Quelle est la recette parfaite pour raconter une bonne histoire ? Surtout lorsque cette dernière est une commande brutale d’une bonne amie dont vous n’avez pas eu de nouvelles depuis belle lurette et qui s’autorise à réapparaître dans votre vie avec des exigences de princesse ?
C’est de cette manière, quelque peu surréaliste, que débute ce roman. La narratrice est une écrivaine basée à Paris. Elle s’exprime à la première personne du singulier. Elle a fait partie d’un groupe de cinq adolescentes martiniquaises qu’elle a perdues de vue après les années fac. Pour être précis, la narratrice a été exclue de ce cercle à cette période de bascule de leurs vies respectives, sans réellement connaître les raisons de cette mise à l’écart. La réapparition de sa bonne amie Madeleine Démétrius, fait donc remonter de nombreux souvenirs. Près de la place Saint Michel, dans le cadre d’un rendez-vous organisé à l’insu du mari de Madeleine, elles échangent. Madeleine parle, fournit quelques bribes de certains épisodes de sa vie et surtout de sa jeunesse qui semblent avoir un impact sur sa vie bien rangée de bourgeoise. L’écrivaine ne refuse pas le projet que son ancienne amie lui soumet, à savoir écrire un roman sur son histoire. Parmi les éléments que Madeleine transmet, il y a un triangle ambigu qu’elle a constitué, du temps de l’adolescence, avec une copine de collège et un militaire. Deux jeunes filles, un homme d’âge mûr, une relation complexe où, Madeleine, est cependant tenue à distance… Et la narratrice qui doit comprendre l’histoire, la reconstituer et imaginer le pourquoi de la requête de Madeleine et ses incidences, aujourd’hui…
Alors que j’avançais dans ma lecture de ce beau roman, il est un point que je me devais d’aborder dans mon analyse : « Peut-on être un bon écrivain et une parfaite poire ? ». Il y a un point sur lequel j’ai calé, à savoir l’apparente fragilité de l’écrivaine.
« L’urgence dans la voix de Madeleine a failli me faire obtempérer. Je suis d’un naturel obéissant, sensible aux impératifs d’autrui. On me dit ‘tout de suite’, j’accours ». (p.10, éd. Gallimard, collection Continents noirs).
C’est un des premiers axes de ce roman qui annonce l’histoire de Madeleine Démétrius mais qui situe avant tout la narratrice, son contexte d’écriture, ses fêlures, son histoire personnelle, sa stratégie pour atteindre l’objectif imposé par Madeleine. Comment écrit-on une bonne histoire quand on a si peu d’éléments ? Justement, la fiction peut s’exprimer. Elle a observé Madeleine scrupuleusement lors de cette rencontre près de la place Saint-Michel. Les mots de Madeleine se délient naturellement en français, d’abord, avant de s’employer avec force en créole, par la suite, accompagnés le corps… Bonne poire ? Oui. La narratrice écrit d’habitude de la chicklit. Elle est la mère de deux filles sur lesquelles, elle n’a pas de prise réelle, même si elle leur apporte un cadre de vie satisfaisant. Deux filles, deux pères… Une relation magnifique entre ces deux sœurs loin de leur mère. Elle narre cela avec une forme de sensibilité, de délicatesse et de tendresse. Elle est loin du modèle de la femme potomitan. Nina, sa fille aînée, a davantage tendance à prendre en charge les hésitations de son écrivaine de mère…
Parmi les éléments intéressants de ce roman, il y a le processus de création de la bonne histoire qui passe par la recherche d’un fil d’Ariane fait de mots. Un adjectif qualificatif folle, un nom commun esclave, un groupe de mots Une bonne histoire, un prénom Cynthia, un nom commun Honte, ou encore Ne pas être mère, voilà une base, une fondation pour bâtir. Comment raconte-t-on une bonne histoire quand on part d’une feuille vierge ? Le lecteur voit l’écrivaine se chercher avant de commencer sa rédaction. Les chemins de la fiction seront moins impénétrables à la lecture de ce roman pour tout apprenti écrivain. La recherche des matériaux pour son ouvrage est prenante, intéressante, amusante. Reconstituer une adolescence oubliée, par exemple, passe par l’observation de ses propres enfants. Ces dernières s’invitent en participant à l’insu de leur plein gré dans les recherches de leur mère. La bonne histoire déjoue la mauvaise qu’on raconte sur les réseaux sociaux pour donner le change, pour faire illusion. Une apparence de piété dont use Madeleine pour poser des mesures barrières à l’endroit de ses « amies » pour mieux cacher la relation cachée qui la ronge depuis tant d’années. Une question finit par se poser : est-on vraiment prêt à assumer la bonne histoire de nos vies contée par un tiers ?
C’est un roman sur l’inversion des rôles dans la société post-esclavagiste qui a vu naître Madeleine et ses amies et conditionne les attitudes. Une société où tout est une affaire de posture, de rôle, de classe sociale avec toutes les problématiques de l’imposture, du déclassement social dans les îles des Caraïbes. D’où vient la honte de Madeleine, son mal-être ? Il vous appartient de la découvrir loin des réseaux sociaux, à partir de la plume d’une de ses amies, la meilleure d’entre elles, à vous de décider. Je tiens à souligner l’exigence, le travail sur l’écriture de Gaël Octavia, une méditation intéressante sur les réseaux sociaux et certains personnages inachevés de mon point de vue. Mais, j’ai une thèse là-dessus : au lecteur de compléter la bonne histoire et ses aspects secondaires.
La bonne histoire de Madeleine Démétrius, Gaël Octavia
Editions Gallimard, Collection Continents noirs,
Première parution en octobre 202o
Commentaires récents