpital les infirmières ne sont pas du tout gentilles :
« Jamais elles ne se croyaient obligées de manifester la moindre bienveillance envers les patients qu’elles se permettaient de traiter de tous les noms d’oiseaux » (p. 74).
Virginie accouche d’un « gros garçon » (p. 77) qui est immédiatement emmené. Quelques instants plus tard on lui remet une petite fille morte en disant que c’est son enfant. Elle ne reverra jamais son enfant. Elle ne saura jamais ce qui s’est passé avec son bébé, ce petit garçon au trait de naissance à l’épaule droite, comme sa maman. Le lecteur attentif saura où se trouve le bébé. Etes-vous un lecteur attentif ? Voilà le défi.
En gros, il s’agit ici d’un bel ensemble de nouvelles ancrées dans la réalité africaine, camerounaise en particulier. Elles sont soignées, bien éditées (il reste quelques petites coquilles comme « sur la baquette arrière » (p. 49), « Comment est ce possible ? » (p. 50), « L’Afrique du sud reste l’Afrique du sud » (p. 52), « à grand peine » (p. 64), « Elle avait tout comprit » (p. 64)), elles se lisent bien, on rit, on s’attriste, on se met dans la peau de certains personnages, tout ce à quoi on s’attend en lisant (surtout en période de pandémie). Il est à espérer que cet auteur nouveau-né continuera son parcours d’écrivain car il y a dans son écriture un potentiel plein pour creuser les thèmes post-coloniaux et postmodernes déjà entamés ici : la diaspora africaine, les rêves et les déceptions, la position et les batailles quotidiennes des femmes, le secteur de la santé, l’histoire et la guerre, …
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